Au Luxembourg, il n’est pas rare d’entendre parler portugais au marché, à la radio ou dans les écoles. Avec un peu moins de 100 000 résidents d’origine portugaise – soit environ 15 % de la population totale – les Portugais forment aujourd’hui la première communauté étrangère du Grand-Duché. Rapportée à la taille du pays (660 000 habitants), cette présence est sans équivalent ailleurs en Europe.
Cette relation particulière entre le Portugal et le Luxembourg s’est construite au fil des décennies. Elle s’enracine dans l’histoire – du mariage royal de 1893 aux vagues migratoires des années 1960 –, mais elle s’exprime aussi dans le quotidien : à travers la langue, la gastronomie, les traditions religieuses, les parcours d’intégration et les aspirations d’une nouvelle génération née sur le sol luxembourgeois.
Pour autant, derrière les chiffres flatteurs et l’apparente réussite, des défis persistent. La précarité touche encore durement une partie de la communauté. Les tensions identitaires traversent parfois les jeunes générations. Et l’enjeu de la transmission culturelle se pose avec acuité, entre désir d’intégration et attachement aux racines.
Qu’ils soient arrivés hier ou il y a plusieurs décennies, les Portugais du Luxembourg occupent une place singulière dans le paysage national. Cet article propose un regard complet sur leur histoire, leur rôle dans la société, leurs difficultés, mais aussi leurs réussites, dans un pays plus multiculturel que jamais.
Une présence qui s’impose dans le paysage luxembourgeois

Un petit pays, une grande diversité
Le Grand-Duché de Luxembourg, avec ses quelque 660 800 habitants, est l’un des plus petits États d’Europe, tant par sa superficie (2 586 km²) que par sa population. Pourtant, il se distingue par une spécificité démographique remarquable : près de la moitié de ses résidents sont étrangers. Parmi eux, les Portugais forment la communauté la plus importante. En 2021, on comptait 93 678 ressortissants portugais, représentant 14,5 % de la population, un chiffre qui atteignait même 16 % quelques années auparavant. Proportionnellement à la taille du pays, il s’agit de la plus forte concentration de Portugais dans un pays européen.
Répartition géographique et profil démographique
Les communes de Differdange 1 (35,7 %), Larochette 2 (44,1 %) et Esch-sur-Alzette 3 (32,7 %) concentrent la majorité de cette population. Dans certains quartiers, l’omniprésence de la langue portugaise, des commerces typiques ou des cafés aux accents du fado peut donner l’impression d’avoir quitté le Luxembourg pour une ville du nord du Portugal. Cette visibilité culturelle traduit une implantation forte et durable dans le tissu local.
Globalement, la communauté portugaise est relativement jeune : l’âge moyen s’élève à 36,7 ans, contre plus de 40 ans pour la moyenne nationale. Ce dynamisme générationnel se reflète aussi dans la scolarisation massive des enfants de la deuxième génération, qui participent activement à la vie sociale, linguistique et culturelle du pays. Leur maîtrise progressive du luxembourgeois favorise une intégration plus fluide, tout en maintenant un lien fort avec leurs origines lusophones.
Une migration historique aux racines profondes
Des liens anciens entre les deux pays

L’histoire commune entre le Portugal et le Luxembourg s’ancre dès la fin du XIXe siècle, avec un événement qui dépasse les seules dynasties : en 1893, le mariage du prince Guillaume Alexandre de Nassau (futur Grand-Duc Guillaume IV) avec l’infante Marie Anne de Bragance, fille de l’ancien roi portugais Michel Ier, unit symboliquement les deux pays. Cette alliance n’a pas seulement une valeur diplomatique ou aristocratique ; elle inaugure une relation durable, faite d’entraide, d’échanges et de respect mutuel, qui prendra tout son sens au XXe siècle.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, ces liens prennent une dimension humaine et politique. En mai 1940, lorsque le Luxembourg est envahi par l’armée allemande, la famille grand-ducale est contrainte à l’exil. Le Portugal, bien que dirigé à l’époque par le régime autoritaire de Salazar, ouvre ses portes à plusieurs milliers de réfugiés. Le consul portugais à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes, brave les ordres de sa hiérarchie pour délivrer en urgence des milliers de visas, sauvant ainsi d’innombrables vies, y compris celle de la Grande-Duchesse Charlotte, de sa famille et de membres du gouvernement luxembourgeois.

