La face cachée des excédents budgétaires du Portugal

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Alors que de nombreux pays européens, à commencer par la France, peinent à retrouver un cap en matière de finances publiques, le Portugal affiche une trajectoire à contre-courant : une discipline budgétaire affirmée, deux années d’excédent consécutives et une dette en nette régression. Pourtant, derrière ces chiffres flatteurs, se dessine une réalité plus contrastée, marquée par des tensions sociales persistantes, une crise du logement structurelle, et une stratégie économique qui fait débat. Ce modèle, présenté comme exemplaire, mérite d’être examiné sous toutes ses coutures.

Un redressement spectaculaire des finances publiques

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De la crise à l’excédent : une décennie de rigueur

Le Portugal sortait en 2011 d’une des crises les plus sévères de son histoire contemporaine : dette publique explosive, plan de sauvetage international, austérité drastique. Entre 2010 et 2014, sous contrainte de ce que les portugais appellent la « troïka » (BCE, FMI, Commission européenne), le pays engage des réformes de grande ampleur : privatisations, hausse de la TVA, suppression de postes dans la fonction publique, gel des salaires. Ces mesures, douloureuses sur le plan social, ont permis un redressement progressif des comptes publics.

En 2023, le Portugal affichait un excédent budgétaire de +1,2 % du PIB, ramené à +0,5 % en 2024. Selon les prévisions du gouvernement, l’excédent atteindrait encore +0,3 % en 2025, puis +0,1 % en 2026, selon le projet de budget présenté à l’Assemblée, plaçant Lisbonne dans le cercle restreint des États européens en excédent, avec l’Irlande ou Chypre. La dette publique, qui culminait à 132 % du PIB en 2014, devrait descendre à 87,8 % en 2026.

Une stratégie économique orientée vers l’attractivité

Ce redressement ne s’est pas fait au détriment de la croissance. En misant sur l’accueil des investissements étrangers, le tourisme, et une fiscalité avantageuse pour les résidences secondaires, le Portugal a reconstruit une économie de services dynamique. Entre 2015 et 2019, le pays vit ce que certains économistes ont appelé un « miracle économique« .

Le développement du numérique, les incitations fiscales ciblées et l’utilisation efficace des fonds européens post-Covid ont renforcé l’attractivité du pays. Les entreprises françaises sont aujourd’hui présentes en nombre, deuxièmes investisseurs étrangers derrière l’Espagne.

Une stratégie sociale sous pression

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Des réformes fiscales à double vitesse

Le projet de budget 2026 prévoit une baisse de l’impôt sur les sociétés (de 21 % à 20 %), une revalorisation du salaire minimum (920 euros) et des pensions de retraite modestes, tout en allégeant partiellement l’impôt sur le revenu. Mais en parallèle, les recettes issues des taxes comportementales (alcool, tabac, sodas) et des redevances diverses explosent.

Les recettes attendues des amendes et sanctions augmentent de 43,2 %, frôlant les 466 millions d’euros. Les frais pour licences, autorisations et frais judiciaires augmentent aussi fortement. Ces « ressources annexes » devraient rapporter 3,79 milliards d’euros en 2026. Le risque d’une pression fiscale indirecte sur les classes moyennes et populaires n’est pas à exclure.

Une crise du logement structurelle

Malgré une enveloppe de 930 millions d’euros prévue pour la politique de l’habitat, le Portugal est confronté à une flambée de l’immobilier : +124 % depuis 2015, selon Eurostat. Le développement du tourisme, des locations courte durée et l’intérêt des investisseurs étrangers ont alimenté une bulle qui fragilise l’accès au logement des jeunes actifs. Près d’un tiers des Portugais de 15 à 39 ans vivent aujourd’hui à l’étranger.

Le marché locatif, en particulier dans les grandes villes comme Lisbonne ou Porto, reste fortement sous tension. Les mesures ponctuelles de régulation, telles que le plafonnement des loyers, l’encadrement fiscal, peinent à produire des effets durables face à une offre toujours insuffisante. Cette pénurie chronique de logements accessibles renforce les inégalités territoriales, accroît les mobilités contraintes et alimente le sentiment d’exclusion de toute une partie de la jeunesse portugaise.

Un climat politique marqué par le repli identitaire

L’exaspération face aux inégalités sociales, aux difficultés d’accès au logement et à la précarité salariale nourrit aussi un malaise identitaire croissant, que certains partis exploitent politiquement. Le parti d’extrême droite Chega, en particulier, a su capter une partie du mécontentement populaire, en désignant les immigrés, les minorités ou les bénéficiaires d’aides sociales comme responsables d’un système perçu comme injuste.

