Connue pour ses engagements éthiques et son approche écologique, la marque française Veja entame un tournant significatif dans sa stratégie industrielle. Pour la première fois depuis sa création en 2004, elle a amorcé une production européenne, en installant une partie de sa fabrication dans le nord du Portugal. Si ce changement s’inscrit dans une logique de diversification des chaînes d’approvisionnement, il marque aussi l’émergence d’une nouvelle ère pour le champion de la basket durable.
Un test discret devenu production stratégique
Depuis novembre 2022, Veja collabore avec Samba Footwear, un fabricant portugais basé près de Porto. Initialement lancé à titre expérimental, ce partenariat a permis de produire plus de 100.000 paires de la gamme V-90 par an ces dernières années. La marque a été séduite par la qualité du savoir-faire local, confirmée par les premiers résultats jugés “plus que satisfaisants” par Sébastien Kopp, cofondateur de Veja. Bien que les coûts de production aient légèrement augmenté, la stabilité industrielle et la proximité logistique ont convaincu l’entreprise d’amplifier l’expérience.
Si le modèle V-90 “made in Portugal” est réservé aux marchés européens, principalement distribués via les grands magasins et les enseignes partenaires de Veja, la majorité de la production mondiale de la marque reste néanmoins assurée au Brésil, conformément à l’organisation mise en place depuis sa création en 2004. Une large part des paires fabriquées localement y est ensuite exportée à l’international. Ce choix logistique s’appuie sur une chaîne d’approvisionnement historique, basée sur des matières premières locales : caoutchouc sauvage d’Amazonie récolté par des communautés brésiliennes, coton biologique cultivé sans intrants chimiques, et cuir provenant de tanneries certifiées. Ce modèle intégré, à la fois éthique et territorialement ancré, demeure le socle de la stratégie industrielle de Veja. Le recours à la production portugaise pour répondre aux besoins du marché européen marque toutefois un tournant significatif dans l’histoire de la marque.
Pourquoi le Portugal ?
Le choix du Portugal ne relève pas du hasard. Avec plus de 2000 manufactures spécialisées et quelque 40.000 salariés dans le secteur de la chaussure, le pays s’impose comme l’un des leaders européens de la production de qualité. La région de Porto, et sa Shoes Valley en particulier, bénéficie d’une tradition artisanale solide, doublée d’une modernisation rapide de son outil industriel. Pour Veja, cette implantation répond à plusieurs impératifs : réduction des délais d’approvisionnement, ancrage européen et diversification des matières premières.
Contrairement à la France, qui ne dispose plus de l’infrastructure nécessaire pour produire des baskets à grande échelle, le Portugal offre une chaîne complète, depuis le tannage du cuir jusqu’à l’assemblage final. La marque y trouve aussi un accès plus direct à des matériaux recyclés ou écologiquement certifiés d’origine européenne, à commencer par le coton africain et le cuir italien sans PFC.
Un impact environnemental à nuancer
Si produire en Europe permet de raccourcir les distances pour les marchés cibles, l’empreinte carbone de cette nouvelle chaîne de production reste un point de vigilance. Le transport routier, utilisé entre le Portugal et les plateformes de distribution européennes, est plus émetteur que le fret maritime entre le Brésil et l’Europe. Néanmoins, cette relocalisation partielle permet de mieux contrôler les flux, d’adapter les quantités à la demande réelle et de réagir plus rapidement aux cycles de vente.
Pour Veja, il ne s’agit pas de renier son modèle initial basé sur le commerce équitable et l’économie circulaire au Brésil, mais bien de bâtir un second pilier industriel, complémentaire et plus agile, pour accompagner la croissance de sa clientèle européenne. Cette double implantation participe aussi à la sécurisation de ses approvisionnements face aux incertitudes logistiques mondiales.
Un repositionnement prudent dans un contexte instable
En dépit de son essor rapide et de sa notoriété internationale, Veja avance avec prudence. La marque ne s’est pas fixée d’objectifs chiffrés pour sa production portugaise en 2025, préférant ajuster ses volumes en fonction des commandes. La conjoncture économique, notamment au Royaume-Uni, inquiète les distributeurs. Des défaillances en série dans le secteur de la mode pèsent sur la visibilité à court terme, même si la dynamique globale reste positive.
En parallèle, les marchés américains et sud-américains ont fortement contribué aux résultats de 2023. Le commerce en ligne et l’ouverture de nouvelles boutiques en propre (Paris, Berlin, New York, Madrid) offrent des relais de croissance, tandis que le siège parisien continue de structurer la marque, qui emploie désormais plus de 600 personnes, dont la moitié en France.
Un modèle hybride pour un futur durable
Avec cette implantation européenne, Veja renforce son positionnement de marque responsable à dimension internationale. Elle démontre qu’un modèle de production peut être à la fois éthique, technique et réactif, sans céder aux sirènes de la délocalisation systématique ou à la promesse du 100 % local. En misant sur le Portugal, elle s’appuie sur un partenaire fiable, situé à la croisée des chemins entre artisanat, performance industrielle et durabilité.
À l’heure où les consommateurs exigent plus de transparence et de cohérence, Veja semble bien décidée à anticiper les mutations de son marché, sans renier ses principes fondateurs. Le succès de la V-90 “européenne” pourrait bien ouvrir la voie à d’autres lignes produites localement, dessinant une stratégie plus équilibrée entre les deux continents.
Les points clés
- Veja produit désormais une partie de ses baskets au Portugal, avec le modèle V-90.
- La collaboration avec Samba Footwear a débuté fin 2022, près de Porto.
- Ce virage permet de sécuriser l’approvisionnement et de répondre plus vite à la demande européenne.
- L’impact écologique reste à surveiller, en raison du transport routier intra-européen.
- La marque reste prudente sur les volumes, dans un contexte économique incertain.
Une tendance de fond dans l’industrie de la chaussure
Veja n’est pas seule à s’intéresser à l’expertise portugaise. Weston, Clarks, Bobbies ou encore Anthology y sous-traitent déjà une partie de leurs modèles. Cette consolidation du savoir-faire portugais comme alternative européenne crédible à la production asiatique s’inscrit dans un mouvement plus large de relocalisation, guidé par les exigences de qualité, de durabilité et de flexibilité industrielle. Pour Veja, cette avancée marque peut-être le début d’un nouveau chapitre, à la croisée des continents et des engagements responsables.