C’est à Cascais, dans la maison de l’un des consuls honoraires du Luxembourg, que la Grande-Duchesse trouve refuge en 1940. Elle y reste plusieurs mois avant de poursuivre son exil aux États-Unis et au Canada, d’où elle continuera à incarner la résistance luxembourgeoise. Pendant ce temps, le Portugal devient, pour les réfugiés luxembourgeois, un havre de paix inattendu, dans un continent ravagé par la guerre. Cette mémoire partagée d’un temps de détresse fonde une confiance mutuelle entre les deux peuples.
Au-delà des événements historiques, cette proximité entre les deux pays nourrit un terreau favorable à l’accueil des Portugais au Luxembourg, quelques décennies plus tard. Les liens familiaux, politiques et symboliques se transforment progressivement en liens migratoires et sociaux, préparant le terrain à une émigration massive qui, dans les années 1960 et 1970, va profondément marquer l’histoire contemporaine du Grand-Duché.
Une immigration née d’une conjonction historique

Ce n’est véritablement qu’à partir du début des années 1960 que le Luxembourg voit affluer les premières grandes vagues de travailleurs portugais. Le Portugal, alors sous la férule du régime autoritaire de Salazar, traverse une période de grande pauvreté, marquée par l’exode rural, un accès limité à l’éducation, et une répression politique étouffante. À cette époque, les jeunes hommes sont nombreux à fuir le pays pour échapper à la conscription dans les guerres coloniales en Angola, en Guinée-Bissau ou au Mozambique.
De l’autre côté, le Luxembourg, en pleine croissance économique après les Trente Glorieuses, connaît une pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs clés tels que la sidérurgie, le bâtiment et les services à la personne. Le pays a déjà accueilli dans les décennies précédentes des travailleurs italiens ou yougoslaves, mais le besoin devient tel qu’il ouvre largement ses portes aux travailleurs portugais, malgré l’absence d’accord officiel avec Lisbonne.
Des migrations clandestines à la régularisation

Dans les années 1960, une partie importante de l’immigration portugaise se fait donc clandestinement, via la France notamment. De nombreux Portugais traversent les Pyrénées à pied ou par des réseaux discrets, franchissent la frontière luxembourgeoise sans contrat, et trouvent du travail grâce au bouche-à-oreille, souvent auprès d’autres compatriotes déjà installés. Cette période est marquée par une très forte solidarité communautaire, mais aussi par une grande précarité : logement insalubre, horaires épuisants, conditions de travail difficiles.