Cette rhétorique, souvent empreinte de xénophobie et de nostalgie nationaliste, progresse dans les urnes comme dans le débat public. Chega s’est imposé comme force politique en misant sur une ligne sécuritaire, anti-élite et anti-immigration. Ses relais dans certains médias et sur les réseaux sociaux participent à la banalisation d’un discours de division, qui fracture la cohésion sociale dans un pays historiquement marqué par l’émigration.

Si les tensions économiques peuvent justifier une partie du désenchantement, le glissement idéologique observé pose une question plus large : celle de la capacité des institutions à contenir les excès populistes, tout en répondant aux urgences sociales. Dans ce contexte, chaque arbitrage budgétaire ne joue pas seulement sur l’économie, il reconfigure aussi les lignes de fracture politique et sociale du pays.

Les limites d’un modèle

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Un succès macroéconomique, mais une fracture sociale persistante

Le Portugal affiche un taux de chômage faible (6 % prévu en 2026) et une croissance modérée mais continue (+2 % attendus en 2025). Pourtant, la structure de son économie soulève des interrogations. Forte dépendance au tourisme, faiblesse des salaires réels, dégradation de l’école publique et exode des jeunes diplômés composent une réalité plus contrastée que celle reflétée par les indicateurs macroéconomiques.

Le pays a reconstruit sa stabilité budgétaire en s’appuyant sur une stratégie de compétitivité par les coûts, qui s’est traduite par une modération salariale durable. En 2026, le salaire minimum devrait atteindre 920 euros bruts mensuels, le plus bas d’Europe de l’Ouest. Cette situation limite la progression du pouvoir d’achat, fragilise la consommation intérieure et alimente un sentiment de stagnation, en particulier chez les jeunes actifs qualifiés. Faute de perspectives économiques ou immobilières, nombre d’entre eux optent encore pour l’émigration.

Une génération qui s’exile

Depuis le déclenchement de la crise de la dette en 2010, le Portugal a vu partir une part importante de sa jeunesse. Selon les estimations de la Commission européenne et de l’OCDE, près d’un tiers des Portugais âgés de 15 à 39 ans vivent aujourd’hui à l’étranger, un chiffre sans équivalent dans l’Union européenne. Cette « saignée démographique » concerne surtout les diplômés, les jeunes actifs qualifiés et les étudiants.

Ce phénomène, amorcé avec le plan d’austérité de 2011, perdure malgré l’amélioration des fondamentaux économiques. Car les freins au retour sont nombreux : faibles salaires, précarité du logement, manque de perspectives professionnelles. Beaucoup restent durablement installés en France, en Suisse, en Allemagne, au Brésil, au Canada, au Royaume-Uni et une bonne part d’entre eux sont même illégaux aux USA !

Les conséquences sont profondes. À moyen terme, cet exode réduit le potentiel productif, fragilise les régimes sociaux et accentue les déséquilibres territoriaux. Face à cela, le défi du retour des talents et de l’attractivité des régions reste entier. Mais les outils budgétaires mis en œuvre semblent encore insuffisants pour inverser durablement la tendance.

Un contexte politique sous tension

La majorité de centre-droit dirigée par Luís Montenegro reste minoritaire au Parlement. Pour faire adopter le budget 2026, elle devra compter sur l’abstention, ou le soutien implicite, du Parti socialiste ou de Chega, le parti d’extrême droite désormais deuxième force du pays. Le vote final, prévu le 27 novembre, s’annonce décisif.

Dans ce contexte, chaque arbitrage budgétaire prend une dimension hautement politique : une mesure mal calibrée peut rompre un fragile équilibre. L’exécutif avance donc sur une ligne de crête, entre rigueur budgétaire, pressions partisanes et attentes sociales croissantes.

Un modèle inspirant, mais non sans zones d’ombre

Le Portugal est souvent cité en exemple pour sa rigueur budgétaire et sa capacité à redresser ses comptes. Mais cette trajectoire exemplaire n’est pas exempte de fragilités : crise du logement, tensions sur les services publics, hémorragie démographique. La France, confrontée à ses propres blocages, pourrait s’inspirer de certains leviers portugais. Mais l’expérience lusitanienne rappelle surtout que croissance durable et justice sociale doivent avancer de concert, sous peine de fragiliser les fondations du redressement.

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