Le neuvième art gagne du terrain au Portugal. Alors que la bande dessinée y est longtemps restée à la marge des politiques culturelles, le gouvernement portugais annonce la création d’un Prix national de la bande dessinée, doté de 30 000 euros. Objectif : reconnaître les artistes, les œuvres et les innovations dans ce champ artistique en pleine mutation. La ministre de la Culture, Margarida Balseiro Lopes, en a fait l’annonce à l’issue de sa visite au festival Amadora BD, rendez-vous majeur du genre au Portugal.
Le pays s’apprête ainsi à institutionnaliser un prix unique en son genre, attribué chaque année en 3 catégories : un prix de carrière, une récompense pour une œuvre publiée l’année précédente, et un prix de l’innovation. La date choisie pour l’annonce des lauréats n’est pas anodine : le 18 octobre, désormais reconnu comme Journée nationale de la bande dessinée portugaise, depuis 2024.
Une reconnaissance publique attendue
La ministre de la Culture insiste sur la nécessité de renforcer la visibilité de la bande dessinée dans l’espace public. « Le ministère de la Culture a l’obligation d’agir dans les domaines qui méritent plus de reconnaissance », a-t-elle affirmé à l’agence Lusa, précisant que le soutien du gouvernement ne se limitera pas à ce prix. Cette démarche vise aussi à renouer avec les jeunes générations, friandes de ce langage graphique accessible et expressif.
Le prix, qui sera encadré par la Direção-Geral do Livro, Arquivos e Bibliotecas (DGLAB) 1, s’inscrit dans une série plus large de mesures. Le Portugal s’aligne ainsi sur d’autres pays européens qui ont intégré la BD dans leur politique culturelle, à l’instar de la France et de la Belgique. Mais l’enjeu est aussi local : de nombreux créateurs portugais regrettent le manque de reconnaissance et l’absence d’un écosystème structuré pour la création et la diffusion.
Trois distinctions pour couvrir un champ élargi
Un hommage aux parcours artistiques
La première des trois catégories distinguera une figure majeure de la bande dessinée portugaise, dont l’œuvre aura marqué plusieurs générations de lecteurs. Il s’agira d’un prix de carrière, visant à mettre en lumière la contribution d’un artiste, scénariste ou dessinateur à la vitalité du genre au fil des décennies. Ce geste est également un acte de mémoire, dans un secteur souvent dominé par la nouveauté.
La deuxième récompense portera sur l’actualité éditoriale. Un prix de la meilleure œuvre sera décerné à une publication sortie dans l’année précédant le concours. Cette distinction vise à soutenir les auteurs contemporains et à accompagner les éditeurs qui prennent le risque de publier des albums dans un marché restreint. Elle devrait également susciter l’intérêt des médias et du public pour des œuvres peu visibles hors des cercles spécialisés.
Mettre en avant l’innovation narrative
Enfin, un troisième prix soulignera la dimension innovante de la bande dessinée, en récompensant une expérimentation formelle, un format original ou une démarche artistique atypique. À l’heure où la BD explore le numérique, les réalités hybrides ou les récits non-linéaires, cette catégorie ouvre la porte aux projets qui renouvellent profondément le langage graphique.
Ce prix de l’innovation pourrait aussi encourager les jeunes auteurs à sortir des formats classiques, à explorer d’autres supports (comme le webtoon ou la bande dessinée interactive) et à tisser des liens entre bande dessinée, jeu vidéo ou animation. L’enjeu est clair : faire de la BD un champ de création à part entière dans les politiques culturelles publiques.
Un soutien qui s’inscrit dans une stratégie plus large
Selon la ministre, la création de ce prix n’est qu’un élément d’un plan plus vaste. Outre les bourses de création littéraire qui incluent désormais la bande dessinée, la DGLAB et la Direção-Geral das Artes 2 prévoient un ensemble d’initiatives complémentaires. Parmi elles : la formation des bibliothécaires à la BD, le développement de collections spécialisées et la multiplication des bedetecas (bibliothèques dédiées à la bande dessinée), à l’image de celle d’Amadora, unique en son genre.
Une politique culturelle de terrain
Le gouvernement souhaite ainsi rapprocher la bande dessinée du réseau national de lecture publique. De nombreuses municipalités restent encore dépourvues de fonds BD dignes de ce nom, malgré un intérêt croissant pour ce format. Former les professionnels des bibliothèques et créer des espaces de consultation spécifiques permettraient de mieux ancrer la bande dessinée dans les pratiques culturelles quotidiennes.
Ces mesures interviennent à un moment clé. Après la reconnaissance croissante du roman graphique, les expositions dédiées à la BD dans les musées, et la percée d’artistes portugais dans des festivals internationaux, l’instauration d’un prix national consacre définitivement la BD comme un pan à part entière de la culture portugaise. Une manière aussi, pour l’État, de rattraper le retard accumulé dans ce domaine artistique longtemps relégué à la marge.
La bande dessinée, un langage artistique
Avec ce prix national, le Portugal franchit un cap décisif : il officialise et valorise la bande dessinée comme langage artistique, terrain d’expérimentation et outil culturel. À travers cette initiative, le ministère de la Culture ne fait pas qu’honorer des auteurs : il affirme un engagement durable envers un art populaire, en dialogue constant avec son époque. De la planche à la politique publique, la BD trouve enfin, au Portugal, la reconnaissance institutionnelle qui lui faisait défaut.
- DGLAB : https://dglab.gov.pt/ ↩︎
- Direção-Geral das Artes : https://www.dgartes.gov.pt/ ↩︎