Il faut attendre 1972 pour que soit signé un accord bilatéral sur l’emploi entre le Portugal et le Luxembourg. Ce texte reconnaît officiellement la présence de milliers de Portugais sur le territoire luxembourgeois et encadre légalement leur activité professionnelle. Dès lors, l’arrivée de migrants portugais se fait de manière plus structurée, avec l’obtention de permis de travail, l’accès à la sécurité sociale et des possibilités de regroupement familial. Cet accord marque le début d’une phase d’immigration massive et régularisée.
Des régions d’origine bien identifiées
Les Portugais qui émigrent au Luxembourg à cette époque ne viennent pas de tout le pays de manière homogène. Une large majorité d’entre eux est issue de régions rurales du Nord et du Centre du Portugal, particulièrement des districts de Viseu, Bragança, Guarda, Vila Real, Aveiro et du Douro. Ces zones, historiquement agricoles, ont peu bénéficié du développement industriel, et leurs habitants aspirent à de meilleures conditions de vie à l’étranger.
Cette origine géographique commune contribue à la création de réseaux migratoires solides, basés sur des solidarités locales ou familiales. Les primo-arrivants facilitent souvent l’installation de membres de leur village, de cousins ou d’amis. Dans certaines communes luxembourgeoises, il est encore aujourd’hui courant de croiser des familles entières originaires du même bourg portugais.
Une dynamique d’installation sur le long terme
Alors que l’immigration portugaise était au départ envisagée comme temporaire – beaucoup d’entre eux espérant travailler quelques années pour économiser puis rentrer au pays –, la réalité a été bien différente. Au fil du temps, les migrants s’ancrent dans la société luxembourgeoise, fondent des familles, obtiennent la nationalité, investissent dans l’immobilier local et dans l’éducation de leurs enfants. Ce mouvement a profondément transformé le visage du Grand-Duché, qui a vu émerger une véritable diaspora portugaise enracinée, présente dans tous les secteurs de la société.
Une intégration progressive mais contrastée
Première génération : entre repli communautaire et labeur
Pour les immigrés portugais arrivés au Luxembourg dans les années 1960 et 1970, l’expérience migratoire s’apparentait souvent à un exil plus qu’à un choix. Beaucoup ne parlaient pas un mot de français ni de luxembourgeois. Ils fuyaient la misère, la dictature, et parfois la guerre. Leur but était clair : travailler dur, économiser, rentrer au pays. Pourtant, ce retour tant espéré ne s’est jamais concrétisé pour la majorité d’entre eux.
Installés dans des quartiers à forte concentration portugaise, souvent dans des logements précaires, ils recréent une vie communautaire où le portugais reste la langue de tous les jours. La barrière de la langue luxembourgeoise, aux sonorités germaniques peu familières, les pousse à utiliser le français dans les démarches administratives et au travail. Beaucoup d’entre eux exercent des métiers physiquement éprouvants dans la construction, le nettoyage ou l’hôtellerie. Leurs journées commencent à l’aube et finissent tard. La vie est rude, mais ils tiennent bon.
Le lien avec le Portugal reste omniprésent. Vacances estivales, envoi d’argent aux familles restées au pays, achats de terrains pour un hypothétique retour : tout dans leur quotidien rappelle les racines qu’ils n’ont jamais coupées. Mais au fil des ans, c’est au Luxembourg qu’ils fondent leurs familles, voient grandir leurs enfants, et deviennent malgré eux les premiers maillons d’une implantation durable.
Deuxième génération : une nouvelle dynamique identitaire
Les enfants de cette première génération naissent ou grandissent au Luxembourg. Dès leur plus jeune âge, ils baignent dans un environnement trilingue structuré par le système scolaire : luxembourgeois en maternelle, allemand pour l’apprentissage de la lecture, français comme langue académique et sociale. Ce triple bain linguistique constitue une véritable passerelle d’intégration.

À l’école, ils apprennent à jongler entre ces langues. À la maison, c’est encore le portugais qui domine, notamment dans les échanges avec les parents ou les grands-parents. Les codes changent selon les contextes : on parle luxembourgeois entre amis à l’extérieur, mais on repasse au portugais quand il s’agit d’intimité, de traditions, de souvenirs. Ce plurilinguisme fluide devient un atout, mais aussi une tension intérieure parfois difficile à verbaliser.
Contrairement à leurs parents, ils n’envisagent pas de « retour au pays ». Le Portugal est une terre de vacances, d’attachements familiaux, mais le Luxembourg est leur réalité quotidienne. Leur culture est double, leurs références croisées, leur avenir résolument enraciné dans la société luxembourgeoise, même si l’héritage reste vivant.
Une communauté entre biculturalité et assimilation
Avec le temps, deux trajectoires identitaires émergent au sein des jeunes générations portugaises du Luxembourg. La première est celle de la bi-culturalité consciente, portée par des individus qui assument et revendiquent leur double appartenance. Ils parlent les deux langues, participent à la vie associative portugaise, transmettent leurs traditions à leurs enfants. Ils cultivent une mémoire active du pays d’origine, sans pour autant nier leur ancrage luxembourgeois.

