Dans les ruelles pavées de Lisbonne, sous le soleil éclatant de Faro ou à l’ombre des jardins de Funchal, un art ancestral s’imprime au sol. La calçada portuguesa, cet entrelacs de pavés blancs et noirs formant des motifs ondulants ou géométriques, fait partie du quotidien des villes portugaises et bien au-delà. Pourtant, ce savoir-faire unique, façonné à la main par des artisans spécialisés, pourrait bien disparaître si aucune action n’est menée pour le préserver.
Le 14 mars dernier, un tournant décisif a été franchi : la candidature de la calçada portuguesa au Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO 1 a été officiellement déposée. Ce projet, porté par l’Associação da Calçada Portuguesa 2, est le fruit d’un effort collectif impliquant plus de 50 calceteiros, huit municipalités portugaises et plus de 20 institutions publiques et privées. Il vise à protéger et valoriser une tradition en péril, tout en soulignant son rôle dans l’identité nationale et son influence au-delà des frontières.
Un art en péril, une reconnaissance urgente
La calçada portuguesa est bien plus qu’un simple revêtement urbain. Elle est une expression artistique et une empreinte historique, témoin du passage du temps et des civilisations. Ses motifs, inspirés des vagues de l’Atlantique, des roses des vents des navigateurs ou encore de figures emblématiques comme Amália Rodrigues, racontent l’histoire du Portugal sous les pieds des passants.

Mais derrière cette beauté intemporelle se cache une réalité plus sombre. Le métier de calceteiro, exigeant et peu valorisé, peine à attirer de nouvelles générations. Dans les rues de Lisbonne ou de Porto, il n’est pas rare d’observer ces artisans à l’œuvre, souvent d’un âge avancé, agenouillés sur les pavés, martelant avec patience chaque pierre pour donner vie à des motifs précis. Le manque de relève menace la pérennité de cette pratique.
Les défenseurs de cette candidature soulignent aussi son importance environnementale. Contrairement aux revêtements modernes, souvent issus de matériaux industriels, la calçada utilise des pierres naturelles, ne nécessitant ni traitement chimique ni production polluante. Sa perméabilité permet une meilleure gestion des eaux de pluie, réduisant ainsi les risques d’inondations dans les centres historiques.
Une signature portugaise qui s’étend bien au-delà des frontières
Si la calçada est omniprésente dans les villes portugaises, son influence dépasse largement le territoire national. On la retrouve sur les places du Brésil, dans certaines rues de Macau et jusqu’en Afrique lusophone, héritage du vaste empire colonial portugais. Son inscription au patrimoine immatériel de l’UNESCO renforcerait son rayonnement mondial, tout en soulignant l’apport culturel du Portugal à l’histoire urbaine globale.

Cette reconnaissance pourrait aussi favoriser son entretien et son financement, permettant aux municipalités d’investir davantage dans sa préservation. L’association porteuse du projet espère qu’un tel classement encouragera des initiatives visant à former une nouvelle génération d’artisans, garantissant ainsi la transmission du savoir-faire.
L’UNESCO face à une décision symbolique
L’inscription au patrimoine immatériel de l’UNESCO repose sur des critères exigeants. Il ne s’agit pas seulement de reconnaître un art ou une tradition, mais de prouver sa valeur universelle et la nécessité de sa protection. La calçada portugaise répond pleinement à ces exigences : elle est à la fois un symbole national, une prouesse artisanale et un élément clé du patrimoine urbain mondial.
La calçada portugaise (…) est à la fois un symbole national, une prouesse artisanale et un élément clé du patrimoine urbain mondial
Mais le temps presse. Sans actions concrètes pour valoriser et enseigner ce métier, les calceteiros d’aujourd’hui pourraient bien être les derniers à maîtriser cet art. L’UNESCO pourrait offrir à la calçada une reconnaissance internationale qui accélérerait sa préservation et assurerait sa transmission aux générations futures.
Après le classement, en 2024, de l' »art équestre au Portugal« , dans les prochains mois, nous saurons si la candidature pour la calçada portuguesa est retenue. En attendant, chaque pavé continue de raconter l’histoire du pays, un récit de tradition, d’art et de résilience, inscrit non dans les livres, mais dans les rues mêmes des villes qui le portent.
- Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO : https://ich.unesco.org/fr/listes?text=&country[]=00179&multinational=3#tabs ↩︎
- Associação da Calçada Portuguesa : https://www.calcadaportuguesa.org/ ↩︎