Chaque deuxième dimanche de mai, les hauteurs de Dole, dans le Jura, vibrent d’une ferveur singulière. Des milliers de pèlerins venus de toute la France, mais aussi de Suisse, se retrouvent sur les pentes du Mont-Roland pour célébrer Notre-Dame de Fátima. Ce pèlerinage, profondément ancré dans la mémoire des diasporas portugaises, célèbre cette année sa 57e édition. Bien plus qu’un rassemblement religieux, l’événement est un moment d’unité, de transmission et de fidélité aux racines. Sous les drapeaux, les foulards et les chants en portugais, c’est tout un pan de l’histoire migrante et croyante qui se donne à voir, chaque printemps, dans cette enclave du Jura.
Une tradition vivante, née de la foi et de l’exil
Le 13 mai 1917, dans le village de Fátima, au Portugal, trois enfants bergers rapportent avoir vu une femme « plus brillante que le soleil ». L’apparition mariale, reconnue par l’Église catholique, devient au fil du temps l’un des grands cultes mariaux du XXe siècle. Lorsque les premières vagues d’immigration portugaise s’installent en France dans les années 1960, elles emportent avec elles cette dévotion. Dès 1967, une première messe en plein air est célébrée à Dole. Le pèlerinage du Mont-Roland est né.



Ce choix de lieu n’est pas anodin. Le sanctuaire du Mont-Roland est déjà un haut lieu de spiritualité catholique, fréquenté depuis le Moyen Âge. L’arrivée des communautés portugaises y apporte une ferveur populaire, joyeuse, profondément enracinée. Ce rendez-vous annuel devient peu à peu un repère dans l’année liturgique et affective de nombreuses familles issues de l’immigration. Il s’agit de rendre hommage à Notre-Dame de Fátima, bien sûr, mais aussi de retrouver une langue, une musique, un mode de présence au monde.
Le 2e dimanche de mai : un calendrier immuable
Chaque année, la date est la même : le deuxième dimanche de mai, autour du 13. Très tôt le matin, des bus affrétés depuis Lyon, Strasbourg, Genève, Mulhouse, Besançon ou Dijon convergent vers Dole. Les familles arrivent parfois la veille, avec glacières, drapeaux, nappes brodées et instruments de musique. Une messe en plein air, célébrée en portugais, rassemble plusieurs milliers de fidèles. Les chants à la Vierge, entonnés à l’unisson, font écho aux paroles entendues à Fátima en 1917 : « N’ayez pas peur, je suis venue du ciel. »

Pour beaucoup, c’est un moment de grande émotion. Certains viennent en procession à pied depuis Dole, d’autres récitent le rosaire tout au long du trajet. On croise plusieurs générations côte à côte : les anciens, qui ont connu l’exil ; les adultes, nés en France ; et les plus jeunes, pour qui le pèlerinage est une initiation familiale. À travers cette continuité intergénérationnelle, le culte de Fátima devient un marqueur identitaire autant qu’un moment de spiritualité.
Une foi qui rassemble, une convivialité qui perdure
Mais le pèlerinage de Dole ne s’arrête pas à la messe. Après la célébration religieuse, les familles se rassemblent pour un pique-nique géant au pied du sanctuaire. On y retrouve les saveurs de la terre natale : sardines grillées, poulet piri-piri, bacalhau, pastel de nata, sans oublier les vins du Douro ou du Dão. Des stands proposent spécialités, boissons, drapeaux et objets religieux. Sur les nappes, les conversations alternent entre portugais et français, souvenirs d’enfance et nouvelles du pays. « C’est notre petit Portugal », résume Virginia, 75 ans, habitante du Jura depuis plus de cinquante ans.
Pour d’autres, comme Armenia Pereira, présidente de l’association organisatrice, le défi est de maintenir cette tradition vivante, malgré les changements générationnels et les effets de la pandémie. « C’est beaucoup de travail, mais c’est une joie immense quand on voit les gens heureux, quand deux amis se retrouvent ici alors qu’ils viennent de villes différentes, mais du même village au Portugal. C’est ça, le bonheur. »
Un lieu de mémoire et de reconnaissance
Le pèlerinage de Notre-Dame de Fátima au Mont-Roland n’est pas seulement un événement religieux. C’est aussi un rituel de mémoire. Il rappelle les sacrifices des générations passées, les départs douloureux, les retrouvailles rares. Dans ce rassemblement annuel, il y a une fidélité au Portugal, mais aussi à une histoire de l’immigration, faite de travail, de foi et de solidarité. Cette fidélité s’exprime dans les gestes les plus simples : une chanson reprise en chœur, une main tendue pour aider une personne âgée, une prière murmurée pour les absents.
Alors que les repères communautaires se transforment, que les pratiques religieuses évoluent, le Mont-Roland continue d’attirer, d’unir, de rassembler. Il incarne une forme de continuité dans un monde changeant, un espace où l’on célèbre à la fois la Vierge et la force d’une communauté.
Un Portugal de l’intérieur, enraciné dans le Jura
Ce pèlerinage, profondément enraciné dans la tradition catholique portugaise, témoigne d’un Portugal vécu depuis l’intérieur, par ceux qui vivent ailleurs. Un Portugal porté par les chants, les visages, les recettes, les gestes — et par une fidélité qui défie les distances et les décennies. À Dole, chaque mois de mai, ce Portugal revient au cœur, dans les cœurs, au pied du Mont-Roland.
Et il n’est pas question d’un folklore passéiste : il s’agit d’un héritage vivant, transmis, revisité, souvent avec humour, parfois avec gravité. Les enfants courent entre les tables, les anciens se souviennent, les jeunes découvrent. Et pendant un jour entier, dans le Jura, les cloches de Fátima sonnent pour tous ceux qui ont dû partir, mais qui n’ont jamais oublié.
Un acte de foi et un geste d’appartenance
Le pèlerinage de Notre-Dame de Fátima à Dole est à la fois un acte de foi et un geste d’appartenance. Il relie les territoires, les générations et les mémoires. En rassemblant chaque année des milliers de Portugais de France et de Suisse, il témoigne d’une communauté soudée, chaleureuse, et profondément attachée à ses racines. À l’heure des recompositions identitaires et des défis de l’intégration, cette fidélité tranquille, joyeuse, enracinée dans la prière et la fête, mérite d’être saluée. Car elle incarne, à sa manière, l’un des visages les plus lumineux de l’Europe vivante.