Mais une autre dynamique, plus silencieuse, tend vers l’assimilation culturelle. Dans les couples mixtes, surtout, la langue portugaise recule. Par souci de fluidité ou pour éviter les conflits, le luxembourgeois devient la langue du foyer. Le portugais n’est plus appris, parfois même volontairement mis à distance. Les jeunes qui ne parlent plus la langue de leurs grands-parents peinent à établir un lien affectif avec leurs origines. Les séjours au Portugal deviennent moins fréquents. L’héritage se dilue peu à peu.
Entre ces deux pôles – fidélité à la culture d’origine et adaptation totale à la culture d’accueil – une multitude de nuances existent. Les trajectoires sont individuelles, influencées par le parcours scolaire, le milieu social, les rencontres, le lieu de vie. Ce qui demeure, c’est la question toujours actuelle : comment concilier ses racines et ses branches ? Comment transmettre une identité sans l’imposer ? Le Portugal vit encore dans les cœurs, mais de manière toujours plus diverse.
Les défis contemporains de la communauté portugaise
Une précarité enracinée dans le quotidien
Présents depuis plus de six décennies, les Portugais n’ont pourtant pas échappé aux inégalités sociales qui traversent le Luxembourg. Selon les chiffres de 2023, près de 44 % des ressortissants portugais vivent sous le seuil de pauvreté 4, un taux largement supérieur à la moyenne nationale. Cette précarité s’explique en partie par leur forte représentation dans des secteurs d’activité peu valorisés, comme la construction ou le nettoyage, où les contrats précaires restent fréquents. Les revenus, souvent modestes, peinent à suivre le rythme d’un coût de la vie toujours plus élevé. Et notamment celui du logement, qui absorbe jusqu’à plus d’un tiers du budget de nombreux foyers portugais.
À cela s’ajoutent des situations individuelles parfois dramatiques : abandon d’emploi pour s’occuper d’enfants en difficulté, isolement social ou encore impossibilité de faire face à des dépenses imprévues. Malgré l’ancienneté de leur implantation, les Portugais restent particulièrement exposés aux effets de la précarité, avec des perspectives de progression souvent limitées par le poids des charges et la faiblesse des filets de sécurité.
Des familles nombreuses, un soutien intergénérationnel fort
Un autre facteur structurel explique cette vulnérabilité : la taille des ménages portugais. Ils sont souvent plus grands que la moyenne, mêlant parfois trois générations sous un même toit. Cette organisation familiale a ses avantages — notamment une grande solidarité — mais elle pèse lourdement sur les finances. Lorsque le foyer ne dispose que d’un ou deux revenus, chaque euro doit être réparti entre de nombreuses bouches à nourrir, ce qui fragilise l’équilibre économique global.
Mais loin d’être un fardeau, cette cohabitation familiale est aussi une force. Les Portugais accordent une importance particulière à l’entraide, au respect des aînés et à la transmission de valeurs culturelles et éducatives. Les grands-parents gardent les enfants, les jeunes soutiennent les plus âgés, et les décisions importantes se prennent souvent collectivement. Cette solidarité, bien que mise à l’épreuve par les difficultés économiques, reste un socle de résilience et de cohésion sociale au sein de la communauté.
La langue, frontière invisible pour les primo-arrivants

