5 siècles de liens entre le Portugal et le Japon

hokusai portugal

Entre Lisbonne et Nagasaki s’étend une histoire longue comme un voyage maritime, ponctuée d’escales, de silences et de renaissances. Ce lien entre deux nations que tout semble opposer, l’une à la pointe de l’Europe, l’autre au seuil du Pacifique, s’est tissé dans le fracas des vagues et le bruissement des soies. C’est une relation où les routes commerciales se mêlent aux routes spirituelles, où la poudre à canon côtoie les poèmes. Depuis le XVIe siècle, le Portugal et le Japon partagent un destin tissé de curiosité, d’échanges et de nostalgie, comme un haïku surgi d’un carnet de bord.

Tanegashima, l’île du premier vent

Tanegashima portugais

Nous sommes en 1543, au sud de Kyūshū. Une tempête détourne une carraca portugaise vers les côtes de Tanegashima. De cette rencontre fortuite naît une ère nouvelle : celle du premier contact entre l’Europe et le Japon. Les marchands portugais, plus familiers des épices de Goa que des cerisiers nippons, apportent dans leurs cales une cargaison inattendue : des arquebuses. Ces armes, rapidement reproduites par les forgerons japonais, bouleverseront l’art de la guerre féodale et le destin du pays. Ce fut aussi l’époque où les mots pan (pain), saboten (cactus) ou tempura commencèrent à voyager d’une langue à l’autre, témoins discrets d’un commerce qui dépassait les frontières du tangible.

Mais le Portugal ne se limitait pas à la conquête matérielle. Avec les marchands vinrent les missionnaires. En 1549, François Xavier, jésuite de Navarre, posa le pied à Kagoshima, semant les graines du christianisme. Les conversions se multiplièrent, touchant parfois les daimyos, ces seigneurs féodaux fascinés par la croix et les prières venues d’Occident. Pendant un temps, le Japon vibra au rythme des cloches portugaises. L’art sacré japonais se teinta de motifs ibériques, les madones prirent des visages asiatiques, et une foi nouvelle se glissa dans les temples.

Silences et interdits : le Japon se referme

ere meiji

Au début du XVIIe siècle, le vent tourna. Les shoguns Tokugawa, craignant la fragmentation du pouvoir et l’influence étrangère, décrétèrent la fermeture du pays. Le christianisme fut interdit, les missionnaires chassés, les fidèles persécutés. L’époque du sakoku, le pays fermé, commença. Le Japon se coupa du monde, mais pas de sa mémoire. Dans l’ombre, les kakure kirishitan, les chrétiens cachés, continuèrent de prier, transmettant en secret les chants portugais altérés par les siècles. Le mot “Namban”, désignant les “barbares du Sud”, conserva dans sa sonorité la trace d’une fascination ambivalente : peur et admiration mêlées.

Les navires portugais, quant à eux, restèrent ancrés dans les tableaux de l’époque : silhouettes massives, coques sombres et voiles gonflées de sel et d’aventure. Ces images, peintes à la feuille d’or sur des paravents, rappelaient le souffle d’un monde soudain disparu. Pourtant, même dans le repli, la curiosité nippone survécut, prête à ressurgir.

Du fado au haïku : un dialogue retrouvé

La renaissance moderne

Kumiko Tsumori e Takaya Watanabe - "Barco Negro"

Au XIXe siècle, la Restauration Meiji rouvrit le Japon au monde. Les émissaires japonais traversèrent l’Europe pour étudier ses techniques, ses industries, et son art de gouverner. À Lisbonne, certains découvrirent un autre langage universel : celui du fado. Ces chants de mélancolie et de mer trouvèrent au Japon un écho inattendu. Dans les mots de la saudade, les Japonais reconnurent leur propre esthétique du mono no aware, cette conscience poétique de l’impermanence. Deux cultures séparées par 11.000 kilomètres se découvrirent un même frisson devant la beauté fragile du monde.

