Kengo Kuma transforme 3 villages de la Serra da Lousã

Perchée au cœur du centre du Portugal, la Serra da Lousã cache, dans ses vallées profondes, des villages endormis que le temps a figés. Ces hameaux, oubliés des grandes villes et des infrastructures modernes, semblent avoir été laissés à la merci de la nature, jusqu’à ce qu’un architecte japonais de renommée mondiale décide d’en réécrire l’histoire. Kengo Kuma, dont la signature s’étend des gratte-ciel asiatiques aux centres culturels européens, vient de poser son regard visionnaire sur Silveira de Baixo, Silveira de Cima et Pé da Lomba. Ces trois villages, perdus dans la montagne, deviennent aujourd’hui le théâtre d’un projet ambitieux : redonner vie aux pierres abandonnées sans trahir l’âme des lieux. L’approche s’appuie sur un subtil équilibre entre préservation, durabilité et modernité, promettant une transformation à la fois respectueuse et innovante, où l’homme et la nature renouent un dialogue ancien mais jamais éteint.

Kengo Kuma, un architecte engagé pour l’harmonie entre l’homme et la nature

À 70 ans, Kengo Kuma s’est imposé comme l’une des figures majeures de l’architecture contemporaine mondiale. Né au Japon, formé à l’université de Tokyo puis à l’université Columbia à New York, il incarne une vision profondément ancrée dans le respect des matériaux naturels et la recherche d’harmonie entre l’homme et son environnement. Son approche, souvent qualifiée de « minimalisme poétique », se distingue par un refus de l’ostentation formelle et une volonté de dialoguer avec les paysages plutôt que de les dominer. Chaque projet devient une rencontre entre le site, la matière et l’usage, dans un équilibre subtil et réfléchi.

Au Portugal, le nom de Kengo Kuma commence à se faire connaître du grand public, notamment grâce à sa récente intervention sur le bâtiment du Centre d’Art Moderne de la Fondation Gulbenkian ¹ à Lisbonne, un projet qui a marqué par son élégance discrète et son intégration naturelle dans le contexte urbain. On lui doit également la transformation de l’ancien Matadouro do Porto ², réinventé en pôle culturel et artistique, ainsi que le développement du complexe touristique Vilamoura Fairways ³, qui conjugue luxe et durabilité sur la côte sud du pays, et plus récemment encore, il a imaginé le Pavillon portugais de l’Expo 2025 à Osaka. Ces projets témoignent d’une capacité à interpréter l’identité locale tout en apportant une vision nouvelle, façonnée par des décennies de recherche et de pratique internationale.

Un projet architectural ancré dans la tradition et la nature dans la Serra da Lousã

Dans la philosophie de Kengo Kuma, le respect des matériaux locaux n’est pas un simple choix esthétique, mais une véritable éthique de conception. Pour la Serra da Lousã, il s’agit d’un retour aux sources : les murs en schiste, les poutres en bois local, les savoir-faire des artisans de la région. Kuma insiste sur ce point : chaque bâtiment sera reconstruit à l’échelle des volumes d’origine, sans altérer l’harmonie visuelle du paysage. Il ne s’agit pas d’imposer des formes spectaculaires, mais d’offrir une nouvelle vie aux maisons de pierre, sans les trahir.

De nouveaux usages pour des villages endormis

La reconstruction ne se limite pas aux murs. Kuma envisage un usage contemporain de ces espaces : hôtels ruraux, maisons d’hôtes, lieux d’apprentissage et de développement personnel. Ainsi, Silveira de Baixo accueillera un complexe touristique de 25 unités et un hôtel de 24 chambres, conçu pour favoriser les séjours prolongés et l’immersion dans la nature. À Silveira de Cima, ce seront 5 maisons de village, pensées comme des laboratoires d’écologie appliquée, où les visiteurs pourront s’initier à l’agroforesterie et aux techniques de permaculture. Quant à Pé da Lomba, elle deviendra un centre dédié au développement personnel, entouré de deux gîtes ruraux.