Pour les Portugais fraîchement arrivés au Luxembourg, la barrière linguistique constitue l’un des plus grands obstacles à l’intégration. Contrairement à leurs enfants, qui apprennent les trois langues du pays à l’école dès la maternelle, les primo-arrivants doivent jongler entre un portugais maternel, un français fonctionnel et un luxembourgeois souvent inaccessible. Cette dernière langue, essentielle pour accéder à certains emplois ou pour interagir pleinement avec les institutions, reste difficile à acquérir, notamment en raison de son éloignement linguistique et de la complexité de son apprentissage pour des adultes non germanophones.
En parallèle, le temps manque cruellement pour suivre des cours ou pratiquer activement : les horaires décalés, les emplois physiques et les impératifs familiaux laissent peu de place à la formation. Résultat, ces barrières linguistiques limitent l’accès à de meilleures opportunités professionnelles, renforcent l’isolement social et perpétuent une forme d’inégalité générationnelle. C’est là un défi majeur pour les politiques publiques comme pour les structures d’aide à l’intégration.
Discrimination et racisme persistants
5Pourtant intégrés dans la société luxembourgeoise depuis plusieurs générations, les Portugais restent pourtant victimes de discriminations souvent invisibles, mais profondément ancrées. Si elles ne prennent pas toujours la forme d’insultes directes, elles se manifestent au quotidien, dans les gestes, les mots, les présupposés. Selon les rapports du Conseil de l’Europe , ces discriminations touchent en particulier les domaines du logement, de l’emploi et de l’éducation.
À l’école, de nombreux élèves d’origine portugaise sont orientés vers des filières techniques, souvent sans véritable justification pédagogique. Ce tri précoce s’accompagne d’un manque de soutien scolaire et d’un regard parfois biaisé de certains enseignants, pour qui ces jeunes seraient « naturellement » destinés à des métiers manuels. Cette stigmatisation contribue à une perte de confiance dès le plus jeune âge, et renforce les inégalités sociales.
Dans le monde du travail comme dans l’accès au logement, les clichés persistent également. Les accents sont moqués, les candidatures écartées sans explication, et les refus de location reposent parfois sur des préjugés raciaux à peine voilés. Ces comportements sont souvent justifiés par des « blagues » ou des non-dits, mais leurs effets sont bien réels : exclusion, repli communautaire, sentiment de ne jamais être pleinement reconnu comme légitime dans le pays où l’on vit, travaille et élève ses enfants.
La richesse d’une présence culturelle visible
Une culture portugaise omniprésente dans l’espace public
La présence portugaise au Luxembourg ne se résume pas à des chiffres : elle se respire, se mange, s’écoute et se célèbre au quotidien. Dans les rues d’Esch-sur-Alzette, de Differdange ou encore de Larochette, il suffit de tendre l’oreille pour entendre le portugais chantant résonner entre les terrasses, les commerces ou les salons de coiffure. Les restaurants portugais, véritables lieux de sociabilité, ne désemplissent pas, et proposent bacalhau, francesinha ou pastel de nata comme à Porto ou Lisbonne.

Les médias aussi témoignent de cette vitalité culturelle. Radio Latina 6, principale station lusophone du pays, rythme le quotidien de milliers d’auditeurs, tandis que le journal Contacto 7 informe et fédère la communauté autour d’enjeux communs. Les événements culturels et religieux, qu’il s’agisse des processions en l’honneur de Notre-Dame de Fátima, des festivals folkloriques ou des bals populaires organisés par les associations portugaises, ponctuent l’année avec une intensité qui transforme l’espace public en scène ouverte à la culture lusitanienne.
Cette richesse culturelle s’exprime également à travers l’art contemporain. Des artistes comme Edmond Oliveira 8, fils d’immigrés portugais, interrogent leur double appartenance dans des œuvres poignantes, souvent traversées par les thèmes de l’exil et de l’intégration. Paulo Lobo 9, photographe arrivé au Luxembourg enfant, capte dans ses clichés l’empreinte des Portugais dans le paysage urbain. Le collectif Borderlovers 10, avec ses portraits croisés de personnalités luxembourgeoises et portugaises, ou encore les fresques murales créées simultanément à Lisbonne et Esch-sur-Alzette, célèbrent une mixité féconde devenue constitutive de l’identité luxembourgeoise contemporaine.
Des racines préservées, un lien fort avec le Portugal
Malgré les décennies et l’éloignement géographique, le lien entre les Portugais du Luxembourg et leur terre d’origine reste profondément vivace. Chaque été, les routes vers le sud s’animent de convois familiaux rejoignant les villages du Minho, du Douro, de Trás-os-Montes ou de l’Alentejo, d’où sont issus nombre de migrants de la première heure. Ces retours au pays, souvent ritualisés, sont bien plus que de simples vacances : ils sont le ciment d’une mémoire, d’un attachement familial et identitaire.

