Selon une étude récente publiée dans la Revue d’Études Économiques de Banco de Portugal, depuis 2017, le marché immobilier portugais affiche des signes clairs de surévaluation. En dix ans, les prix des logements au Portugal ont augmenté de 83 % en termes réels, contre seulement 28 % en Espagne. Ces chiffres alarmants traduisent une tension persistante sur le marché résidentiel portugais, où la demande écrase une offre insuffisante.
Un marché dopé par la demande et freiné par l’offre
Entre 2014 et 2023, le Portugal a enregistré une croissance annuelle moyenne des prix immobiliers de 6 %, soit plus du double de celle observée en Espagne (moins de 3 %). Selon les auteurs de l’étude (Rita Fradique Lourenço, Afonso Moura et Paulo Rodrigues) 1, cette hausse est principalement alimentée par une demande élevée, non compensée par l’offre. L’insuffisance de logements disponibles est devenue un frein structurel, aggravant l’accès au logement pour les ménages portugais.
La pandémie a accentué ces tensions. Alors que l’investissement résidentiel avait ralenti en 2020, il a rebondi fortement en 2021, une fois de plus tiré par une demande dynamique. En revanche, le resserrement monétaire initié par la Banque Centrale Européenne (BCE) en 2022 a temporairement freiné les investissements et les prix, avant qu’ils ne repartent à la hausse en fin de 2023, toujours guidés par une pression croissante de la demande.
Une comparaison avec l’Espagne
Contrairement au Portugal, le marché immobilier espagnol n’a pas connu de flambée comparable. Après une hausse modérée pendant la pandémie, les prix en Espagne se sont stabilisés, restant dans leur moyenne historique. Cette différence s’explique par une meilleure adaptation de l’offre à la demande, notamment grâce à des politiques publiques favorisant la construction.
Cette gestion contrastée entre les deux pays met en lumière l’impact d’une offre insuffisante sur les prix immobiliers portugais. Là où l’Espagne a su atténuer les pressions par une augmentation de l’offre, le Portugal continue de souffrir d’un déséquilibre structurel.
Des prix qui excluent les ménages modestes
En 2023, le prix médian des logements familiaux au Portugal atteignait 1 611 euros/m², avec des régions comme Lisbonne (2740 euros/m²) ou l’Algarve (2613 euros/m²) largement au-dessus de la moyenne nationale. Ce contexte rend l’accès à la propriété de plus en plus difficile pour les ménages portugais. Selon le Fonds Monétaire International (FMI) 3, en 2023, les paiements hypothécaires représentaient 32,8 % du revenu médian, contre 23,8 % quatre ans plus tôt 4.
Le FMI alerte également sur le fait qu’un ménage au revenu médian ne peut plus, en 2023, accéder à une hypothèque pour un logement de prix médian. Cette situation reflète une détérioration continue de l’accessibilité au logement, exacerbée par la hausse rapide des prix immobiliers.
Une crise de l’offre persistante
La surévaluation des prix au Portugal résulte en grande partie d’une crise de l’offre. La pénurie de logements disponibles, combinée à des obstacles réglementaires et administratifs, freine la construction. Le manque de main-d’œuvre dans le secteur accentue encore ce déséquilibre.
Des initiatives récentes, comme le programme gouvernemental « Construire le Portugal« , visent à réduire les barrières à la construction. Ce programme, s’il est bien mis en œuvre, pourrait atténuer certaines des causes fondamentales de la pénurie de logements et, à terme, réduire la pression sur les prix.
Vers une impasse pour les ménages portugais ?
En 2023, environ 2/3 des dépenses des ménages portugais étaient consacrés au logement. Avec des prix qui continuent de grimper et des revenus qui peinent à suivre, les perspectives s’assombrissent pour les ménages les plus modestes. Sans une intervention significative sur l’offre et une régulation efficace du marché, l’accessibilité au logement risque de devenir un défi insurmontable pour de nombreux Portugais.
Quelles solutions pour un marché plus équilibré ?
Pour corriger ces déséquilibres, plusieurs pistes doivent être envisagées :
- Accroître l’offre de logements grâce à une simplification des procédures administratives et à des incitations à la construction.
- Encourager des politiques fiscales pour freiner la spéculation immobilière.
- Mettre en place des programmes d’aide à l’accession pour les ménages à revenu modeste.
- Renforcer la régulation des prix pour éviter de nouvelles surévaluations.
Si ces mesures sont adoptées, le Portugal pourrait progressivement rééquilibrer son marché immobilier et améliorer l’accès au logement pour ses citoyens. Dans le cas contraire, la surévaluation persistante des prix pourrait aggraver les inégalités et exclure une part croissante de la population du rêve de devenir propriétaire.
Notes et sources :
- Voir l’étude complète de Banco de Portugal (en anglais) : https://www.bportugal.pt/sites/default/files/documents/2024-10/RE202413_en_0.pdf/RE202413_en.pdf ↩︎
- A propos des graphiques : Les prix des logements correspondent à un indice de prix hédonique (c’est-à-dire ajusté en fonction de la qualité des logements : prix au mètre carré, taille et emplacement) pour les logements neufs et existants achetés sur le marché résidentiel.
Dans le cas du Portugal, l’indice agrégé des prix des logements est calculé par l’Instituto Nacional de Estatística (INE) depuis 2009 et, auparavant, par Confidencial Imobiliário. Sources : INE, Confidencial Imobiliário, BCE et calculs des auteurs. ↩︎ - On en parlait déjà en décembre 2023 : Le marché immobilier portugais surévalué de 20% selon le FMI ↩︎
- Donnée de l’INE (Institut National de Statistique) https://www.ine.pt/xportal/xmain?xpid=INE&xpgid=ine_destaques&DESTAQUESdest_boui=593987855&DESTAQUESmodo=2 ↩︎