Dans un Portugal qui compte à peine 10 millions d’habitants en 2023, une communauté étrangère se démarque nettement : celle des Brésiliens. Ils sont près de 400 000 à être légalement installés dans le pays 1, en faisant de loin la première communauté étrangère. Ce phénomène n’a pas toujours été aussi marqué. En 2000, ils n’étaient que 22 000, un chiffre qui a littéralement explosé pour atteindre 250.000 en 2022. Si l’immigration s’est intensifiés ces dernières années, 2023 marque alors un tournant avec l’entrée de près de 150.000 nouveau migrants depuis mars. Alors, comment le Portugal vit-il cette présence importante de Brésiliens sur son sol ? Et, surtout, quels en sont les véritables enjeux ?
Le boom de l’immigration brésilienne au Portugal
Cet afflux massif de Brésiliens au Portugal est le fruit d’une politique migratoire plus souple instaurée par le pays. Dans le but d’attirer des étrangers et notamment des Brésiliens, le Portugal a facilité l’obtention de la résidence légale pour les ressortissants des pays de la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP). En mars 2023, le SEF a mis en place un service web qui a connu un franc succès 2. Ainsi, en 2023, la communauté brésilienne a augmenté de 60%, le pays accueillant 150 000 Brésiliens supplémentaires, un véritable « raz-de-marée » !
Cependant, cette politique n’est pas sans susciter des réactions. Nous verrons plus bas que l’extrême droite surfe sur la tendance, tandis que l’Union Européenne a déjà fait part de son mécontentement face à cette facilité d’obtention de résidence, menaçant le Portugal d’un rappel à l’ordre. Mais pourquoi le Portugal a-t-il besoin des Brésiliens ?
Le besoin d’immigration au Portugal
La réponse est simple : le Portugal a besoin d’étrangers. Il est en proie à un vieillissement de sa population et à une émigration de ses jeunes, en quête d’une vie meilleure. Les Portugais ne font plus d’enfants et les diplômés s’exilent en masse pour obtenir des salaires dignes de leurs études. Le pays est même confronté à une diminution de sa population.
La croissance économique récente du Portugal, principalement due au tourisme, n’a pas réussi à endiguer ce phénomène. Les emplois créés sont majoritairement peu qualifiés, dans l’hôtellerie, la restauration ou le BTP. Pour répondre aux besoins des employeurs, le Portugal a donc fait le choix d’ouvrir ses portes à l’immigration, aux retraités européens d’une part, nous en avons souvent parlé ici, mais surtout aux Brésiliens, dans des proportions bien plus importantes.
Le paradoxe de cette histoire, il y a 10 ans, c’est la jeunesse portugaise qui s’est massivement expatriée, constituant même, et de loin, la première source d’immigrés au Brésil.
Qui sont les Brésiliens du Portugal ?
Si, autrefois, les Brésiliens qui venaient s’installer au Portugal provenaient majoritairement de zones rurales avec une instruction sommaire, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les nouveaux immigrants brésiliens viennent de grandes villes, sont souvent diplômés et occupent des postes qualifiés : médecins, ingénieurs, postes de direction…
La vague croissante d’immigration brésilienne au Portugal est principalement constituée de personnes issues de grandes villes, appartenant à diverses classes sociales et âgées de 20 à 40 ans. Cette population est très hétérogène, tant sur le plan social qu’économique, et l’immigration concerne souvent des familles entières avec de jeunes enfants.
Contrairement aux flux migratoires des années 1990, qui provenaient principalement de petites villes, la tendance actuelle montre une migration en provenance des grandes villes. En 2013, la communauté brésilienne au Portugal comptait 92 120 personnes, faisant d’elle la principale communauté étrangère du pays. Cette population a depuis presque quadruplé, atteignant 393 000 personnes en 2023, principalement concentrées dans les régions de Lisbonne, Cascais, Sintra, Porto et Braga.
Cette nouvelle vague d’immigration se caractérise par un niveau d’éducation plus élevé et une moindre intention de retour au Brésil 3. Les motivations varient selon les classes sociales : les classes inférieures cherchent principalement des opportunités économiques, tandis que les classes supérieures recherchent une meilleure qualité de vie, notamment en termes de sécurité et d’éducation. De plus, le Portugal est souvent vu comme une porte d’entrée vers d’autres pays européens.
Un aspect notable de cette immigration est le rôle croissant des femmes, tant dans les classes inférieures, où elles migrent pour améliorer leur vie et celle de leur famille au Brésil, que dans les classes supérieures, où elles recherchent plus d’indépendance. Cependant, la migration est parfois mal préparée, en particulier parmi les classes inférieures, en raison d’un accès limité à l’information ou de fausses attentes créées par des informations biaisées.
L’intégration des Brésiliens : un défi de taille
L’intégration des Brésiliens est un défi de taille pour le Portugal. Non pas parce qu’ils sont culturellement éloignés, bien au contraire, mais parce que leur proximité culturelle peut créer des tensions. Le fort accent brésilien présent dans les cours d’école, créé déjà des polémiques par exemple, et il est évident qu’un sentiment de xénophobie s’installe de plus en plus largement chez certains.
Globalement, au Portugal la situation s’est améliorée avec le temps et l’acceptation des Brésiliens a nettement progressé dans le pays. Désormais, ils sont considérés comme une force vive qui permet de se revitaliser et de ne pas sombrer dans le vieillissement et l’émigration.
On ne peut toutefois pas omettre de parler du parti d’extrême droite Chega, très clairement raciste, anti-LGBTQIA+, anti-immigration, anti-femmes et conspirationniste, qui se targue aujourd’hui de représenter la 3eme force politique du pays (12 représentants à l’assemblée) et entend bien entrer l’année prochaine au parlement européen. Pour ne pas arranger les choses, ces derniers jours ils font leur choux gras sur la démission controversée du 1er ministre Antonio Costa.
Un équilibre à trouver
Le Portugal et le Brésil ont toujours été intimement liés, et il est normal de voir des flux migratoires entre les deux pays. Ces dernières années le Portugal s’est lancé dans une politique migratoire ambitieuse, mais celle-ci n’est pas sans conséquences. L’afflux des expatriés européens à largement contribué à dérégler le marché immobilier portugais, tandis que l’arrivée massive de brésilien impacte pour diverses raisons la société portugaise.
L’influence brésilienne sur le Portugal est incontestable. Mais est-elle réellement un danger ? Les Brésiliens parlent portugais, ils sont pour beaucoup descendants de Portugais, et leur présence pourrait même apporter un vent de fraîcheur, de joie de vivre, de « samba » au pays.
Alors, trop de Brésiliens au Portugal ? Non, tant que leur intégration se fait dans le respect de l’identité portugaise pour ne pas heurter les intolérants. Après tout, ils font désormais partie intégrante de la société portugaise. Et pour cela, il n’y a qu’un mot à dire : bienvenue !
Notes
- Si nous insistons sur le coté »légalement installés » c’est parce que c’est la formule employée par la SEF. Ce chiffre ne prend pas en compte les binationaux (Portugais-Brésilien), ni bien entendu les immigrants « sans papiers » donc illégaux sur le territoire portugais. ↩︎
- Le SEF indique que les ressortissants brésiliens représentent 74,5 % des demandes d’autorisation de résidence CPLP, suivis des citoyens angolais avec 9,6 %, de São Tomé et Príncipe avec 6,4 %, et du Cap-Vert avec 4,4 %. ↩︎
- Il est à noter que la moitié des Brésiliens ayant immigrés en Europe et aux USA au début des années 2000 seraient retourné au Brésil, notamment à cause de la crise économique de 2008. ↩︎