Luís Montenegro rompt avec les socialistes et se rapproche de Chega

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Deux mois après les élections législatives anticipées du 18 mai, le paysage politique portugais connaît un tournant majeur. Réélu à la tête du gouvernement, le Premier ministre de centre droit, Luís Montenegro, rompt avec la stratégie de compromis mise en place lors de son premier mandat pour s’aligner, de manière de plus en plus explicite, sur les positions du parti d’extrême droite Chega, désormais première force d’opposition. Une évolution qui soulève de vives inquiétudes au sein de la société civile, de l’opposition parlementaire, et même de la présidence de la République.

Un glissement stratégique assumé

Issu du Parti social-démocrate (PSD, centre droit), Luís Montenegro avait dirigé son premier mandat (2023–2024) en s’appuyant ponctuellement sur le soutien du Parti socialiste (PS), dans une logique de gouvernance modérée. Cette ère semble révolue. Arrivé en tête des élections de mai sans majorité absolue, M. Montenegro n’a pas réitéré l’option d’un gouvernement minoritaire soutenu par la gauche. Il a, au contraire, amorcé un rapprochement pragmatique avec Chega, formation populiste, nationaliste et anti-système, fondée en 2019, qui a réalisé une percée spectaculaire avec 22,76 % des voix et 60 sièges à l’Assemblée de la République.

Longtemps hostile à toute alliance avec l’extrême droite, promettant durant la campagne que « non, c’est non », le Premier ministre justifie désormais ce revirement par « l’arithmétique parlementaire que les Portugais ont choisie ». Dans les faits, Chega est devenu son principal partenaire législatif. Et ce soutien s’est déjà traduit par l’adoption de mesures controversées, notamment en matière de politique migratoire.

Une réforme migratoire sous tension

Le texte le plus emblématique de cette nouvelle orientation gouvernementale est un amendement à la loi sur les étrangers, voté le 16 juillet avec les voix conjuguées du PSD et de Chega. Le projet durcit les critères de regroupement familial (résidence de deux ans, logement, ressources), interdit pendant cinq ans l’accès au territoire aux personnes en situation irrégulière, et impose que les demandes de titre de séjour soient déposées à l’étranger. Il réserve également les permis de travail aux seuls profils « hautement qualifiés ».

Face à l’ampleur de ces restrictions, le président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa (lui-même issu du centre droit), a refusé de promulguer la loi dans l’immédiat. Le 24 juillet, il a saisi la Cour constitutionnelle pour en examiner la conformité, estimant que le texte pourrait violer les principes de l’unité familiale, de l’intérêt supérieur de l’enfant, et d’égalité de traitement. Selon le chef de l’État, la réforme pourrait prolonger la séparation familiale jusqu’à trois ans et demi et instaurer une discrimination systémique entre immigrés.

La rhétorique identitaire de Chega s’installe

Si cette réforme a été portée par le gouvernement, la signature idéologique est bien celle de Chega. Son leader, André Ventura, a multiplié les déclarations xénophobes ces dernières semaines. Lors du débat parlementaire, il a lu à haute voix une liste de noms d’enfants d’origine étrangère inscrits dans des crèches de Lisbonne, provoquant l’indignation des bancs de gauche.

Luís Montenegro, quant à lui, assume le durcissement de sa politique migratoire, affirmant que « l’amoncellement de personnes dans des tentes » ne saurait être considéré comme un « accueil digne ». Le nombre de résidents étrangers au Portugal a quadruplé depuis 2017, pour atteindre 1,5 million (15 % de la population), dans un contexte de régularisation large sous les gouvernements socialistes. Depuis juin, près de 34.000 ordres d’expulsion ont été émis, selon les chiffres gouvernementaux, et une unité spéciale de la police dédiée à l’immigration clandestine a été créée.

Le Parti socialiste marginalisé

Évincé du pouvoir après avoir détenu une majorité absolue en 2022, le Parti socialiste est aujourd’hui relégué au rang de troisième force politique, derrière Chega. Son nouveau dirigeant, José Luís Carneiro, a vivement dénoncé la nouvelle orientation du Premier ministre. « Le Premier ministre se jette dans les bras de l’extrême droite, passant du “non c’est non” au “oui c’est oui” », a-t-il déclaré. Il accuse le gouvernement de « légitimer un discours de haine » et de rompre avec les principes fondamentaux de la démocratie portugaise post-révolutionnaire.

Pour les observateurs, cette dynamique traduit une volonté du gouvernement de reconquérir l’électorat conservateur en s’appropriant les thématiques de Chega : immigration, identité, autorité. « Le gouvernement a aboli les lignes rouges face à la droite radicale et cherche désormais à concurrencer ses idées sur leur propre terrain », estime António Costa Pinto, politologue à l’Institut des sciences sociales de Lisbonne.

Une réforme de la nationalité déjà en préparation

La réforme migratoire pourrait n’être qu’un prélude. À la rentrée parlementaire, le gouvernement prévoit de débattre d’un projet de réforme de la loi sur la nationalité. Le texte envisagé prévoit un allongement des délais d’accès à la citoyenneté, ainsi que la possibilité de retirer la nationalité à des personnes naturalisées ayant commis des crimes graves. Des juristes s’inquiètent déjà d’une possible remise en cause du principe d’égalité entre citoyens portugais selon leur mode d’acquisition de la nationalité.

Ce projet s’inscrit dans une stratégie politique de clivage : fixer une frontière nette entre « Portugais de souche » et « étrangers naturalisés », dans un contexte de crispation sociale autour de l’immigration et de l’insécurité. Un positionnement qui fait écho à des dynamiques observées dans d’autres démocraties européennes, mais qui rompt avec le consensus politique qui, depuis la Révolution des Œillets, avait tenu à l’écart l’extrême droite.

Un tournant aux conséquences incertaines

Le rapprochement entre le gouvernement et Chega marque une nouvelle ère dans la vie politique portugaise. Longtemps resté à l’abri des poussées populistes qui ont affecté ses voisins, le Portugal voit aujourd’hui l’extrême droite devenir incontournable au Parlement, et peser sur les choix législatifs. Le renoncement de Luís Montenegro à ses engagements initiaux traduit à la fois un pragmatisme politique et une fragilité structurelle du centre droit, contraint de composer avec une base parlementaire éclatée.

La réaction de la Cour constitutionnelle sur la réforme migratoire sera un test. Si elle en invalide tout ou partie, le gouvernement devra revoir sa copie, au risque de tensions avec Chega. À l’inverse, une validation pourrait ouvrir la voie à une série de textes inspirés du programme du parti d’André Ventura.

Le Portugal entre ainsi dans une phase de recomposition politique, marquée par l’érosion des partis traditionnels, l’institutionnalisation de l’extrême droite, et la fragmentation des équilibres parlementaires. Une configuration inédite depuis la transition démocratique, qui interroge sur la capacité du pays à préserver ses fondamentaux constitutionnels face aux pressions populistes.

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