Réunis en séance plénière mercredi 16 juillet, les députés portugais ont adopté une nouvelle loi modifiant en profondeur le cadre juridique applicable à l’entrée et au séjour des étrangers au Portugal. Ce tournant politique majeur a été rendu possible grâce à l’alliance conjoncturelle entre le Parti social-démocrate (PSD), le CDS-PP et le parti d’extrême droite Chega. Le texte a également bénéficié de l’abstention stratégique de l’Initiative libérale (IL), bien que celle-ci ait dénoncé un processus législatif « précipité » et « dépourvu des garanties minimales ». À gauche, l’ensemble des partis a voté contre, évoquant l’absence de consultations obligatoires et le non-respect du cadre constitutionnel.
Un processus parlementaire critiqué et une législation jugée précipitée
Les débats autour du texte ont été marqués par de vives tensions. Plusieurs formations de l’opposition ont dénoncé l’adoption expéditive d’un texte aux conséquences lourdes, sans que les avis préalables des instances constitutionnelles ni les auditions des associations de défense des droits des immigrés n’aient été respectés. En commission des Affaires constitutionnelles, ces mêmes lacunes avaient déjà été pointées, mais la majorité de droite a persisté, imposant un rythme législatif jugé « inadmissible » par Rui Rocha (IL). Le député a notamment fustigé l’introduction de propositions législatives « à la 25ème heure », qui ont empêché une évaluation juridique et sociale complète du dispositif.
Une absence de débat
Le cœur des critiques porte sur l’absence de débat démocratique réel, dans un domaine pourtant sensible. L’opposition y voit une tentative délibérée de faire passer une réforme structurante sans réel contrôle parlementaire. Le PS a dénoncé une législation menée « à marche forcée », accusant le gouvernement de chercher l’appui de Chega pour faire passer une orientation politique conservatrice sous couvert d’urgence administrative.
Ce manque de concertation est d’autant plus problématique que la réforme concerne des pans essentiels de la politique migratoire : regroupement familial, délivrance de titres de séjour, et création d’une nouvelle unité de contrôle aux frontières. Une réforme « de rupture », selon ses détracteurs, qui entérine une logique de fermeture et de suspicion vis-à-vis des flux migratoires, dans un pays historiquement tourné vers l’accueil.
Pour Rui Rocha, la procédure suivie ne garantit ni la qualité du droit, ni sa constitutionnalité. « C’est une législation délicate », a-t-il résumé, estimant que le gouvernement aurait dû suspendre l’examen du texte en attendant les avis des instances concernées.
Les principales mesures adoptées
Des restrictions renforcées sur les titres de séjour et le regroupement familial
Le nouveau texte introduit une série de restrictions à l’accès au territoire portugais. Désormais, seuls les immigrés hautement qualifiés pourront prétendre à un visa pour chercher un emploi. Les visas de courte durée ou de séjour temporaire seront également strictement encadrés. Cette mesure vise à réduire les demandes présentées par des ressortissants de pays exemptés de visa, notamment le Brésil et le Timor-Leste, dont les citoyens perdaient une possibilité importante de régularisation depuis le territoire.
Autre changement de taille : le regroupement familial sera désormais conditionné à une résidence légale d’au moins deux ans. Cette disposition, dénoncée par plusieurs ONG et par les partis de gauche, retarde la possibilité pour les immigrés de faire venir leurs proches et pourrait fragiliser leur insertion sociale. Selon les associations de défense des droits des étrangers, cette mesure affectera en premier lieu les travailleurs régularisés récemment, souvent en situation de grande précarité.
La création d’une unité de police spécialisée : la UNEF
Le texte entérine également la création de la Unidade Nacional de Estrangeiros e Fronteiras (UNEF), au sein de la PSP (police de sécurité publique), destinée à remplacer certaines fonctions jadis exercées par le SEF (Service des étrangers et des frontières), dissous en 2023. Cette nouvelle structure aura pour mission principale le contrôle des frontières aéroportuaires, la surveillance de la régularité des séjours, ainsi que la gestion des procédures d’expulsion et de retour volontaire ou contraint.
Selon le gouvernement, la création de la UNEF permettra une meilleure efficacité dans l’application des décisions de retour, aujourd’hui partiellement gérées par l’AIMA (Agence pour l’intégration, les migrations et l’asile). L’UNEF hérite de certaines prérogatives de cette dernière, jugée inefficace par l’exécutif. Parmi ses fonctions : la gestion des dossiers de réadmission, l’élaboration de normes techniques de contrôle, ou encore l’instruction de procédures de contrevenants.
