Les élections législatives anticipées du 18 mai 2025 1 ont provoqué un séisme politique au Portugal, marquant un net recul de la gauche dans son ensemble. Alors que le pays s’engage dans une nouvelle phase politique, les résultats traduisent non seulement un changement de cycle électoral, mais aussi une perte de repères, de leadership et d’identité pour plusieurs formations progressistes. Retour sur les causes profondes de cette défaite historique.
Un Parti socialiste déstabilisé et en perte de vitesse

Le PS, qui reste la deuxième force politique du pays, a subi une hémorragie électorale en mai 2025. Avec 58 députés élus contre 77 en 2024, le parti perd 5 points en pourcentage de votes et environ 365.000 voix. Cette contre-performance a entraîné la démission immédiate de son leader Pedro Nuno Santos, confirmant une crise de direction interne.
Le PS paie ici à la fois son usure du pouvoir et son incapacité à incarner une alternative forte face à la droite montante. L’absence d’un projet mobilisateur et les divisions internes sur le calendrier de succession à la tête du parti ont affaibli sa position. Tandis que des figures comme Carlos César ou José Luís Carneiro tentent de réorganiser la maison socialiste, plusieurs voix appellent à attendre les élections municipales pour choisir un nouveau leader, afin de permettre une réflexion en profondeur.
Un Bloco de Esquerda en chute libre

Le BE a vécu l’une des pires performances de son histoire parlementaire : de 5 députés en 2024, il passe à un seul, représenté par sa dirigeante Mariana Mortágua. Avec seulement 2 % des voix et 119.211 suffrages, le parti revient à son niveau des années 1990.
Avec seulement 2 % des voix et 119 211 suffrages, le parti revient à son niveau des années 1990
Les analystes pointent un double échec : une campagne jugée « infantilisée », désincarnée, incapable de transmettre une image de confiance, et une perte de substance programmatique. Les grandes causes du passé (avortement, mariage pour tous) ont donné lieu à des lois, et le BE n’a pas su renouveler son agenda politique. La stratégie de communication sur les réseaux sociaux, émaillée de vidéos jugées anecdotiques, n’a pas convaincu l’électorat.
La montée en puissance de Livre au détriment des autres forces de gauche

Seul à tirer son épingle du jeu à gauche, Livre passe de 4 à 6 députés et devient la cinquième force politique. Porté par une image plus moderne, européenne et écologiste, le parti a su capter une partie de la jeunesse urbaine, anciennement acquise au BE. Il se positionne comme le nouveau pôle dynamique à gauche, profitant de la désaffection envers les formations historiques.
Cette progression s’explique aussi par la capacité de Livre à se présenter comme une alternative constructive et éthique, en rupture avec les scandales ou les crispations idéologiques qui ont abîmé l’image du BE ou du PS.
Le déclin continu du PCP et l’essoufflement des petits partis

Le Parti communiste portugais poursuit sa lente érosion : un député perdu, seulement 3 élus. Le vote populaire vieillissant, la difficulté à se renouveler et une déconnexion croissante avec les nouveaux enjeux sociétaux expliquent cette déconfiture.
Quant à PAN, il conserve un unique siège mais perd des voix, témoignant d’une forme de marginalisation politique. Le paysage de la gauche se fragmente sans qu’émerge une coalition capable de rivaliser avec la droite ou de proposer un projet commun.
Une gauche incapable de résister à la droite et à l’extrême-droite

