L’Algarve, autrefois prisée pour ses paysages naturels et sa tranquillité, fait face à une transformation accélérée qui inquiète de plus en plus d’observateurs. Des milliers de constructions illégales prolifèrent à travers la région, en particulier dans l’ouest de l’Algarve, redessinant le visage du territoire dans une atmosphère de chaos urbain.
De Lagos à Vila do Bispo en passant par Aljezur, des habitations précaires, des maisons préfabriquées, des caravanes et même des campements entiers s’installent sans cadre légal, souvent dans des zones protégées telles que la Réserve Agricole Nationale (RAN), la Réserve Écologique Nationale (REN) et le Parc Naturel du Sud-Ouest Alentejano et de la Costa Vicentina. Ce phénomène, devenu un véritable casse-tête urbanistique, entraîne une destruction progressive du paysage et une perte de contrôle des autorités locales.
Une réglementation contournée et des municipalités passives
Alors que les démarches officielles pour l’obtention de permis de construire s’éternisent, la construction illégale prospère dans une apparente impunité. Il est devenu monnaie courante de constater que les sanctions ne sont ni appliquées ni dissuasives. Bien que des ordres de démolition puissent être émis, ils sont rarement exécutés, renforçant un sentiment d’injustice parmi ceux qui suivent la loi.
Alors que les démarches officielles pour l’obtention de permis de construire s’éternisent, la construction illégale prospère dans une apparente impunité
Paradoxalement, certains propriétaires ayant les moyens d’acheter un bien légalement préfèrent opter pour une construction illégale, consciente qu’elle a peu de chances d’être remise en cause. Le phénomène s’autoalimente : face à l’absence de répercussions, de plus en plus de personnes imitent cette pratique, aggravant encore la situation.
Le fléau des mobil-homes et constructions préfabriquées

Un autre facteur contribuant à cette urbanisation sauvage est la multiplication des mobil-homes, tiny houses et structures préfabriquées, commercialisées sans contrôle strict. Ces constructions, souvent installées en un temps record, échappent aux réglementations classiques, bénéficiant d’un vide juridique qui permet leur implantation dans des terrains non constructibles.
Ces constructions (…) échappent aux réglementations classiques, bénéficiant d’un vide juridique
Certaines voix s’élèvent pour réclamer des mesures plus strictes contre ces installations, notamment en rendant les vendeurs responsables des coûts de démolition lorsque les structures vendues ne sont pas conformes aux normes d’urbanisme.
Les mairies face à un dilemme politique et économique
Les municipalités, censées être en première ligne pour contrôler et sanctionner ces dérives, se retrouvent souvent paralysées. Plusieurs raisons expliquent cette inaction :
- Un manque de volonté politique, car appliquer la loi et détruire ces habitations illégales est une décision impopulaire qui pourrait coûter cher aux élus lors des élections.
- Un manque de moyens financiers, rendant difficile la mise en œuvre des démolitions et des contrôles à grande échelle.
- Une application sélective de la loi, les autorités n’intervenant généralement qu’en cas de plaintes formelles, ce qui alimente un sentiment d’inégalité entre citoyens respectueux des règles et contrevenants.
Démolir ou régulariser ? Un débat complexe

La législation portugaise impose aux municipalités de procéder à la démolition des constructions illégales qui ne respectent pas les normes d’urbanisme et ne peuvent être régularisées. Mais comment appliquer la loi de manière équitable lorsque des milliers de constructions illégales existent déjà ?
L’un des défis majeurs réside dans l’ampleur du problème. Appliquer des démolitions sélectives peut être perçu comme arbitraire, créant un sentiment d’injustice et de discrimination. À l’inverse, une régularisation massive enverrait un signal négatif, incitant encore plus de propriétaires à ignorer les règles en attendant d’éventuelles amnisties.
Des solutions pour un urbanisme contrôlé
Face à ce fléau, plusieurs pistes sont envisagées pour tenter de restaurer l’équilibre :
- Responsabiliser les acteurs de la construction illégale : Les entreprises impliquées dans ces travaux devraient être tenues responsables et sanctionnées financièrement pour compenser les coûts des démolitions.
- Renforcer la réglementation sur les maisons mobiles et préfabriquées : Interdire leur vente sans permis de construction valide et imposer des contrôles rigoureux avant leur installation.
- Sanctionner les transactions immobilières frauduleuses : Certains vendeurs profitent du marché noir en revendant des terrains non constructibles avec des structures illégales. Les agences immobilières devraient être tenues responsables si elles omettent d’informer les acheteurs des irrégularités.
- Encourager les municipalités à agir : Outre les démolitions, des sanctions plus lourdes et des incitations financières pour la régularisation des constructions conformes aux normes pourraient être mises en place.
- Créer un cadre fiscal et législatif plus attractif : La simplification des démarches administratives et une fiscalité mieux adaptée pourraient encourager les propriétaires à opter pour des constructions légales plutôt que d’emprunter des voies illégales.
Une nouvelle loi foncière, un espoir ou un risque ?
La récente réforme foncière portugaise vise à faciliter le développement urbain en permettant la requalification de terrains agricoles en zones constructibles. L’objectif affiché est d’offrir plus de terrains disponibles pour la construction de logements et de répondre à la crise du logement.
Toutefois, cette réforme suscite de nombreuses interrogations : permettra-t-elle un développement structuré et contrôlé, ou ouvrira-t-elle la porte à encore plus de constructions anarchiques ? Une vigilance accrue sera nécessaire pour éviter que cette loi ne devienne un prétexte pour légitimer les pratiques existantes d’urbanisation sauvage.
Stimuler l’économie tout en maîtrisant l’urbanisme

Le défi du gouvernement portugais est double : stimuler l’investissement immobilier tout en maîtrisant le développement urbain. Pour cela, certaines propositions émergent :
- Baisse progressive de l’impôt sur les sociétés (IRC) pour attirer les investisseurs.
- Soutien fiscal aux entreprises et start-ups pour dynamiser l’économie locale.
- Modernisation du système fiscal pour éviter la fraude et encourager la transparence.
- Révision des avantages fiscaux pour les résidents non habituels afin d’attirer des talents internationaux sans creuser les inégalités.
Le marché locatif en crise : quelles solutions ?
Le marché du logement au Portugal fait face à une crise majeure. La préférence des propriétaires pour les locations touristiques au détriment des baux longue durée a contribué à une flambée des prix, rendant l’accès au logement plus difficile pour la population locale.
Certains experts suggèrent plusieurs solutions :
- Renforcement des incitations fiscales pour la location longue durée, afin d’encourager les propriétaires à privilégier ce type de bail.
- Révision des lois sur les baux résidentiels, jugées trop complexes et peu attractives pour les bailleurs.
- Meilleur encadrement des locations touristiques, sans pour autant freiner le dynamisme du secteur.
Vers une approche globale et durable
Face à ces défis, une approche équilibrée et concertée est nécessaire pour éviter un effondrement du marché immobilier tout en préservant l’intégrité du territoire portugais. L’urbanisation sauvage, si elle n’est pas contrôlée, risque d’altérer à long terme l’identité et l’attractivité de l’Algarve.
Le Portugal doit désormais trouver le juste milieu entre développement économique et préservation de son patrimoine naturel, sous peine de voir le Far West urbain devenir la norme plutôt qu’une exception.