La simple évocation du séisme de Lisbonne de 1755 suffit à réveiller les fantômes endormis du passé. Pourtant, derrière cette catastrophe fondatrice de la mémoire collective portugaise, se cache une réalité géologique toujours active. Le Portugal est-il aujourd’hui à l’abri d’un nouveau tsunami ? Et si non, quelle est la nature réelle de ce risque ? Pour répondre à ces questions, il faut plonger dans les entrailles de la terre et interroger les instruments les plus sensibles de la science sismique moderne.
Une histoire marquée par les vagues : les précédents de 1755, 1941 et 1969
Le tremblement de terre du 1er novembre 1755, suivi d’un tsunami dévastateur, a détruit une grande partie de Lisbonne et fait des dizaines de milliers de victimes. Ce fut l’un des séismes les plus puissants jamais enregistrés en Europe, avec une magnitude estimée à 8,5 ou 9. Son onde s’est propagée à travers l’Atlantique, frappant jusqu’aux Antilles. Si cet événement paraît lointain, il n’est pas isolé dans l’histoire portugaise.
En 1941, un séisme survenu sur la faille de Glória, dans la zone de fracture Açores-Gibraltar, a déclenché un petit tsunami détecté le long de la côte continentale portugaise. Un événement similaire s’est produit en 1969, avec un séisme de magnitude 8, également enregistré dans la même zone géologique. Moins destructeurs, ces épisodes rappellent néanmoins que la menace, bien que rare, reste latente.
Rachid Omira, sismologue au sein de l’Institut portugais de la mer et de l’atmosphère (IPMA), le souligne : « Le risque n’est pas faible. C’est la dangerosité qui l’est, car les périodes de retour de grands séismes sont longues. »
Un risque rare mais réel, ancré dans les failles de l’Atlantique
Le Portugal se situe à proximité de plusieurs failles actives, dont certaines traversent l’océan Atlantique entre les Açores et le détroit de Gibraltar. Cette zone est le théâtre d’une activité tectonique moins fréquente que dans le Pacifique, mais potentiellement puissante. Le faible danger tient principalement au fait que ces failles se réactivent rarement, ce qui diminue la probabilité de tsunamis à court terme.
Mais comme le rappelle le sismologue de l’IPMA, cela ne signifie pas que le risque est nul : « Un événement d’une ampleur comparable à celui de 1755 peut nécessiter plus de 1000 ans pour se reproduire. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas survenir demain. »
Autre facteur de complexité : certains tsunamis peuvent avoir une origine non sismique. Des glissements de terrain volcaniques, comme ceux observés dans les archipels de Madère et des Açores, sont susceptibles de provoquer des vagues importantes, sans tremblement de terre préalable.
Le rôle central du Centre d’alerte aux tsunamis du Portugal

Créé en 2017 et reconnu par l’UNESCO en 2019, le Centre portugais d’alerte aux tsunamis 1, intégré au réseau NEAM (Atlantique Nord-Est, Méditerranée et mers adjacentes) 2, est en première ligne pour détecter toute anomalie sismique ou océanique. Il traite une vingtaine de séismes chaque jour. Toutefois, seuls ceux atteignant au moins une magnitude de 5,5 font l’objet d’une analyse approfondie pour évaluer un éventuel risque de tsunami.
En cas de menace crédible, le centre peut alerter non seulement le Portugal, mais aussi les pays riverains de l’Atlantique nord-est, tels que l’Espagne, la France, le Royaume-Uni ou encore le Maroc. Les alertes émises jusqu’à présent l’ont été à titre informatif, sans risque majeur identifié.
Des capteurs au fond des mers pour anticiper l’imprévisible
Le dispositif de surveillance portugais s’appuie sur des stations sismiques terrestres et des marégraphes installés le long du littoral. Cependant, ces derniers ne peuvent détecter un tsunami qu’à l’instant où la vague atteint la côte. Pour gagner en réactivité, un nouveau réseau de câbles sous-marins équipés de capteurs est en cours d’installation entre le continent, Madère et les Açores. Ces capteurs permettront de capter l’onde de choc bien avant son arrivée sur le rivage.
L’objectif est clair : donner aux autorités quelques précieuses minutes d’avance pour déclencher des alertes, organiser des évacuations et sauver des vies. Dans un pays aussi ouvert sur l’océan que le Portugal, cette course contre la montre est une priorité stratégique.
Le Portugal, entre mémoire et anticipation
Si le risque de tsunami ne fait pas partie du quotidien des Portugais, il reste un sujet d’étude et de vigilance permanente pour les scientifiques. L’Atlantique peut sembler paisible, mais ses profondeurs abritent des tensions millénaires que seule la science moderne permet de surveiller. Mieux équipés, mieux informés, les citoyens portugais et les pouvoirs publics disposent aujourd’hui d’outils efficaces pour affronter une menace qui, bien que rare, pourrait un jour refaire surface.
Comme le souligne Rachid Omira, la mémoire du passé doit guider les décisions du présent. La mer, si belle et généreuse, peut aussi se transformer. Et le Portugal, qui en a fait un art de vivre, le sait mieux que quiconque.
- Centre portugais d’alerte aux tsunamis : https://www.aml.pt/iniciativas/sistema-de-aviso-e-alerta-de-tsunami/ ↩︎
- NEAM : https://tsumaps-neam.eu/ ↩︎







