La Lotaria Nacional du Portugal n’est pas seulement un jeu de hasard : c’est une institution historique, un témoignage vivant de l’évolution du pays et des solidarités sociales. Depuis 1783, date à laquelle la reine D. Maria I autorisa la Santa Casa da Misericórdia de Lisboa à organiser une loterie annuelle, la Lotaria a accompagné les Portugais à travers les siècles, oscillant entre espoirs, suspensions et renaissances.
Un projet royal pour soutenir l’assistance publique

Le 18 novembre 1783, un décret royal marque le point de départ d’une aventure singulière : la création de la Lotaria, destinée à financer l’Hospital Real, la Casa dos Expostos (orphelinat) et l’Academia Real das Ciências. Moins d’un an plus tard, le 1er septembre 1784, le premier tirage a lieu, durant 34 jours, avec 22.500 billets émis au prix de 6400 réis chacun. Le premier prix atteint la somme impressionnante de 12.000.000 réis. Une tradition est née, qui traversera les âges.
Cependant, l’histoire de la Lotaria n’est pas un long fleuve tranquille. Suspendue en 1798, elle ne reprend qu’en 1804, avant une nouvelle interruption jusqu’en 1811, dans le contexte des invasions françaises napoléoniennes. Ce n’est qu’en 1893 qu’elle est définitivement confiée, en monopole, à la Santa Casa da Misericórdia de Lisboa.
Le spectacle des tirages : une mise en scène unique

La Lotaria, c’est aussi un rituel unique : celui des tirages dans la Sala de Extrações de la Misericórdia de Lisboa. Chaque lundi pour la Lotaria Clássica, et chaque jeudi pour la Lotaria Popular, les pregoeiros, ces « crieurs de numéros », enfilent leur costume, s’échauffent la voix et se préparent à annoncer la « sorte grande » (le gros lot).
Rien n’est laissé au hasard : les pregoeiros doivent être d’une taille précise pour atteindre les boules dans les imposantes sphères, maîtriser l’art oratoire et veiller à des détails techniques, comme l’hydratation ou l’intonation. Leurs voix résonnent dans la salle, captivant le public, créant une interaction singulière entre tradition et émotion.
Certains moments sont même magiques : il arrive qu’un spectateur chanceux voie son numéro tiré en direct, tenu entre ses mains au moment même où le pregoeiro annonce la combinaison gagnante. Ces instants de grâce participent à la légende de la Lotaria.
Les cauteleiros : figures emblématiques des rues lisboètes

Dans l’effervescence des rues de Lisbonne, une voix résonne, chantante et inimitable : « É hoje a sorte grande ! » Ces mots, répétés des milliers de fois, sont ceux des cauteleiros, ces vendeurs de billets de loterie devenus des figures mythiques du paysage urbain portugais. Souvent vêtus modestement, à la voix claire et au sourire engageant, ils s’installent sur les places, à la sortie des métros ou le long des trottoirs animés. Chaque billet qu’ils tendent n’est pas qu’un simple bout de papier : c’est une promesse de chance, une parcelle de rêve.
Ce métier, qui a connu son âge d’or au XXe siècle, est bien plus qu’un gagne-pain. C’est une tradition familiale, parfois transmise sur plusieurs générations, où le père initie le fils aux techniques du métier : connaître les habitués, savoir repérer le passant distrait, et surtout, garder en tête l’espoir qu’un jour, la fortune changera de mains. Le Largo da Misericórdia, tout près du siège de la Santa Casa, leur rend hommage à travers la statue du cauteleiro, qui veille fièrement sur ce lieu historique. Aujourd’hui encore, ce bronze attire les visiteurs, rappelant à tous l’histoire d’une époque où la chance se vendait à la criée, dans un tourbillon de voix et d’espoirs suspendus.
La Lotaria aujourd’hui : un patrimoine toujours vivant

Depuis 1955, le nom de Lotaria Nacional désigne l’ensemble des tirages organisés par la Santa Casa da Misericórdia de Lisboa. Mais derrière ce terme officiel se cache bien plus qu’un jeu d’argent : la Lotaria est un pilier du patrimoine social portugais, une institution qui a traversé les siècles. Ses recettes, hier comme aujourd’hui, permettent de financer des actions sociales cruciales : soutien aux hôpitaux, protection des mères et des enfants, accompagnement des plus vulnérables. La Santa Casa a été, dès le XXe siècle, pionnière dans des domaines essentiels comme la santé publique et la solidarité.
Bien sûr, d’autres jeux ont vu le jour – Euromillions, Totoloto, raspa… – mais la Lotaria conserve une place à part. Elle est le témoin d’un temps révolu, où l’on scrutait les numéros à la radio ou dans la presse, et où le Largo Trindade Coelho se remplissait de monde lors des jours de tirage. Pour beaucoup, jouer à la Lotaria reste un rituel : acheter un billet auprès d’un cauteleiro, attendre le tirage avec espoir, rêver à ce que l’on ferait de la sorte grande.
La Lotaria est aussi un lien entre générations : les anciens se souviennent des cauteleiros qui arpentaient les rues, les jeunes découvrent cette tradition à travers les récits familiaux ou les statues commémoratives. Ce jeu incarne un Portugal à la fois ancien et contemporain, où l’on croit encore aux coups du destin et où chaque billet est un ticket vers un futur peut-être plus radieux.
Une tradition qui traverse les générations
La Lotaria Nacional, c’est bien plus qu’un tirage hebdomadaire et un jeu d’argent. C’est une page vivante de l’histoire portugaise, un écho des voix des pregoeiros, des cauteleiros et des anonymes qui, depuis 240 ans, rêvent d’un avenir meilleur grâce à la chance. Un héritage à célébrer, à préserver et à transmettre, pour que la « sorte grande » continue de faire battre les cœurs.