Pourquoi le Portugal s’appelle-t-il ainsi ? Derrière ce nom familier se cache une longue histoire, enracinée dans l’Antiquité, façonnée par les peuples celtes, les Romains, puis les rois chrétiens de la Reconquête. Bien avant que le Portugal ne devienne un royaume indépendant au XIIe siècle, ses terres portaient d’autres noms : Lusitanie au sud, Galecia (ou Galice) au nord. C’est dans cette trame historique et linguistique complexe que s’inscrit l’émergence du nom Portugal, héritage d’un lieu précis : Portus Cale.
Une mosaïque de peuples à l’ouest de l’Hispanie

À l’époque de la conquête romaine, l’actuel Portugal était habité par une diversité de peuples, souvent désignés de manière générique par les Romains comme « Lusitaniens » ou « Galaïques ». Ces communautés, pour beaucoup d’origine celtique, vivaient dans des castros, villages fortifiés perchés sur des hauteurs, et pratiquaient une forme de vie tribale structurée. Le territoire au nord du Douro relevait de la province de Gallaecia, tandis que le sud appartenait à la Lusitanie. Entre les deux, à l’embouchure du Douro, se trouvaient deux villes : Cale et son port, Portus Cale.
C’est cette épaisseur culturelle qui donnera à la région, bien plus tard, un terreau solide pour l’émergence d’une identité propre
Si l’on en croit les témoignages archéologiques, ces peuples développaient une culture matérielle riche, façonnée par un subtil mélange d’influences locales et continentales. Le travail du métal, notamment le bronze, y tenait une place centrale, tout comme l’élevage, la céramique ou les rituels funéraires. Leurs dieux, parfois sculptés dans la pierre, parfois invoqués dans des inscriptions latines postérieures, trahissent un panthéon syncrétique, à la croisée des traditions celtiques et pré-romaines. C’est cette épaisseur culturelle qui donnera à la région, bien plus tard, un terreau solide pour l’émergence d’une identité propre, distincte tant des Ibères du centre que des futurs Espagnols.
Les Galaïques, ancêtres celtes et urbanisation romaine

Braga, cœur de la Gallaecia
Les Galaïques formaient un ensemble de peuples celtes, dont les plus puissants étaient les Bracari, installés dans l’actuel nord du Portugal. Les Romains établirent sur leur territoire la ville de Bracara Augusta (l’actuelle Braga) qui deviendra la capitale de la province de Gallaecia. Ce centre politico-religieux structura la région pendant plusieurs siècles, y compris sous la domination des Suèves, peuple germanique installé après la chute de Rome. Ce noyau du nord portugais jouera un rôle crucial lors de la Reconquête chrétienne, amorçant la reconstitution d’un territoire unifié vers le sud.
Une étymologie entre mythe et linguistique
Plusieurs hypothèses entourent le terme Callaecia (ou Gallaecia). Pour certains érudits antiques, le nom viendrait du grec gala (lait), les Galaïques étant réputés pour leur peau claire. D’autres pistes plus sérieuses explorent des racines celtiques, comme cala, désignant une vallée fluviale entre montagnes, ou collis en latin, signifiant colline. Ce vocabulaire toponymique décrit bien la géographie du nord portugais. Les textes antiques alternent les formes Callaeci et Gallaeci, désignant les mêmes peuples, sans distinction claire dans l’orthographe.
De Cale à Portus Cale : un toponyme fondateur

La ville de Cale était située à la frontière sud de la Gallaecia, sur les deux rives du Douro. Une partie occupait ce qui est aujourd’hui Porto, l’autre, la ville actuelle de Gaia. Le port : Portus Cale, était le centre commercial de cette double cité. Bien que les Romains ne désignent pas encore la région par ce nom, le toponyme finit par s’imposer. Des monnaies du VIe siècle mentionnent déjà « Portocale », terme dérivé directement du latin. C’est de cette appellation que naîtra plus tard Portucale, nom du comté attribué à la région au IXe siècle, après sa conquête par le noble chrétien Vimara Peres 1 en 868.
Portus Cale, entre fleuve, commerce et identité
Située à la confluence stratégique du Douro et de l’Atlantique, la cité de Cale bénéficiait d’un positionnement naturel exceptionnel. Le port, installé sur la rive nord (actuel quartier de la Ribeira, à Porto), permettait un commerce fluide entre les provinces romaines et le monde extérieur. Quant à la rive sud, Gaia, elle servait d’arrière-port et de zone logistique. Ce binôme urbain formait un tout : Portus Cale n’était pas une ville, mais un ensemble économique et culturel, au carrefour des peuples et des influences.
L’usage du nom « Portus Cale » pour désigner la région ne se généralise toutefois qu’avec la période tardo-antique 2. Les vestiges archéologiques et numismatiques suggèrent que la toponymie latine a connu des évolutions phonétiques successives : de « Portus Cale » à « Portucale », puis « Portugal ». Mais derrière ces mots, c’est un glissement d’échelle qui s’opère : le nom d’un simple port devient celui d’un comté, puis d’un royaume. Un processus lent, mais profondément enraciné dans la géographie et l’histoire urbaine.
Le comté de Portucale et la naissance d’un royaume

