Lisbonne n’est plus seulement une destination prisée pour son charme historique, sa lumière atlantique et sa douceur de vivre. Depuis quelques années, la capitale portugaise attire un nouveau profil d’expatriés : des LGBTQ+ américains issus de milieux plutôt aisés, souvent urbains et progressistes, qui envisagent sérieusement d’y reconstruire leur vie. Si cette migration reste marginale en volume, elle révèle des tensions politiques profondes et un malaise grandissant face à l’évolution des États-Unis.
Une expatriation motivée par la peur d’un retour en arrière
Depuis le début de son second mandat, Donald Trump a réaffirmé une ligne politique encore plus conservatrice et clivante, notamment envers les minorités sexuelles et de genre. Dans ce contexte, une partie des citoyens LGBTQ+ américains vit avec une inquiétude croissante, marquée par un sentiment d’exclusion et de désengagement civique. Ce n’est donc pas la simple recherche d’un climat plus doux ou d’une fiscalité plus avantageuse qui les pousse vers Lisbonne, mais la volonté de quitter un pays dont ils ne se sentent plus représentés, ni protégés. Le départ prend alors la forme d’un exil identitaire, politique et culturel.
Les menaces contre les droits reproductifs, les attaques contre les drag shows, les débats sur les soins de transition pour les mineurs ou encore les lois « Don’t Say Gay » dans certains États (Floride, Texas…) renforcent chez une partie des LGBTQ+ le sentiment d’une insécurité culturelle et politique croissante. Dans ce contexte, le Portugal apparaît comme un contre-modèle attractif : un pays qui inscrit dans sa Constitution l’interdiction de toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle depuis 2004, où le mariage pour tous est en vigueur depuis 2010, et où la société civile reste majoritairement favorable aux droits LGBTQ+.
Pourquoi le Portugal ? Un refuge juridique et symbolique
Le Portugal n’est pas choisi au hasard. Il ne s’agit pas seulement d’un pays au climat agréable et à la douceur de vivre reconnue. Pour beaucoup de personnes LGBTQ+ américaines, le Portugal représente un modèle juridique et sociétal rassurant, presque opposé à la trajectoire idéologique prise par les États-Unis. Dès 2004, le pays a donc inscrit dans sa Constitution l’interdiction explicite de toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, un geste fort, encore absent de la Constitution américaine. Le mariage pour tous y est légal depuis 2010, l’adoption est ouverte à tous les couples, et la reconnaissance administrative du genre repose sur l’autodétermination depuis 2018.
Ces avancées légales s’accompagnent d’un climat social perçu comme apaisé. Contrairement à d’autres pays d’Europe où les débats sur les questions de genre ou de sexualité restent âpres, le Portugal se distingue par une forme de tolérance tranquille, presque silencieuse. L’absence de polarisation médiatique sur ces sujets, combinée à une certaine pudeur culturelle, crée un espace plus respirable pour ceux qui fuient les crispations politiques.
Au-delà du droit, l’ancrage européen joue aussi un rôle. S’installer à Lisbonne, c’est aussi se projeter dans une vie où les institutions offrent, pour l’instant, un rempart aux dérives autoritaires. Pour des Américains désillusionnés, le Portugal représente une porte d’entrée vers une autre idée de la démocratie : plus sociale, moins agressive, et plus soucieuse des droits fondamentaux. Ce choix est donc aussi un choix de valeurs.
Lisbonne en particulier attire par sa densité culturelle, sa scène queer active, sa mixité sociale relative, et un tissu associatif LGBTQ+ bien implanté. L’accueil d’EuroPride en 2025, loin d’être anecdotique, symbolise cette reconnaissance institutionnelle et populaire. Vu des USA, Lisbonne n’est pas un décor, mais une affirmation : celle d’un lieu où il est encore possible de respirer librement.
Un exil de privilège ? Le profil de ceux qui partent
Ceux qui envisagent sérieusement de quitter les États-Unis ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la communauté LGBTQ+. Il s’agit pour la plupart d’individus dotés de moyens financiers confortables : cadres supérieurs, entrepreneurs, artistes ou retraités fortunés, souvent installés à New York, San Francisco ou Los Angeles. Le coût d’une expatriation, entre les démarches administratives, le logement, le transport d’effets personnels, et les investissements immobiliers, limite de facto cette option à une minorité aisée.
Nombre d’entre eux cherchent à investir dans l’immobilier à Lisbonne, profitant d’un marché encore attractif par rapport aux grandes métropoles américaines. Certains y voient une double opportunité : s’installer dans une capitale tolérante tout en sécurisant un patrimoine en Europe. Cette nouvelle vague d’expatriation queer rejoint en cela des logiques de mobilité de classe, où la liberté est aussi une question de pouvoir d’achat.
Un pays accueillant, mais pas sans contradictions
Le Portugal est souvent décrit comme un havre de paix pour les minorités. En effet, sur le papier, les protections juridiques pour les personnes LGBTQ+ sont solides, et la société portugaise se distingue par une certaine bienveillance. Mais cet accueil n’est pas exempt de paradoxes. Ces derniers mois, la montée du parti Chega, formation d’extrême droite qui se revendique proche de Trump sur certains aspects, inquiète de plus en plus d’observateurs et d’expatriés.
Chega, qui a obtenu près de 20 % des voix aux élections législatives de mai 2025, diffuse un discours populiste, nationaliste et hostile à certaines minorités. Si le parti ne s’attaque pas frontalement aux LGBTQ+ dans son programme, son positionnement ultra-conservateur laisse planer des doutes sur l’avenir de certains acquis. Pour les Américains LGBTQ+ qui fuient Trump, l’émergence de ce « Trumpisme à la portugaise » pourrait à terme transformer Lisbonne en refuge fragile.
Un choix à double tranchant ?
Le dilemme est réel. Beaucoup de ces expatriés voient dans Lisbonne une solution temporaire ou un plan B, au cas où les États-Unis basculeraient dans une ère encore plus réactionnaire. Mais s’ils espèrent trouver un espace de liberté en Europe, ils ne peuvent ignorer les tensions qui traversent aussi le continent. Le Portugal reste, à ce jour, un pays où l’extrême droite ne gouverne pas. Mais le climat politique évolue rapidement, et le consensus en faveur des droits LGBTQ+ pourrait être remis en cause, à mesure que l’extrême droite progresse dans les urnes.
En s’installant à Lisbonne, ces nouveaux venus rejoignent une communauté d’expatriés déjà bien implantée, mais ils doivent aussi composer avec les limites de cette nouvelle vie : barrière de la langue, précarité du travail pour les indépendants, hausse des loyers, et distance avec les réseaux familiaux et sociaux d’origine. L’exil, même doré, reste un acte chargé de ruptures.
Lisbonne, capitale refuge : une illusion durable ?
Pour l’instant, Lisbonne conserve les attributs d’une capitale ouverte, inclusive et stable. Mais à mesure que les tensions politiques s’exacerbent des deux côtés de l’Atlantique, le statut de « refuge européen » devra peut-être être repensé. Le choix de ces LGBTQ+ américains d’investir dans la capitale portugaise ne traduit pas seulement une préférence de style de vie. Il témoigne d’un désir de protection, de dignité et d’avenir dans un monde perçu comme instable.
Le rêve lisboète restera-t-il intact si le Portugal venait à suivre une trajectoire politique plus clivante ? Rien n’est certain. Mais pour l’instant, dans cette époque d’incertitudes globales, Lisbonne continue d’incarner une promesse de liberté. Et cela, pour beaucoup, vaut déjà le détour.