Deux cultures séparées par 11.000 kilomètres se découvrirent un même frisson devant la beauté fragile du monde

Les échanges culturels reprirent avec la même intensité qu’aux premiers jours, mais dans la paix et la curiosité. Le Portugal fit redécouvrir aux Japonais les traces de cette histoire partagée, et le Japon offrit à Lisbonne ses jardins, ses estampes et sa rigueur esthétique. Ce dialogue, désormais dépouillé de conquête, s’épanouit dans l’art et la philosophie.

Les lieux de mémoire et d’harmonie

musee oriente

À Lisbonne, le Musée de l’Orient expose les écrans Namban, ces chefs-d’œuvre où samouraïs et missionnaires portugais se croisent sous un ciel d’or. À Porto, le jardin japonais de la Fondation Serralves évoque la rencontre de deux sensibilités : la pierre portugaise et le cerisier japonais. Même la gastronomie conserve l’empreinte du passage lusitanien : le mot “tempura” vient du latin tempora, désignant les jours de jeûne où l’on ne mangeait pas de viande. Les Japonais en ont fait un art ; les Portugais y reconnaissent un souvenir culinaire.

Dans les ruelles de l’Alfama, on sert aujourd’hui des sushis accompagnés de vinho verde. À Nagasaki, une rue porte encore le nom de “Rua do Japão”, preuve que l’histoire, même fragmentée, sait se recomposer en mosaïque vivante. Les deux peuples se croisent désormais sans mission ni conquête, mais avec la douce curiosité des anciens alliés retrouvés.

Les martyrs, les mers et la mémoire

kakure kirishitan

Tout au long de cette histoire, les 26 martyrs de Nagasaki incarnent la part la plus tragique du lien nippo-portugais. En 1597, ces convertis furent crucifiés sur la colline Nishizaka, témoins silencieux d’une foi importée et réprimée. Aujourd’hui encore, leur mémoire est honorée au Japon et au Portugal, rappelant qu’entre ces deux nations, la foi, la mer et la mort ont souvent marché de concert. Dans les églises de Lisbonne, certaines statues pleurent encore ces âmes orientales, leurs visages sculptés mêlant traits européens et asiatiques dans un même souffle d’éternité.

Mais au-delà du martyre, c’est l’héritage symbolique qui perdure : celui d’un dialogue né de la rencontre entre deux insulaires du monde, les navigateurs portugais et les îliens japonais –, tous deux habités par une même fascination pour l’horizon.

Une esthétique partagée : saudade et wabi-sabi

Le Japon et le Portugal partagent une sensibilité rare, presque fraternelle : celle de la beauté fugace et du souvenir. La saudade portugaise, ce sentiment de manque qui nourrit la poésie et le chant, trouve son écho dans le wabi-sabi japonais, la beauté de l’imparfait et du transitoire. Ces deux philosophies, bien qu’issues d’univers différents, célèbrent la même vérité : tout ce qui est beau est voué à disparaître. Peut-être est-ce là, plus que dans le commerce ou la religion, que se loge la véritable rencontre entre Lisbonne et Kyoto.

Une amitié en devenir

De la carraca perdue au large de Tanegashima à la salle d’exposition du Museu do Oriente, l’histoire du Portugal et du Japon s’est écrite sur des vagues d’admiration mutuelle. Cinq siècles plus tard, elle continue de se tisser : étudiants japonais à Coimbra, entreprises portugaises à Tokyo, écrivains et cinéastes explorant les correspondances entre Pessoa et Bashō. Ce fil invisible relie deux peuples marins qui, en se découvrant, ont compris qu’ils partageaient la même quête, celle de comprendre le monde sans le posséder.

Comme l’écrivait Fernando Pessoa : « Voyager, c’est découvrir que tout le monde a tort au sujet des autres pays. » Entre le Japon et le Portugal, cette découverte s’est transformée en un long poème de respect, de mémoire et de lumière, que la mer continue de réciter.

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