Comment le Portugal s’impose dans l’innovation européenne

Sans faire de bruit, le Portugal est en train de redessiner les contours de l’innovation en Europe. Soutenu par un écosystème universitaire de plus en plus performant, des centres de recherche stratégiques et une nouvelle génération de start-up, le pays se positionne désormais comme un maillon essentiel du triangle européen entre science, technologie et entrepreneuriat. Les chiffres récents de l’Observatoire des brevets et technologies de l’Office européen des brevets le confirment : le Portugal progresse, et vite.

Un bond significatif dans les dépôts de brevets publics

Entre 2001 et 2020, les organismes publics portugais ont déposé 265 demandes de brevets auprès de l’Office européen des brevets (OEB) ¹. Cela représente plus de 10 % de l’ensemble des dépôts nationaux sur la période. À l’échelle européenne, le Portugal atteint la 16^e place sur 39 États membres, un résultat notable pour une économie de taille moyenne.

Ce chiffre prend d’autant plus de relief qu’il s’inscrit dans une dynamique de consolidation du secteur public de la recherche. La part des brevets détenus directement par des institutions publiques a progressé de 59 % au début des années 2000 à 87 % aujourd’hui. Ce glissement reflète un engagement plus stratégique des universités et instituts dans la propriété intellectuelle et la valorisation des résultats scientifiques.

Parmi les institutions les plus actives figurent l’INESC (Institut de l’ingénierie des systèmes et des ordinateurs) ² et l’Institut des télécommunications ³. Ces deux structures incarnent l’interface entre recherche académique, développement technologique et application industrielle, un modèle de plus en plus valorisé dans les écosystèmes européens.

Une adhésion massive au brevet unitaire

L’entrée en vigueur du brevet unitaire européen ⁴, en juin 2023, visait à simplifier la protection des innovations sur le Vieux Continent. Le Portugal y a vu une opportunité stratégique : selon l’étude de l’OEB, 92 % des entités publiques portugaises optent déjà pour ce système, un taux deux fois supérieur à la moyenne européenne. Le pays se hisse ainsi aux côtés de l’Italie et de l’Espagne parmi les pionniers de ce nouveau dispositif.

Les universités portugaises changent d’échelle

Au premier semestre 2025, près de 93 % des brevets déposés par les universités portugaises bénéficiaient d’une protection unitaire. Ce chiffre témoigne d’une double évolution. D’une part, les établissements d’enseignement supérieur s’inscrivent pleinement dans le cadre européen de la recherche. D’autre part, ils renforcent leur orientation vers la valorisation et l’impact concret, au-delà de la seule publication académique.

La culture de la recherche appliquée gagne donc du terrain, soutenue par une gouvernance plus intégrée, une meilleure coordination entre départements et une montée en compétences en matière de transfert de technologie. L’implication croissante des directions universitaires dans les stratégies d’innovation semble produire des effets tangibles.

Des start-up en synergie avec la recherche publique

Cette transformation s’accompagne d’un renforcement du lien entre science et entrepreneuriat. Le Portugal compte actuellement 16 start-up parmi les plus de 2800 jeunes pousses européennes ayant déposé au moins un brevet en collaboration avec une université ou un centre public. Cela reste modeste en volume, mais significatif en proportion.

Ces start-up positionnées sur des secteurs à forte intensité technologique : biotechnologie, électronique, intelligence artificielle, traduisent la maturité croissante de l’écosystème national. Le maillage entre chercheurs, incubateurs et fonds d’amorçage s’intensifie, notamment dans les pôles de Lisbonne, Porto et Coimbra, favorisant l’émergence de projets à vocation internationale.

À la veille d’une nouvelle édition du Web Summit à Lisbonne, cette dynamique donne au Portugal une vitrine idéale pour renforcer son attractivité, tant en capital qu’en talents. Les passerelles entre académique et privé, entre recherche et marché, s’affirment comme un levier de compétitivité pour les années à venir.

Une trajectoire encore fragile, mais structurante

Le Portugal ne rivalise pas encore avec les leaders européens comme l’Allemagne ou la France en matière de R&D. Son investissement public en recherche reste inférieur à la moyenne de l’UE. Mais la trajectoire suivie depuis 20 ans montre une volonté politique constante, des résultats mesurables et une capacité à aligner les acteurs du système.

Un cadre institutionnel favorable

Le succès relatif du Portugal tient aussi à l’évolution de son cadre réglementaire et fiscal. Les dispositifs d’incitation à la R&D, les subventions européennes bien utilisées et la simplification de certaines démarches administratives ont permis d’ancrer une culture de l’innovation au sein des institutions. Le ministère de la Science et de la Technologie joue, à ce titre, un rôle de coordination efficace.

Reste à faire mieux connaître ces avancées à l’international, au-delà du cercle des initiés. La reconnaissance du potentiel portugais en matière d’innovation passe aussi par une meilleure communication sur ses réussites, ses talents et ses priorités. Le triangle entre université, entreprise et recherche publique est en train de se consolider. Encore faut-il qu’il soit visible.

Un écosystème à surveiller de près

Le Portugal n’est plus seulement un pays d’accueil pour les start-up européennes en quête de qualité de vie ou de fiscalité favorable. Il devient progressivement un acteur crédible de l’innovation technologique en Europe. La montée en puissance de ses universités, la professionnalisation de ses structures de transfert de technologie et la croissance qualitative de son tissu entrepreneurial en font un cas d’école à observer.

Dans un contexte européen de concurrence scientifique accrue, cette dynamique portugaise pourrait bien inspirer d’autres pays en transition, en quête de modèles viables pour transformer la connaissance en valeur. Un triangle discret, mais porteur de promesses solides.