Présidentielle 2026 : la campagne démarre dans la tempête

Image illustrant la campagne présidentielle 2026 au Portugal, avec André Ventura pointant du doigt et un fond symbolique opposant Salazar et Mário Soares.

À moins de trois mois d’une élection présidentielle à peine annoncée par le Président Marcelo Rebelo de Sousa, le ton de la campagne 2026 se radicalise déjà. L’ancien amiral Henrique Gouveia e Melo accuse André Ventura, candidat d’extrême droite, de racisme « pur et dur » et n’hésite pas à évoquer un parallèle avec le système hitlérien. Une sortie qui illustre la tension grandissante entre les candidats, sur fond de débats identitaires, de nationalité, et de mémoire historique.

Au fil des prises de parole, des passes d’armes parlementaires et d’une loi sur la nationalité devenue terrain d’affrontement idéologique, ce début de campagne révèle un paysage profondément divisé. Entre mémoire historique, dérive populiste et crispation autour des questions migratoires, l’élection présidentielle 2026 s’annonce comme un test de résistance pour les institutions démocratiques portugaises.

Quand l’histoire ressurgit : Hitler, Salazar et la rhétorique identitaire

Interrogé sur les affiches de campagne du parti Chega ciblant les communautés bangladaises et roms, Gouveia e Melo, candidat à l’élection présidentielle de 2026, né au Mozambique, a déclaré : « Cela me rappelle le système hitlérien, qui avait trouvé un bouc émissaire en les Juifs. Aujourd’hui, on cherche les nôtres. » Une accusation frontale à l’encontre d’André Ventura, qui a récemment affirmé que le Portugal avait besoin de « trois Salazars » pour rétablir l’ordre. Le parallèle avec la dictature n’a pas manqué de faire réagir la classe politique, alors même que Chega fait déjà l’objet d’une plainte déposée par l’avocat António Garcia Pereira auprès du ministère public, accusant le parti d’atteinte aux principes fondamentaux de la démocratie et demandant sa dissolution.

Cette sortie a ravivé un débat latent au Portugal : celui de la mémoire collective autour du salazarisme et de ses héritages idéologiques. Si certains estiment que le recours à de telles références historiques est une provocation calculée destinée à polariser l’électorat, d’autres s’inquiètent de la banalisation de symboles liés aux régimes autoritaires. La montée d’un discours identitaire, soutenu par des slogans simplistes et une communication visuelle agressive, contribue à brouiller les repères démocratiques et à déplacer le centre de gravité du débat public vers des terrains inflammables.

Une gauche sur la défensive, une droite divisée

À gauche, António José Seguro (ancien vice-Premier ministre PS) a rappelé que le pays avait besoin d’institutions démocratiques solides, pas de dictateurs. Les autres candidats progressistes, tels que Catarina Martins (Bloc de gauche) ou Jorge Pinto (PCP), ont unanimement dénoncé la « romanticisation » du salazarisme. À droite, le ton se veut plus mesuré. Luís Marques Mendes, soutenu par une partie du PSD, a critiqué les provocations de Ventura, tout en estimant que poursuivre Chega en justice serait « une perte de temps » 1.

La guerre des symboles : Salazar contre Mário Soares

Le débat s’est récemment cristallisé à l’Assemblée nationale, où les références à Salazar ont été contrebalancées par celles à Mário Soares, père de la démocratie portugaise. Dans une passe d’armes théâtrale, les députés se sont opposés sur le sens de l’identité nationale, la nature du patriotisme, et les valeurs constitutionnelles. Un affrontement symbolique mais révélateur de clivages profonds. Les « 3 Salazars » évoqués par André Ventura 2 lors d’une interview, ont aussitôt provoqué une riposte symbolique du côté socialiste : en séance parlementaire, le chef du groupe PS, Eurico Brilhante Dias, a répliqué en brandissant l’image de Mários Soares, figure emblématique de la démocratie portugaise : « Por cada três Salazares, três Mário Soares se levantarão para combater » 3.

Dans une passe d’armes théâtrale, les députés se sont opposés sur le sens de l’identité nationale, la nature du patriotisme, et les valeurs constitutionnelles

Ce moment de tension a culminé lorsque Ventura, en pleine session parlementaire, a lancé des feuilles de papier en l’air, dans un geste interprété comme une provocation enfantine, avant d’être sommé de les ramasser par le président de l’Assemblée, José Pedro Aguiar-Branco. La mise en scène n’a pas été anodine : elle visait à attirer l’attention médiatique sur la banalisation du discours autoritaire, tout en dénigrant les figures historiques de la démocratie. En réponse, plusieurs partis, du PSD au PCP, ont rappelé que la mémoire du salazarisme ne pouvait être convoquée à la légère, encore moins dans un contexte d’érosion démocratique en Europe. Cette guerre des symboles reflète un combat plus vaste pour le récit national et pour l’âme de la République.