L’après-António Costa, un vide de leadership non comblé
L’un des facteurs déterminants du recul de la gauche tient à la transition précipitée au sein du Parti socialiste. La démission puis le départ d’António Costa pour Bruxelles, en novembre 2023, a laissé un vide difficilement comblé. Figure centrale de la vie politique portugaise pendant près d’une décennie, Costa incarnait un certain équilibre entre pragmatisme gouvernemental et fidélité aux valeurs progressistes. Son successeur, Pedro Nuno Santos, bien qu’ambitieux et volontaire, n’a pas su réunir la même coalition de confiance, ni au sein du parti, ni dans l’électorat. Son départ après l’échec du 18 mai 2025 confirme l’incapacité du PS à organiser une succession fluide et porteuse d’un nouveau souffle.
Une offre fragmentée face à une droite mieux structurée
À l’opposé, la droite, elle, a su lisser ses divisions : la coalition AD s’est présentée comme un pôle de stabilité, tandis que Chega a imposé ses thématiques avec une efficacité redoutable, notamment dans le sud du pays. Face à cette offensive, la gauche a paru émiettée, peu audible et souvent sur la défensive. Le PS a tenté de capitaliser sur le « vote utile« , mais au détriment d’une stratégie globale, laissant le champ libre à des dynamiques locales favorables à la droite et à l’extrême-droite. L’absence d’un discours commun, ou même d’une stratégie d’alliance entre les partis de gauche, a considérablement affaibli leur poids collectif.
Le BE en fin de cycle : crise stratégique et image brouillée
Le Bloco de Esquerda, autrefois moteur de débats de société, se retrouve aujourd’hui marginalisé. Son effondrement électoral est le symptôme d’une perte de repères idéologiques et de lisibilité stratégique. Si le parti avait su autrefois porter des batailles pionnières – avortement, mariage pour tous, précarité – il peine aujourd’hui à renouveler son agenda. La campagne 2025, axée sur des formats de communication jugés légers, n’a pas permis de crédibiliser le message. Les tensions internes, les scandales mal gérés et une communication déconnectée des enjeux sociaux ont fini d’aliéner une base électorale déjà fragilisée. Le BE incarne aujourd’hui une gauche désorientée, qui ne parvient ni à capter la jeunesse ni à mobiliser les classes populaires.
Le manque d’un front commun progressiste
L’autre grand échec de cette élection réside dans l’incapacité des partis de gauche à construire un front commun contre l’extrême-droite crédible et uni. Face à un Chega conquérant et à une droite parlementaire en ordre de marche, l’éparpillement des voix progressistes s’est transformé en handicap stratégique. Aucun espace de convergence n’a été réellement proposé, ni sur les valeurs à défendre, ni sur la méthode pour faire barrage à la montée de l’extrême-droite. Cette dispersion a favorisé l’abstention dans certaines zones urbaines et rurales traditionnellement à gauche, et a alimenté le sentiment d’impuissance d’un électorat désabusé.
Et maintenant ? Une refondation à inventer
La gauche portugaise sort profondément affaiblie de ce scrutin, mais pas condamnée. La progression de Livre suggère qu’un espace existe encore pour une gauche cohérente, imaginative et connectée aux aspirations contemporaines. En captant une partie de l’électorat urbain, éduqué et sensible aux enjeux écologiques ou sociétaux, le parti esquisse ce que pourrait être une nouvelle matrice progressiste au Portugal.
Mais pour que cette dynamique s’élargisse, il faudra plus que des intentions : du temps, de l’écoute, un effort sincère de recomposition politique. Cela suppose aussi d’assumer des divergences stratégiques sans les transformer en fractures irréconciliables. La gauche ne pourra renaître que si elle parvient à transformer ses différences en complémentarités, autour d’un projet collectif solide, crédible et mobilisateur.
L’heure est donc à la réflexion stratégique, à la reconstruction des alliances et au retour du politique au sens noble du terme : celui de faire société dans un monde fragmenté. Si cet effort n’est pas entrepris dès maintenant, la gauche risque de s’installer durablement dans le rôle d’opposition divisée et impuissante, incapable d’endiguer la poussée conservatrice. À l’inverse, si Livre devient le catalyseur d’un élan refondateur, l’histoire pourrait encore s’écrire autrement.
Quelles perspectives pour l’avenir ?
Face à cette défaite, la gauche portugaise se retrouve à un tournant historique. Elle devra repenser ses alliances, régénérer ses figures, et réécrire un projet politique clair, ancré dans les réalités sociales et écologiques du XXIe siècle. Le succès de Livre montre qu’un espace existe encore pour une gauche moderne, pluraliste et ouverte sur l’Europe. Mais il lui faudra aussi résoudre ses fractures internes et apprendre à parler d’une voix forte dans un paysage politique de plus en plus fragmenté.