Eluma cristata : une nouvelle espèce découverte au Portugal

À 60 centimètres sous la surface du sol portugais, un petit invertébré jusqu’ici inconnu de la science vient bouleverser la compréhension des écosystèmes souterrains peu explorés. Baptisée Eluma cristata, cette espèce de bicho-de-conta (ou cloporte) a été découverte par la biologiste Rita Eusébio dans le Parc naturel des Serras de Aire e Candeeiros, dans la région de Santarém. Une découverte discrète, mais aux implications écologiques majeures.

Une découverte inédite

C’est dans des habitats souterrains peu profonds, parfois désignés sous le nom de colovions dans la littérature spécialisée, que cette nouvelle espèce a été identifiée. Ces milieux souterrains, situés juste sous la surface, entre les sols superficiels et les grottes profondes, sont souvent négligés par les recherches biospéléologiques. Pourtant, c’est précisément là, à Alcobertas, dans la commune de Rio Maior, que l’équipe de Rita Eusébio a mis au jour un spécimen unique.

Mesurant à peine un centimètre, Eluma cristata se distingue par des crêtes marquées sur chacun de ses segments corporels, une particularité absente chez les autres membres du genre Eluma connus au Portugal et en Europe. L’examen comparatif avec des spécimens ibériques et européens a permis de confirmer qu’il s’agissait bien d’une espèce jusqu’ici inconnue.

Au-delà de la simple taxonomie, cette découverte est également la première identification d’une espèce dans ce type d’habitat. Elle rappelle que ces zones peu profondes, mais stables, abritent une biodiversité encore largement méconnue.

Une sentinelle des écosystèmes oubliés

En biologie, certaines espèces sont dites « cryptiques » : elles échappent à l’œil humain, se dissimulent, vivent dans des zones où personne ne pense à chercher. Eluma cristata appartient à cette catégorie. Capable de se rouler en boule pour se protéger, ce cloporte souterrain illustre la résilience d’un monde discret, profondément lié aux cycles biologiques de la matière organique.

Un rôle écologique souvent sous-estimé

Les cloportes, loin d’être de simples petites bêtes du sous-bois, jouent un rôle fondamental dans les écosystèmes. Comme l’explique la chercheuse Ana Sofia Reboleira, directrice de thèse de Rita Eusébio, ces organismes recyclent activement la matière organique. Feuilles mortes, racines, fragments de plantes, tout est transformé, digéré, réintégré au sol grâce à ces micro-recycleurs.

Ce rôle écologique est d’autant plus crucial dans les colovions, où les ressources sont limitées. Les déchets végétaux y parviennent en faible quantité, mais leur transformation par des espèces comme Eluma cristata garantit le maintien d’un micro-écosystème souterrain stable et fonctionnel.

Une protection encore trop timide

La biologiste insiste sur la nécessité de mieux protéger ces habitats souterrains intermédiaires. Ils ne sont ni visibles comme les forêts, ni emblématiques comme les grottes, et tombent ainsi dans une zone grise de la conservation. Pourtant, ce sont eux qui pourraient receler des dizaines d’espèces encore inconnues.

La découverte d’Eluma cristata pourrait bien devenir un argument fort pour la reconnaissance de ces espaces dans les politiques de conservation portugaises et européennes. Le Parc naturel des Serras de Aire e Candeeiros, bien qu’officiellement protégé, ne prend que partiellement en compte ces zones souterraines superficielles.

Une aventure scientifique et humaine

Cette découverte est aussi un jalon personnel important. Née à Caldas da Rainha, Rita Eusébio signe ici sa toute première identification d’espèce. Elle travaille dans le cadre du Centre de Recherche en Écologie, Évolution et Changement Environnemental (CE3C) ¹, avec un financement de la Fondation portugaise pour la Science et la Technologie ², dans le programme doctoral de la Faculté des sciences de l’Université de Lisbonne.

Le travail a été mené en collaboration avec le chercheur italien Stefano Taiti, du Conseil de recherche italien et du Musée La Specola à Florence. Ensemble, ils ont publié la description complète de l’espèce dans la revue spécialisée Subterranean Biology ³.

Le projet s’inscrit dans la chaire en soutenabilité des écosystèmes souterrains, basée à Loulé, dont l’objectif est de valoriser les patrimoines biologiques invisibles du Portugal, trop souvent ignorés face à la richesse visible de sa biodiversité terrestre.

Une science patiente, au ras du sol

À l’opposé des découvertes spectaculaires, c’est une science de la patience, des gestes lents et de l’observation minutieuse qui a permis à cette équipe de détecter un nouvel organisme. Aucun outil sophistiqué, aucune expédition extrême : une simple excavation à la bêche, un échantillon prélevé à la main, un regard formé à détecter l’infime.

Et dans cette lenteur méthodique, une vérité émerge : la nature cache encore bien des secrets dans les marges, les interstices et les mondes souterrains. Eluma cristata n’est sans doute que la première d’une longue série.

Une biodiversité encore invisible

Le Portugal, connu pour sa richesse marine et botanique, cache sous ses pieds une biodiversité bien plus discrète. Cette découverte remet en lumière une réalité oubliée : la biologie souterraine est encore largement à explorer. À l’heure où la biodiversité mondiale est menacée, chaque micro-découverte devient un acte de résistance contre l’oubli. Eluma cristata incarne cette promesse d’un monde encore à découvrir, et d’une science ancrée dans le sol, au plus près de la vie, même la plus discrète.