Attirer une nouvelle génération de créateurs

Ce projet ambitieux ne se contente pas de reconstruire. Il entend réinventer le rapport à la ruralité, en attirant des profils variés : entrepreneurs, scientifiques, chercheurs, artistes et nomades numériques. José Serra, co-fondateur de Silveira Tech ⁴, l’entreprise qui pilote l’initiative, voit dans cette revitalisation une opportunité de créer un nouvel écosystème vivant au cœur des montagnes. Mais ce rêve a aussi ses défis, notamment la nécessité d’aménager des infrastructures numériques performantes, pour connecter ces lieux au reste du monde.

Préserver l’environnement dans un territoire vulnérable

Au-delà des ambitions architecturales, le projet porté par Kuma et Silveira Tech dans le Centre du Portugal s’inscrit dans une dynamique de régénération écologique. La vulnérabilité de la Serra da Lousã aux incendies est un enjeu majeur : la région a connu des feux dévastateurs, notamment lors des catastrophes de 2017 à Pedrógão Grande. La densité des forêts, la sécheresse estivale, et l’abandon des pratiques agricoles traditionnelles ont transformé ces paysages en poudrières potentielles.

Un défi écologique : bâtir avec le feu en tête

Dans ce contexte, le choix des matériaux revêt une importance stratégique. Kuma reste attaché à l’utilisation du bois et du schiste, mais il est conscient des risques. Il affirme vouloir collaborer étroitement avec des experts pour développer des techniques de protection contre le feu, tout en conservant l’essence même de l’architecture traditionnelle. Cela implique un dialogue constant entre innovation et respect des méthodes ancestrales.

Pour atténuer le risque incendie, des mesures d’adaptation paysagère sont envisagées. Silveira Tech a prévu la création d’une retenue d’eau de 1000 m³ pour alimenter la végétation locale et améliorer la résilience des sols. Le choix des essences d’arbres, comme le cyprès, moins inflammable que le pin ou l’eucalyptus, fait également partie des stratégies de prévention. Ces actions s’inscrivent dans un effort plus large de restauration écologique.

Vers un modèle de village durable et connecté

Le projet Silveira Village ne se limite pas à l’hébergement touristique. Il ambitionne de devenir un centre d’expérimentation pour de nouvelles façons de vivre. Les visiteurs pourront participer à des ateliers de permaculture, s’initier à l’agroécologie, et contribuer à des recherches sur la régénération des sols et des forêts. Cet aspect pédagogique vise à transformer ces villages en laboratoires vivants où l’on apprend en faisant, en partageant, et en transmettant.

L’approche de Kuma et de son équipe, notamment l’architecte portugaise Rita Topa, illustre une philosophie collaborative. Loin d’imposer une vision unique, ils s’efforcent de co-construire le projet avec les artisans locaux, en valorisant les savoir-faire traditionnels. Le schiste, la pierre emblématique de la région, devient ainsi le fil conducteur d’une renaissance patiente et mesurée.

Cependant, le projet a suscité des controverses : en 2023, des partis politiques locaux ont exprimé des doutes sur l’étendue des acquisitions foncières par Silveira Tech. Des litiges juridiques ont émergé, notamment autour de la confidentialité des documents liés au projet. En 2024, le tribunal administratif de Coimbra a tranché en faveur de la transparence, obligeant Silveira Tech à rendre publics certains éléments de ses plans. Malgré ces tensions, l’élan du projet reste fort.

Silveira Village : entre mémoire, modernité et ambition

Le projet Silveira Village incarne une tentative audacieuse de conjuguer mémoire locale et avenir durable. À travers la réhabilitation des 3 villages, Kengo Kuma et Silveira Tech cherchent à montrer qu’un développement rural respectueux de l’environnement est possible, même dans des territoires fragiles. Leur ambition est claire : faire de la Serra da Lousã un modèle inspirant de coexistence harmonieuse entre l’homme, la technologie et la nature.

Le défi est immense, mais la promesse est belle : redonner vie à la pierre, aux chemins, aux forêts. Faire renaître des villages qui, hier encore, semblaient promis à l’oubli. Et, à travers eux, imaginer un avenir où l’architecture devient un geste de soin, un lien entre le passé et l’avenir.