Ce lien ne se limite pas aux voyages. Des cours de portugais, organisés en dehors du cadre scolaire, permettent aux jeunes générations nées sur le sol luxembourgeois de maîtriser la langue de leurs parents. Les associations culturelles jouent un rôle clé dans la transmission des traditions, de la gastronomie aux danses folkloriques, en passant par la musique populaire ou les fêtes religieuses. Pour beaucoup, il ne s’agit pas seulement de « garder la culture vivante », mais de revendiquer une identité biculturelle assumée.
Cela dit, cette transmission évolue. Certains jeunes Luso-Luxembourgeois, pleinement intégrés dans la société du Grand-Duché, choisissent d’explorer d’autres horizons et espacent leurs séjours au Portugal. Mais pour d’autres, le pays d’origine des parents reste une terre de cœur. Ce sentiment d’appartenance transgénérationnel s’exprime dans les choix de vie, les références culturelles, les prénoms donnés aux enfants, et parfois même dans l’envie de revenir vivre au Portugal après une carrière construite au Luxembourg.
Un avenir à construire entre reconnaissance et vigilance

Une intégration encore à approfondir
Si la deuxième génération affiche une insertion linguistique et culturelle bien réelle, l’accès à certains droits et opportunités reste inégal. Les jeunes Luso-Luxembourgeois maîtrisent les trois langues du pays, fréquentent les mêmes établissements scolaires que leurs camarades luxembourgeois, et participent activement à la vie sociale. Pourtant, des écarts persistent dans l’accès à l’emploi qualifié, aux postes à responsabilité ou à la fonction publique, où la langue luxembourgeoise est souvent un prérequis absolu.
La question du logement en est un autre révélateur : l’accès à la propriété reste difficile pour de nombreuses familles portugaises, freinées par des revenus modestes ou une précarité persistante. Par ailleurs, alors que le Luxembourg a facilité l’accès à la nationalité pour les résidents de longue date, le taux de naturalisation parmi les Portugais est en recul. Une évolution paradoxale, qui interroge sur les freins administratifs, les barrières symboliques ou les choix identitaires.
Un rôle croissant dans la société luxembourgeoise
Des figures comme Félix Braz, ancien ministre de la Justice, incarnent cette nouvelle génération issue de l’immigration, pleinement investie dans la vie publique. Mais derrière cette visibilité politique se cachent des milliers d’histoires d’engagement et de réussite. Des enseignants bilingues, des chefs d’entreprise, des architectes, des infirmières, des artistes, des cadres dans l’administration ou les banques, illustrent cette montée en puissance silencieuse mais réelle d’une communauté autrefois cantonnée aux métiers manuels.

