Le gouvernement portugais vient d’approuver en Conseil des ministres un ensemble de mesures visant à réformer en profondeur la politique d’immigration et les critères d’acquisition de la nationalité. Ces propositions, qui marquent un tournant vers une plus grande exigence, visent à renforcer le lien effectif entre les candidats et la communauté nationale portugaise. Dans un contexte post-pandémique marqué par sept années d’une immigration jugée désordonnée et une flexibilité législative accrue, le gouvernement défend une vision plus rigoureuse, fondée sur l’appartenance véritable au tissu social du pays.
Des délais de résidence allongés pour les demandes de naturalisation
Le changement le plus emblématique concerne la durée de résidence légale nécessaire pour prétendre à la nationalité par naturalisation. Elle passe de 5 à 7 ans pour les ressortissants des pays lusophones, et à 10 ans pour les autres nationalités. Autre changement de taille : le point de départ du délai ne sera plus la date de dépôt de la demande, mais celle de l’obtention du titre de séjour. Cette mesure vise à s’assurer d’une présence effective, durable et régularisée sur le territoire national.
Les demandeurs devront désormais justifier d’une connaissance suffisante de la langue portugaise, mais aussi de la culture du pays et des droits et devoirs fondamentaux de la République portugaise. Des tests d’évaluation seront introduits, accompagnés d’une déclaration personnelle solennelle d’adhésion aux principes de l’État de droit démocratique.
Des critères de naturalisation resserrés

Règles plus strictes pour les enfants nés au Portugal de parents étrangers
Autre changement significatif : pour les enfants nés sur le sol portugais de parents étrangers, la nationalité ne sera plus octroyée automatiquement. Les parents devront désormais justifier d’une résidence légale depuis au moins trois ans. De plus, une manifestation explicite de volonté sera nécessaire pour activer la procédure de naturalisation.
Durcissement des critères liés au casier judiciaire
Le niveau d’exigence concernant le parcours judiciaire des candidats sera également relevé. Alors que jusqu’à présent seules les peines supérieures à trois ans entraînaient une exclusion, toute condamnation à une peine de prison ferme sera désormais un motif d’inéligibilité. Cette mesure traduit une volonté politique affirmée de conditionner l’acquisition de la nationalité à un comportement citoyen exemplaire.
Fin de certains régimes spéciaux
Le gouvernement prévoit aussi la suppression du régime exceptionnel de naturalisation des descendants de juifs séfarades portugais, mis en place en 2015. Par ailleurs, des restrictions seront introduites dans le processus de naturalisation par ascendance portugaise, limitée jusqu’à la 3ème génération (arrière-petits-enfants). Ces mesures visent à recentrer l’accès à la nationalité sur des liens contemporains et effectifs avec le pays. Elles s’inscrivent dans une volonté politique de contrôle plus strict des naturalisations considérées comme symboliques ou purement opportunistes.
Nouveau cadre pour la politique migratoire et le contrôle des frontières
En parallèle de ces réformes, une Unité nationale des étrangers et des frontières sera créée au sein de la Police de sécurité publique (PSP). Cette nouvelle entité aura pour mission le contrôle aux frontières, la surveillance du territoire national, et l’expulsion des personnes en situation irrégulière. Le ministre a rejeté l’idée de recréer de toutes pièces l’ancien SEF ou de transformer l’AIMA en police, jugeant ces options inadaptées.
Une main tendue à l’électorat Chega ?
À la lecture de ces nouvelles mesures, certains observateurs n’hésitent pas à voir dans cette réforme un signal politique adressé à l’électorat conservateur, et plus particulièrement à celui du parti Chega. Si le gouvernement actuel, issu d’une majorité de centre-droit (AD), se garde de toute rhétorique ouvertement populiste, le durcissement des conditions d’accès à la nationalité et le recentrage sur une « appartenance effective » s’inscrivent dans une logique que Chega défend depuis plusieurs années.
Le durcissement des règles de résidence, la fin de la naturalisation automatique des enfants nés sur le sol portugais de parents étrangers, ou encore la suppression du régime spécial pour les juifs séfarades sont autant de mesures susceptibles de répondre aux préoccupations identitaires exprimées par une frange croissante de l’électorat. Le gouvernement cherche ainsi à reprendre la main sur les questions migratoires, tout en évitant que ces thèmes soient confisqués par l’extrême droite.
Cette stratégie, qui consiste à déplacer le curseur vers une politique plus rigoureuse sans adopter les discours radicaux, rappelle celle d’autres gouvernements européens soucieux d’endiguer la montée des partis nationalistes. En adoptant des critères plus stricts en matière de « comportement civique », de connaissance culturelle et linguistique, le gouvernement portugais affirme une vision républicaine et exigeante de la citoyenneté, mais qui peut aussi être perçue comme une concession implicite à des revendications identitaires plus tranchées.
Une réforme qui pourrait pénaliser l’intégration réussie
Selon certaines voix de l’opposition, en allongeant les délais de résidence et en appliquant ces règles rétroactivement, le Portugal risque de désavantager précisément ceux qui ont fait le choix réfléchi de s’y établir durablement. De nombreux professionnels, chercheurs, entrepreneurs ou retraités actifs, intégrés dans la société portugaise, pourraient voir leur parcours interrompu ou repoussé, non pas pour défaut d’intégration, mais pour une simple question de nationalité d’origine.
Leur engagement économique, culturel et linguistique démontre souvent une volonté d’appartenance bien plus forte que certains profils bénéficiant de régimes simplifiés. Pourtant, cette réforme, conçue pour limiter les abus, omet de distinguer la simple résidence administrative de l’ancrage véritable au sein de la communauté nationale. Des modèles comparables, aux Pays-Bas ou à Singapour, montrent qu’il est possible d’allier rigueur et reconnaissance des efforts concrets d’intégration. En ne tenant pas compte du temps déjà passé sur le territoire ou des contributions avérées, la réforme actuelle envoie un signal d’instabilité, risquant de décourager les talents étrangers les plus engagés.
Plutôt que d’unifier arbitrairement les critères, une approche plus équitable consisterait à valoriser les trajectoires d’intégration méritantes. Car c’est justement dans cette reconnaissance que la citoyenneté trouve sa légitimité et sa force d’attraction.
Vers une redéfinition du « peuple portugais »
Ces nouvelles règles visent, selon le ministre de la Présidence António Leitão Amaro, à répondre à une impératif d’« appartenance robuste et durable à la communauté portugaise ». Dans cette optique, la nationalité ne constitue pas un simple droit administratif, mais un véritable lien politique entre un individu et la communauté nationale, incluant des droits mais aussi des devoirs fondamentaux.
Cette inflexion marque un tournant assumé par l’exécutif portugais : celui d’une nationalité non plus facilitée, mais méritée, à l’heure où le pays cherche à revaloriser les contours de son identité politique et de sa souveraineté démocratique.