Le tram 28, avec son allure rétro et ses trajets sinueux à travers les collines de Lisbonne, est devenu bien plus qu’un simple moyen de transport. C’est une icône de la capitale portugaise, un incontournable pour les visiteurs… et un casse-tête pour les résidents. Face à une pression touristique croissante, l’opérateur Carris cherche désormais des solutions pour concilier les attentes des voyageurs et les besoins quotidiens des Lisboètes.
Un tram mythique, mais saturé
Depuis sa remise en service le 19 mai dernier, après plusieurs mois de travaux ayant fait perdre plus d’un million de passagers, le tram 28 connaît à nouveau une affluence massive. La ligne, qui relie Martim Moniz à Campo de Ourique, attire une file d’attente impressionnante, bien plus que la ligne de bus 12, pourtant voisine. « C’est la marque qui fait la différence« , explique Pedro de Brito Bogas, président de Carris. « À Martim Moniz, il n’y a pas de queue pour le 12, mais elle est interminable pour le 28.«
Pour les usagers réguliers, cette popularité a un coût : retards, inconfort et difficulté à monter à bord. Les tramways, malgré leur charme, se révèlent souvent moins pratiques que les bus, surtout lorsqu’ils sont bondés ou gênés par un stationnement anarchique. Carris a ainsi investi dans de nouveaux minibus, mieux adaptés aux ruelles étroites du parcours. Trois autres véhicules sont en cours d’acquisition.
Vers des files séparées entre résidents et touristes ?
Faut-il organiser l’accès au tram 28 en distinguant les résidents des touristes ? L’idée est envisagée, mais se heurte à des obstacles juridiques. « Si quelqu’un possède un billet valide, il est difficile de lui dire ‘vous ne pouvez pas monter’ », reconnaît Pedro de Brito Bogas. Carris prépare donc une demande de clarification auprès de l’Autorité de la mobilité et des transports (AMT) 1, pour explorer les marges de manœuvre légales.
Le système existe déjà ailleurs dans la ville. L’ascenseur de Santa Justa, pris d’assaut par les visiteurs, applique depuis plusieurs années un filtrage entre usagers quotidiens et touristes. Une mesure similaire pourrait être étendue au funiculaire de Graça, sous réserve d’un feu vert réglementaire.
Une pression liée à l’essor touristique
Le cas du tram 28 est emblématique d’un phénomène plus large. En 2024, Lisbonne a enregistré 21 millions de nuitées, soit une hausse de 4 % par rapport à l’année précédente, selon les données de l’Institut national de la statistique (INE) 2. La capitale concentre à elle seule 26 % de la demande touristique nationale, avec des recettes atteignant 2,1 milliards d’euros sur l’année.
Cette dynamique fait de Lisbonne un moteur du tourisme portugais, mais aussi un territoire soumis à de fortes tensions d’usage. Entre attractivité internationale et qualité de vie locale, les arbitrages deviennent de plus en plus nécessaires. Pour Carris 3, opérateur public qui gère 777 bus, 64 tramways, trois funiculaires et un ascenseur avec plus de 2500 employés, l’enjeu est double : préserver le caractère emblématique de ses lignes tout en assurant un service fluide, inclusif et équitable.
Un défi d’image autant que de mobilité
Au-delà de la logistique, la saturation du tram 28 soulève une question de perception. Le véhicule est devenu un symbole, un objet de désir touristique qui échappe parfois à sa vocation première. Pour Pedro de Brito Bogas, le véritable enjeu est celui de la capacité : « Le problème n’est pas la clientèle, mais le volume. Nous devons adapter les moyens au prestige de la ligne, sans la dénaturer.«
Lisbonne, ville-palimpseste, où l’histoire dialogue avec la modernité, devra donc écrire une nouvelle page de sa mobilité urbaine. Une page où résidents et visiteurs trouveront, ensemble, leur place dans les rails d’un tram qui n’a pas fini de faire parler de lui.