À première vue, il s’agit d’un produit de consommation banal. Une simple boîte de mouchoirs, posée là, dans une allée du supermarché, entre les essuie-tout et les papiers toilette. Sauf qu’au Portugal, une marque bien connue du grand public a discrètement glissé une touche subversive dans ce quotidien bien rangé : une feuille de cannabis imprimée en grand sur la boîte, et un parfum intitulé Flor de Marijuana.
Pas de THC, ni de CBD dans ces mouchoirs. Aucun effet psychotrope. Rien qui puisse intéresser la police ou les amateurs de cannabis thérapeutique. Juste un parfum, légèrement floral et épicé, évoquant une idée et surtout une rupture silencieuse dans l’univers feutré des produits ménagers.
Une marque audacieuse dans un contexte légal encadré
Ce n’est pas la première fois que Renova, marque portugaise à la renommée internationale, célèbre pour ses papiers colorés et son marketing non conventionnel, défie les conventions. Mais cette fois-ci, elle choisit une autre voie : la normalisation par l’odorat. À travers sa « collection de parfums » déjà bien établie, elle ajoute une fragrance inattendue dans un pays où la consommation de cannabis est décriminalisée mais encadrée.
Contrairement à d’autres pays européens, le Portugal a choisi depuis 2001 une approche pragmatique, privilégiant la santé publique à la répression. Pourtant, l’usage récréatif reste interdit, et les produits infusés au cannabis sont rares. Dans ce contexte, voir une grande feuille verte s’imposer au rayon hygiène est à la fois une provocation douce et un acte de banalisation culturelle.
Une banalité qui interroge : quand la feuille devient logo

Ce qui surprend n’est pas tant le parfum, somme toute agréable, que son acceptation implicite par le grand public. Aucune alerte, aucun encart de prévention. La feuille de cannabis est ici un motif graphique comme un autre, au même titre qu’un chiot sur une boîte de mouchoirs ou une goutte d’eau stylisée sur un paquet de lingettes.
« Votre grand-mère pourrait en acheter sans s’en rendre compte », souligne avec malice une journaliste anglo-saxonne vivant au Portugal. Et c’est justement ce glissement silencieux qui intrigue : ce produit ne s’adresse pas aux consommateurs de cannabis, mais à tout le monde. Il fonctionne comme un cheval de Troie olfactif dans la normalisation rampante de la culture verte.
Marketing, perception et politique du nez
Du point de vue marketing, l’opération est habile. En intégrant un visuel fort et une identité olfactive originale, Renova se démarque dans un marché saturé. Elle capitalise sur une tendance mondiale : celle de la légitimation culturelle du cannabis, sans prendre de risque juridique.
Mais ce geste a aussi une portée symbolique. Il témoigne de l’évolution des mentalités, d’une Europe qui renonce peu à peu à la diabolisation du cannabis pour en faire une esthétique, une couleur, voire une émotion olfactive. Ce qui était autrefois une substance interdite devient ici un parfum d’intérieur, presque un objet déco.
Vers une désacralisation de la plante ?
Pour certains, il s’agit d’un pas de plus vers la banalisation. Pour d’autres, c’est une manière créative d’initier le dialogue sur la perception du cannabis dans l’espace public. Comme on arbore une casquette avec une feuille verte, on achète maintenant un mouchoir au même motif. Mais dans les deux cas, le message est le même : le cannabis n’est plus tabou, il est tendance.
Reste une question : à force de normaliser les symboles, ne risque-t-on pas de gommer les débats de fond ? Car derrière la fragrance se cachent toujours des enjeux sanitaires, sociaux et économiques non résolus. Et si la feuille sent bon, le sujet, lui, demeure complexe.
Un produit à double tranchant
- Originalité : un parfum surprenant qui attire l’attention en rayon.
- Neutralité légale : aucune substance active, seulement un arôme inspiré.
- Controverses potentielles : certains rappellent que les parfums synthétiques peuvent irriter les voies respiratoires ou contenir des composés à éviter.
- Effet culturel : un pas de plus vers une acceptation symbolique du cannabis dans l’espace public portugais.
Une feuille qui ne fait (presque) plus tousser
En définitive, ces mouchoirs sont bien plus qu’un produit original. Ils incarnent une mutation lente, mais profonde, des représentations sociales. La « Flor de Marijuana » n’est plus l’apanage des activistes ou des fumeurs, mais entre désormais dans les foyers portugais par la voie la plus douce qui soit : celle du quotidien. Peut-être qu’un jour, nous ne remarquerons même plus ces feuilles dans nos maisons. Et peut-être que ce sera là, précisément, la vraie révolution.