Un territoire en quête d’indépendance
La Reconquête chrétienne redessine la carte politique de la péninsule ibérique. Le comté de Portucale, initialement vassal du royaume de León 3, prend progressivement son autonomie. C’est Afonso Henriques, premier roi du Portugal, qui scelle cette indépendance au XIIe siècle (1143) après plusieurs victoires militaires et un long processus diplomatique. Le nom Portugal est désormais attesté dans les documents officiels et s’étend progressivement à tout le territoire reconquis. Le port de Cale devient le noyau d’un État-nation en formation.
Contes ésotériques et mythe du Graal
Des théories ésotériques fleurissent au fil des siècles, notamment l’idée selon laquelle « Portugal » viendrait de « Porto do Graal », le port du Graal, en référence à la quête mystique des Templiers. Bien que séduisante, cette hypothèse repose sur des récits ésotériques modernes, comme ceux de l’artiste Lima de Freitas, et non sur des bases historiques sérieuses. Les Templiers ont effectivement joué un rôle dans la Reconquête, mais leur lien avec la toponymie portugaise relève de la fiction littéraire et symbolique, non de l’histoire.
Aux confins de la linguistique et de la géographie
D’autres interprétations, plus linguistiques que mystiques, suggèrent une origine pré-romaine du mot « Cale », issu d’une racine celte désignant un port ou un abri côtier, comme le terme caladh en gaélique. Selon cette lecture, « Portus Cale » signifierait simplement « port de la crique ». Une autre théorie avance un lien avec le mot latin collis (colline), en raison du relief marqué autour du Douro. Bien que moins fantaisistes que l’hypothèse du Graal, ces pistes restent débattues parmi les historiens et linguistes, faute de sources écrites claires sur l’étymologie protohistorique du nom.
Le Portugal moderne : un nom, un État, un rayonnement

Usage historique et continuité
Depuis 1143, date traditionnellement retenue pour la naissance du royaume, le nom « Portugal » figure avec constance dans les documents officiels, qu’ils soient diplomatiques, juridiques ou ecclésiastiques. D’abord limité au comté reconquis autour de Portus Cale, le toponyme s’étend progressivement à l’ensemble du territoire au fil des conquêtes contre les Maures. Le nom devient pleinement étatique avec la reconnaissance du royaume de Portugal par la papauté au milieu du XIIe siècle.
À travers les siècles, le mot « Portugal » n’a jamais été abandonné, même lors des crises politiques, des guerres de succession, ou de l’union dynastique avec l’Espagne (1580-1640). L’identité portugaise s’est toujours cristallisée autour de cette appellation, y compris dans l’exil ou la colonisation. On le retrouve sur les cartes maritimes, les traités internationaux, les blasons royaux et les monnaies. Le mot lui-même devient le symbole d’une autonomie linguistique, religieuse et politique dans une péninsule majoritairement hispanique.
De l’identité nationale à la communauté lusophone
Aujourd’hui, le nom Portugal ne désigne plus seulement un État situé dans le sud-ouest de l’Europe. Il est devenu un vecteur d’identité partagé par une large communauté internationale : celle des pays de langue portugaise (CPLP) 4. Cette organisation, créée en 1996, regroupe 9 États répartis sur 4 continents, de l’Angola au Brésil, du Timor oriental au Cap-Vert. Le terme « portugais », à la fois langue, culture et héritage historique, prend une dimension globale.
Le mot « Portugal » est également chargé d’un capital symbolique fort à l’échelle européenne. Membre fondateur de la zone euro et de l’espace Schengen, le pays a su projeter une image de stabilité, de dialogue et d’identité culturelle forte. De Lisbonne à Porto, le nom du pays s’affiche dans l’art, le sport, la gastronomie ou les marques nationales comme un sceau de singularité. Ainsi, ce toponyme né d’un ancien port romain continue d’irriguer, presque mille ans plus tard, les imaginaires et les appartenances du monde contemporain.
Portugal : un nom, une mémoire, une continuité
Portus Cale n’était au départ qu’un port parmi d’autres, mais il concentrait des flux commerciaux, militaires et religieux essentiels à la structuration du nord-ouest ibérique. Son nom devint celui d’un comté, puis d’un royaume, avant de désigner l’un des plus anciens États-nations d’Europe. Entre racines celtiques, administration romaine, luttes médiévales et reconstructions symboliques, le nom Portugal témoigne d’une continuité historique unique dans la péninsule Ibérique. En scrutant l’étymologie, la géographie et les récits anciens, on découvre qu’un simple nom peut encapsuler toute une civilisation, ses conflits, ses espoirs, et sa résilience.
- Vimara Peres : https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%ADmara_Peres ↩︎
- Époque tardo-antique : période de transition entre l’Antiquité classique et le Moyen Âge, généralement située entre le IIIe et le VIe siècle après J.-C., marquée par le déclin de l’Empire romain, l’émergence des royaumes dits « barbares » (comme les Wisigoths ou les Suèves) et des mutations profondes dans les structures politiques, sociales et religieuses. ↩︎
- Royaume de León : entité politique chrétienne née au IXᵉ siècle dans le nord-ouest de la péninsule Ibérique, issue de la division du royaume des Asturies ; il joua un rôle central dans la Reconquête et fut longtemps suzerain du comté de Portucale, ancêtre du Portugal. ↩︎
- CPLP : https://www.cplp.org/ ↩︎







