Le gouvernement portugais a annoncé, lundi 23 juin, son intention d’abroger la loi adoptée en 2015 permettant aux descendants de juifs séfarades expulsés au XVe siècle de demander la nationalité portugaise. Présentée à l’époque comme un geste de réparation historique, cette mesure exceptionnelle est désormais jugée « révolue » par l’exécutif de droite, entré en fonction après les élections législatives du mois dernier. Ce tournant marque un durcissement assumé de la politique migratoire, alors que le Portugal entend revoir en profondeur les modalités d’accès à la nationalité.
Une loi d’exception jugée « dépassée »
Le ministre de la Présidence, António Leitão Amaro, a précisé que le dispositif dérogatoire, en vigueur depuis près d’une décennie, « s’inscrivait dans une initiative de réparation historique » mais qu’il « avait un caractère exceptionnel et temporaire ». Selon lui, l’objectif de la loi a été atteint et ne se justifie plus aujourd’hui dans le contexte actuel de la politique d’immigration portugaise. Le gouvernement estime que ce mécanisme n’est plus adapté et qu’il est temps de clore cette période de reconnaissance.
Depuis sa création, la procédure avait permis à des dizaines de milliers de personnes, notamment originaires d’Israël, de Turquie, du Brésil ou des États-Unis, d’obtenir la nationalité portugaise sans obligation de résidence préalable. Un passeport européen qui ouvrait de nombreuses portes, et qui avait attiré un intérêt croissant au fil des ans.
Mais en 2022, le scandale entourant la naturalisation du milliardaire russe Roman Abramovitch a changé la donne. Accusations de certificats falsifiés, complicités supposées au sein de certaines communautés juives : l’affaire a mis en lumière les failles du système. Plusieurs responsables ont été mis en examen. Depuis, les critères avaient déjà été durcis. Le gouvernement actuel, pour sa part, préfère tourner la page.
Une mesure dans un contexte de durcissement migratoire
L’abrogation de cette loi s’inscrit dans un ensemble plus large de mesures visant à restreindre les conditions d’accès à la nationalité. Le gouvernement propose ainsi d’allonger les durées de résidence minimale nécessaire pour prétendre à la naturalisation : de 5 à 7 ans pour les citoyens des pays lusophones, et jusqu’à 10 ans pour les autres ressortissants.
Dans la même logique, les critères permettant le regroupement familial seront resserrés, et les contrôles aux frontières renforcés par la création d’une nouvelle unité spécialisée au sein de la police nationale. Ces mesures doivent encore être discutées au Parlement, où le gouvernement ne dispose pas de la majorité absolue.
Une portée symbolique et mémorielle forte
Pour les associations de descendants de juifs séfarades, cette abrogation marque une rupture douloureuse. Adopté en 2015 sous un gouvernement socialiste, le décret-loi n°30-A/2015 1 reconnaissait officiellement la dette historique du Portugal envers les communautés juives persécutées par l’Inquisition. Il était vu comme un geste fort de réconciliation avec un passé longtemps nié.
Les Séfarades, originaires de la péninsule Ibérique (Sefarad en hébreu), avaient été expulsés ou forcés à se convertir dès 1496 sous le règne de Dom Manuel Ier. La création de l’Inquisition portugaise en 1536 a généralisé les persécutions. Nombre d’entre eux ont fui vers la Turquie, l’Afrique du Nord, les Pays-Bas, l’Amérique latine ou encore les Balkans, emportant avec eux la langue, la culture et le souvenir douloureux de l’exil.
Malgré les siècles, beaucoup ont conservé des traditions, des noms de famille et une mémoire forte de leurs origines. Pour ces familles, la possibilité offerte par le Portugal à partir de 2015 de réintégrer symboliquement leur patrie d’origine représentait bien plus qu’un passeport : une justice rendue, même tardive.
Une politique qui interpelle sur le plan international
La fin de cette loi risque de susciter des réactions à l’international, notamment en Israël et aux États-Unis, où vivent de nombreux descendants séfarades ayant déposé ou envisagé une demande. Des voix s’inquiètent d’une remise en question du devoir de mémoire au profit d’objectifs politiques à court terme. À l’heure où plusieurs pays européens reconnaissent leurs responsabilités passées, le choix portugais pourrait apparaître comme un recul.
Reste à savoir si des recours seront déposés ou si le gouvernement amendera sa position lors des discussions parlementaires. En l’état, la page semble bel et bien tournée sur une période unique de réconciliation symbolique entre une nation et une partie de son histoire oubliée.
- Décret-loi n°30-A/2015 : https://diariodarepublica.pt/dr/detalhe/decreto-lei/30-a-2015-66619927 ↩︎