Le Portugal, pionnier discret de l’histoire du thé

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Depuis des millénaires, le thé traverse les continents et les civilisations, tissant des liens inattendus entre l’Orient et l’Occident. Si l’on évoque souvent la Chine, le Japon ou l’Angleterre lorsqu’on parle de cette boisson millénaire, le rôle du Portugal, pourtant fondamental, reste bien moins connu. Pourtant, c’est bien grâce aux explorateurs, commerçants et figures historiques portugaises que le thé a trouvé sa place dans les palais européens et a initié une tradition encore vivante aujourd’hui. Explorons cette fascinante épopée, des voyages maritimes audacieux aux plantations verdoyantes des Açores, en passant par l’influence diplomatique d’une princesse portugaise devenue reine d’Angleterre.

Des routes maritimes vers l’Orient : les premiers Européens à découvrir le thé

portugais au japon

Tout commence au XVIe siècle, lorsque les navigateurs portugais, pionniers des grandes découvertes maritimes, jettent l’ancre en Asie. Le Portugal est alors à l’avant-garde des échanges avec la Chine et le Japon, établissant des comptoirs stratégiques à Macao, Goa ou Nagasaki. C’est dans ce contexte que le thé entre pour la première fois en contact avec des Européens. Les missionnaires portugais, comme le dominicain Gaspar da Cruz, évoquent dès les années 1550 cette boisson aux vertus surprenantes, mêlant saveur amère et propriétés médicinales. Le thé devient rapidement une curiosité prisée dans les cercles aristocratiques portugais, bien avant d’être connu du grand public en Europe.

Le thé devient rapidement une curiosité prisée dans les cercles aristocratiques portugais, bien avant d’être connu du grand public en Europe

À Lisbonne, dans les salons privés des grandes familles, on découvre le thé comme une boisson raffinée, symbole de l’exotisme rapporté d’Asie. Les échanges se font discrets, les cargaisons modestes, mais le goût du thé s’installe doucement, porté par l’influence des réseaux maritimes portugais. Cette familiarité précoce avec le thé prépare le terrain pour un tournant historique inattendu : le mariage d’une infante portugaise avec le roi d’Angleterre.

Le destin d’une princesse : Catherine de Bragance et la naissance de la tradition anglaise du thé

thé catherine de bragance

En 1662, l’histoire du thé en Europe bascule avec l’union politique et diplomatique entre le Portugal et l’Angleterre. Catherine de Bragance, fille du roi Jean IV, quitte Lisbonne pour épouser Charles II d’Angleterre. Dans ses malles, parmi les pièces d’orfèvrerie et les soieries raffinées, se trouvent de précieuses caisses de thé. Cette boisson, déjà populaire dans les cercles nobles au Portugal, est encore rare et méconnue en Angleterre. Catherine, grande amatrice de thé, introduit cette pratique à la cour, où elle devient rapidement un signe de distinction et de raffinement. Son influence est telle qu’on lui attribue souvent la popularisation du thé dans la haute société anglaise, bien avant que la Compagnie des Indes orientales ne transforme cette denrée en une marchandise stratégique pour l’Empire britannique.

Le thé devient alors un symbole d’élégance, associé à la royauté et aux rituels de l’aristocratie anglaise, mais son origine portugaise reste trop souvent oubliée. Sans Catherine de Bragance, l’histoire du thé en Angleterre aurait sans doute pris un chemin bien différent.

Le thé, du Portugal à l’Angleterre : une passation d’influence

A partir du XVIIIe siècle, un basculement s’opère. La montée en puissance de l’Empire britannique, soutenu par la puissance navale et les colonies en Inde, transforme le thé en une denrée stratégique contrôlée par l’Angleterre. La Compagnie des Indes orientales organise des plantations à grande échelle dans les régions d’Assam et de Darjeeling, tandis que le Portugal, affaibli par ses propres défis coloniaux, voit son influence sur le commerce mondial du thé diminuer. Le Portugal, qui avait ouvert les premières routes maritimes et introduit le thé en Europe, cède ainsi sa place sur la scène commerciale à la Grande-Bretagne, qui impose son modèle économique à travers ses colonies et ses relations tendues avec la Chine.

Ce transfert d’influence ne doit pas faire oublier l’héritage portugais. Si le thé devient une boisson nationale en Angleterre, c’est en partie grâce aux premiers contacts établis par le Portugal et à l’influence de la reine Catherine. Aujourd’hui encore, la production de thé dans les Açores témoigne de cette histoire riche, qui a vu le Portugal jouer un rôle de passeur entre l’Orient et l’Occident avant d’être éclipsé par les ambitions hégémoniques de l’Empire britannique.

Les Açores : le berceau inattendu de la production européenne de thé

thé aux açores

Au XIXe siècle, l’histoire du thé au Portugal connaît un nouveau chapitre, plus agricole cette fois. Sur l’île de São Miguel, dans l’archipel des Açores, des pionniers introduisent la culture du thé, profitant d’un climat océanique tempéré, semblable à celui des provinces chinoises. En 1883, la plantation de Chá Gorreana ouvre ses portes, devenant la plus ancienne plantation de thé d’Europe encore en activité. Elle sera bientôt rejointe par Chá Porto Formoso, une autre exploitation qui perpétue ce savoir-faire unique.

Les Açores, par leur isolement géographique et leur terroir particulier, offrent des conditions idéales : un sol volcanique riche, des températures modérées et une humidité constante. Ici, le thé est produit sans pesticides, selon des méthodes traditionnelles qui privilégient la cueillette manuelle et le séchage naturel. Le résultat ? Un thé noir ou vert d’une qualité exceptionnelle, apprécié pour ses arômes subtils et son caractère authentique. Aujourd’hui, les thés des Açores sont exportés dans le monde entier et attirent des curieux venus découvrir ces plantations au cœur de l’Atlantique.

Cette singularité fait du Portugal le seul pays d’Europe à produire du thé à l’échelle commerciale, un fait souvent méconnu mais qui mérite d’être mis en lumière. Le thé portugais, c’est l’histoire d’un savoir-faire méticuleux, mais aussi d’un terroir exceptionnel qui façonne le goût d’une boisson universelle.

Un héritage discret mais essentiel

L’histoire du thé au Portugal est un récit de rencontres, de voyages et d’échanges qui a contribué à façonner notre culture mondiale du thé. Des routes maritimes tracées par les explorateurs portugais aux caisses de thé offertes en dot par Catherine de Bragance, jusqu’aux plantations luxuriantes des Açores, le Portugal a joué un rôle essentiel, bien que souvent sous-estimé, dans la diffusion de cette boisson. Boire une tasse de thé au Portugal, c’est goûter un pan d’histoire, une aventure humaine et commerciale tissée entre les océans et les cultures. Un héritage qui mérite d’être célébré, raconté, et redécouvert.


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