La gauche parlementaire a exprimé sa vive inquiétude face à ce retour d’une structure de contrôle centralisée, regrettant l’absence de garanties juridiques pour éviter les dérives. Pour le PCP, il s’agit d’une « régression institutionnelle » déguisée, qui renforce les logiques sécuritaires au détriment de l’accompagnement social et administratif.
Un projet à visée idéologique assumée
Derrière ce virage législatif, c’est une philosophie politique qui se dessine plus nettement. L’objectif affiché est de mettre fin à ce que les partis de droite appellent une « politique de portes ouvertes », promue par les gouvernements socialistes successifs depuis 2015. Avec une population étrangère passée de 400.000 à plus de 1,5 million en moins d’une décennie, le Portugal a connu une transformation démographique rapide que la droite juge insuffisamment encadrée.
Vanessa Barata, députée de Chega, a salué une réforme nécessaire « pour restaurer l’autorité de l’État » et corriger des années d’« irresponsabilité migratoire ». À l’inverse, Pedro Delgado Alves (PS) dénonce une capitulation du gouvernement face aux exigences de l’extrême droite, qui impose progressivement son agenda à une majorité fragilisée.
Ce repositionnement en matière migratoire est emblématique du glissement du centre vers la droite observé au sein du gouvernement de Luís Montenegro, arrivé au pouvoir en mars 2024. S’il s’agit pour l’exécutif de répondre à une partie de l’opinion publique sensible aux enjeux de sécurité et de cohésion, cette nouvelle orientation soulève des questions de fond sur l’avenir du modèle portugais d’intégration, longtemps cité en exemple au sein de l’Union européenne.
Vers une politique d’immigration plus sélective
La refonte du régime d’entrée et de séjour s’inscrit dans une logique de sélection accrue des profils migratoires. L’intention déclarée est de favoriser l’immigration « utile », composée de travailleurs hautement qualifiés, en phase avec les besoins du marché du travail. Cette approche, qui privilégie les critères économiques et sécuritaires, rompt avec une vision plus inclusive défendue auparavant.
La suite du calendrier législatif
Un troisième texte, visant à réformer en profondeur l’accès à la nationalité portugaise, fait encore l’objet de tractations en coulisse. Plusieurs députés s’interrogent sur la conformité de ses dispositions au droit constitutionnel, notamment en ce qui concerne les délais de résidence et les critères de filiation. Le gouvernement, pour l’heure, s’est dit prêt à réviser certains aspects, sans pour autant renoncer à son objectif de durcissement global de la politique migratoire.
Récapitulatif des principales mesures de la loi
| Mesure | Ancien régime | Nouveau dispositif |
|---|---|---|
| Visa pour recherche d’emploi | Accessible à tout ressortissant étranger | Réservé aux profils hautement qualifiés |
| Regroupement familial | Dès l’obtention du titre de séjour | Attente obligatoire de 2 ans |
| Demande de régularisation sur place | Possible pour certains pays (ex : Brésil) | Supprimée |
| Unité de contrôle des étrangers | Fonctions réparties entre plusieurs entités | Création de la UNEF au sein de la PSP |
Un tournant politique lourd de conséquences
Ce vote marque une inflexion majeure dans la politique d’immigration portugaise. Le consensus historique autour d’un modèle d’accueil équilibré, qui avait permis au pays de se démarquer dans le contexte européen, semble désormais rompu. En choisissant de s’aligner partiellement sur les positions défendues par Chega, le gouvernement ouvre une séquence politique nouvelle, marquée par une priorisation des enjeux de contrôle, de sélection et de retour forcé.
Si certains saluent une réponse nécessaire à l’augmentation rapide des flux migratoires, d’autres s’inquiètent de la tournure idéologique que prend le débat. Le risque, selon de nombreux observateurs, est de faire glisser la politique migratoire vers une logique purement utilitariste, au détriment de la cohésion sociale et des droits fondamentaux. L’absence de consultation des acteurs de terrain, notamment des associations d’immigrés et des experts en droit constitutionnel, fragilise d’autant plus la légitimité d’un texte aux implications profondes et durables.
Le Portugal, qui comptait fin 2024 près de 15 % de population étrangère, entre dans une nouvelle ère migratoire. La question reste désormais posée : ce recentrage sécuritaire permettra-t-il d’apporter des réponses structurelles aux défis posés par l’immigration, ou inaugurera-t-il une période d’instabilité législative, nourrie de clivages politiques profonds et d’injonctions contradictoires ?