La loi sur la nationalité : un consensus parlementaire controversé

Parallèlement, le Parlement portugais a voté à une large majorité une réforme de la loi sur la nationalité. Bien que présentée comme un consensus multipartite, la droite et Chega en revendiquent la paternité politique. La loi durcit les conditions d’obtention de la nationalité portugaise, désormais soumise à une « véritable adhésion aux valeurs constitutionnelles ». Une évolution saluée par le gouvernement de Luís Montenegro, qui y voit un rétablissement de l’« ordre républicain ».

Une tension palpable autour des questions migratoires

La réforme de la nationalité a donné lieu à des débats houleux. Le Bloco de Esquerda a dénoncé un texte préparé « à la hâte », tandis que Chega exultait en proclamant la « fin de la banalisation de la nationalité ». Des propos jugés xénophobes par une partie de l’opposition. Dans l’hémicycle, les cris de « SEF ! » (le service des étrangers et frontières dissous par l’ancien gouvernement) ont fusé, visant l’ancien ministre José Luís Carneiro, accusé d’avoir affaibli les capacités de contrôle migratoire du pays.

Un débat électoral dominé par les extrêmes

Le premier ministre Montenegro a défendu la réforme, estimant qu’elle marque une rupture nette avec la « faillite migratoire » des gouvernements précédents. Une déclaration qui témoigne d’une convergence croissante entre les thématiques de la droite traditionnelle et celles de l’extrême droite, sur fond de concurrence électorale. De plus en plus, le terrain de Ventura devient celui de ses adversaires, contraints de répondre sur ses propres thèmes de prédilection.

Le spectre de l’histoire : populisme, mémoire et démocratie

Les références à Salazar, Hitler ou Mário Soares ne relèvent pas d’un simple jeu rhétorique. Elles traduisent une lutte acharnée autour de la mémoire collective, de l’identité nationale, et du rôle de l’État dans un contexte de montée des inégalités. Les historiens rappellent que dans les années 1930, les démocraties libérales en crise ont ouvert la voie à des régimes autoritaires et parfois fascistes. Aujourd’hui encore, l’instabilité politique et la désillusion démocratique nourrissent des discours extrêmes.

Un « ad hitlerium » assumé ?

Henrique Gouveia e Melo a été accusé d’avoir commis un sophisme classique : l’argumentum ad hitlerum 4, une exagération rhétorique qui assimile un adversaire à Hitler pour disqualifier ses idées. Mais le contexte l’invite à assumer cette comparaison. La stratégie de Ventura repose en partie sur la provocation, la banalisation de symboles autoritaires, et l’instrumentalisation des peurs identitaires. Dans cette campagne, les mots ont un poids, et chaque référence historique est une arme.

Un enjeu présidentiel, une bataille idéologique

Les élections présidentielles de 2026 s’annoncent comme un véritable révélateur de l’état politique du Portugal. Si le président de la République dispose de pouvoirs limités, sa fonction reste symbolique et déterminante dans la définition des équilibres politiques. L’irruption du populisme dans le débat présidentiel reflète une mutation profonde du paysage portugais. Dans ce contexte, les candidats sont confrontés à un dilemme : répondre ou ignorer. Et dans les deux cas, Ventura gagne en visibilité.

La montée des tensions dans la campagne présidentielle révèle une polarisation inquiétante. Entre rhétorique autoritaire et défense des principes démocratiques, le Portugal semble revivre, sous une forme nouvelle, les dilemmes de son passé. L’enjeu de cette élection dépasse les individus : il interroge la capacité d’une démocratie à se défendre sans renoncer à ses fondements.

  1. Ventura e os « 3 Salazares ». « Este homem não respeita nada, nem ninguém » (NoticiasAoMinuto) : https://www.noticiasaominuto.com/politica/2877518/ventura-e-os-3-salazares-este-homem-nao-respeita-nada-nem-ninguem ↩︎
  2. Três Salazar e um Ventura (SIC Noticias) : https://sicnoticias.pt/opiniao/2025-10-27-tres-salazar-e-um-ventura-ea9cc7c1 ↩︎
  3. « Pour trois Salazar, trois Mário Soares se lèveront pour le combattre » https://www.nowcanal.pt/ ↩︎
  4. Reductio ad Hitlerum : https://www.scienceshumaines.com/reductio-ad-hitlerum_fr_33400.html ↩︎

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