Cette évolution reflète le basculement d’un statut d’immigré temporaire à celui de citoyen actif et durable. Dans les écoles, les syndicats, les associations sportives, la culture ou l’économie, les Portugais du Luxembourg sont désormais des acteurs de premier plan. Leur ancrage est profond, leur implication constante, leur apport essentiel à une société luxembourgeoise qui ne saurait se penser sans eux.
Préserver la mémoire, renforcer l’identité
La transmission de la mémoire est un enjeu clé pour les générations à venir. Face au risque d’assimilation ou de dilution culturelle, il devient essentiel de documenter, raconter, et faire vivre les récits individuels et collectifs. Les premiers migrants, souvent peu visibles dans les narrations officielles, doivent retrouver leur place dans l’histoire commune du Luxembourg. Leurs parcours, leurs sacrifices, leurs rêves méritent reconnaissance et valorisation.
Ce travail passe par des initiatives culturelles, éducatives et artistiques : documentaires, expositions, ateliers dans les écoles, archives communautaires, mais aussi par la promotion de la langue portugaise, des traditions orales ou culinaires. De nombreux projets naissent déjà localement, portés par des associations dynamiques ou des institutions publiques conscientes des enjeux de diversité.
Au-delà de la nostalgie, c’est une véritable démarche de reconnaissance mutuelle qu’il convient d’approfondir. Car entre le Portugal et le Luxembourg s’est tissée, en un siècle, une relation rare en Europe : une fraternité migrante devenue un lien structurant entre deux pays. La mémoire, si elle est cultivée avec soin, peut devenir le socle d’une identité partagée, à la fois ancrée et ouverte, fière de ses racines comme de ses branches.
Un destin partagé à bâtir
Au fil des décennies, les Portugais ont fait bien plus que s’installer au Luxembourg : ils ont participé à sa transformation. Ils ont façonné ses villes, bâti ses routes, animé ses quartiers, et enrichi sa vie culturelle. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement d’une présence étrangère intégrée, mais bien d’une part constitutive de l’identité luxembourgeoise contemporaine. De Differdange à Esch-sur-Alzette, il suffit d’écouter les conversations, de flâner dans les commerces ou de suivre les processions religieuses pour mesurer l’ampleur de cet ancrage.
Mais cette histoire d’union ne saurait se suffire à elle-même. Elle invite désormais à aller plus loin : à dépasser la tolérance pour atteindre la reconnaissance pleine et entière. Cela signifie favoriser l’accès des jeunes Luso-Luxembourgeois aux postes de direction, valoriser les compétences des primo-arrivants, repenser les politiques de logement ou d’éducation, et surtout, donner à la communauté portugaise une place équivalente à son importance réelle dans le tissu du pays. Une nation multiculturelle ne se contente pas d’être diverse : elle se construit dans l’égalité d’accès et la participation effective.
Le Portugal et le Luxembourg ont démontré qu’une relation entre pays d’émigration et d’immigration pouvait se fonder sur la confiance, le respect mutuel et la mémoire partagée. À l’heure où les débats sur l’identité, les frontières et la diversité agitent l’Europe, ce lien singulier offre un modèle précieux. Il appartient désormais aux deux sociétés – et à leurs citoyens – de faire vivre cette alliance unique, de la transmettre, et d’en faire un levier d’avenir. Car une histoire aussi féconde, aussi humaine, mérite d’être racontée non comme un chapitre clos, mais comme un destin commun en perpétuelle écriture.
- Differdange : https://differdange.lu ↩︎
- Larochette : https://www.visitlarochette.lu/fr ↩︎
- Esch-sur-Alzette : https://esch.lu ↩︎
- Données STATEC sur virgule.lu : https://www.virgule.lu/luxembourg/les-portugais-sont-les-nouveaux-pauvres-du-luxembourg/24081164.html ↩︎
- Rapport de l’ECRI (Commission européenne contre le racisme et l’intolérance) : https://rm.coe.int/sixieme-rapport-de-l-ecri-sur-le-luxembourg/1680ac8c46 ↩︎
- Radio Latina : https://www.latina.lu/ ↩︎
- Contacto : https://www.contacto.lu/ ↩︎
- Edmond Oliveira : https://edmondoliveira.lu/ ↩︎
- Paulo Lobo : https://paulobo.com/fr/accueil ↩︎
- Borderlovers : https://www.borderlovers.eu/ ↩︎