Malgré une réputation historique de pays progressiste en matière de droits LGBTIQ+, le Portugal enregistre un recul notable dans le dernier Rainbow Map 2025 publié par l’ILGA Europe. Classé 5e en 2018, puis 10e en 2024 après l’interdiction des thérapies de conversion, il glisse désormais à la 11e place sur 49 pays européens. Ce déclassement, bien qu’il maintienne le Portugal au-dessus de la moyenne de l’Union européenne, suscite une inquiétude croissante parmi les chercheurs, activistes et institutions engagées.
Lors d’un forum organisé à Matosinhos sur les droits humains et la lutte contre la haine, l’universitaire Ana Cristina Santos, chercheuse au Centre d’Études Sociales de l’Université de Coimbra, a exprimé une préoccupation majeure : « Ce n’est pas suffisant pour celles et ceux qui vivent au quotidien dans la peur de la violence, de la discrimination et de la haine. » Derrière les chiffres, des réalités douloureuses demeurent.
Un classement qui révèle des failles structurelles

Le rapport 2025 de l’ILGA Europe 1 évalue les politiques publiques en matière de droits LGBTIQ+ à travers sept domaines clés : égalité et non-discrimination, famille, crimes et discours de haine, reconnaissance légale du genre, intégrité corporelle des personnes intersexes, espace de la société civile et droit d’asile. Avec un score global de 66,99 %, le Portugal ne satisfait pleinement que quatre de ces sept catégories. Une faiblesse particulièrement criante est relevée dans la lutte contre les discours et crimes de haine.
« Ce n’est pas suffisant pour ceux qui vivent dans la peur quotidienne de la violence, de la discrimination et de la haine »
Ana Cristina Santos
Cette tendance s’inscrit dans un contexte européen plus large, où les menaces contre les droits LGBTIQ+ s’intensifient. Si des pays comme Malte, la Belgique ou l’Islande renforcent leur cadre juridique, d’autres comme la Hongrie, la Géorgie ou le Royaume-Uni connaissent des reculs brutaux, souvent liés à des initiatives politiques conservatrices ou extrémistes.
Au Portugal, la montée du parti d’extrême droite Chega, qui a remporté 58 sièges lors des dernières élections, inquiète particulièrement. Des campagnes d’intimidation, comme celles menées par le groupe Habeas Corpus 2 – qui a publié une liste d’activistes qualifiés de « terroristes LGBTIQ+ » – révèlent une volonté de saper les acquis récents. Cette atmosphère contribue à nourrir un climat de peur et de fragilité pour les personnes concernées.
La ministre portugaise de la Jeunesse, Margarida Balseiro Lopes, a récemment exprimé la préoccupation du gouvernement face à l’augmentation du discours de haine ciblant les personnes LGBTIQ+. Toutefois, les réponses concrètes peinent à rassurer les associations sur le terrain.
Un héritage en danger pour les seniors LGBTIQ+

Une génération encore marginalisée
Invitée à intervenir sur la question des personnes âgées LGBTIQ+, Ana Cristina Santos a souligné une réalité trop souvent ignorée : beaucoup de ces individus ont vécu dans la clandestinité, parfois jusqu’à l’âge adulte. Au Portugal, l’homosexualité n’a été dépénalisée qu’en 1982. Cette génération, marquée par la stigmatisation, la peur constante de l’arrestation et l’expérience de la crise du VIH/SIDA, voit aujourd’hui ses droits symboliquement reconnus mais encore fragiles dans la pratique.
Selon la chercheuse, la Constitution portugaise 3 est l’une des rares en Europe à interdire explicitement la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle (depuis 2004). Pourtant, l’inquiétude persiste : « Que signifie ce texte pour une personne LGBTIQ+ âgée qui voit, en 2025, les résultats électoraux valider un discours hostile à son existence même ? » Ces personnes, souvent isolées et peu visibles, font face à une double exclusion, liée à leur orientation et à leur âge.
Des politiques inadaptées aux réalités intergénérationnelles
La législation portugaise récente a marqué des progrès notables, notamment par l’interdiction des thérapies de conversion 4. Toutefois, les dispositifs d’accompagnement social restent insuffisants, surtout pour les aînés. Les centres de santé, les maisons de retraite et les services d’aide à domicile sont rarement formés à accueillir des personnes LGBTIQ+ dans leur diversité. De nombreux témoignages relatent encore des attitudes discriminatoires de la part du personnel médical ou administratif.
Face à ces carences, la société civile tente de combler les vides. Des collectifs comme ILGA Portugal 5 ou AMPLOS 6 (association de parents) militent pour des politiques plus inclusives et des campagnes de sensibilisation ciblées. Néanmoins, sans impulsion politique forte, les effets restent limités. Il est crucial de faire entendre la voix des personnes âgées concernées, de recueillir leurs récits, et d’élaborer des solutions en collaboration avec elles.
En intégrant pleinement les personnes âgées LGBTIQ+ dans les politiques publiques, le Portugal pourrait non seulement corriger une injustice persistante, mais aussi retrouver son leadership européen dans la défense des droits fondamentaux. L’inclusion intergénérationnelle est un test décisif pour la maturité démocratique d’une société.
Une régression européenne inquiétante

Le cas portugais s’inscrit dans une dynamique continentale plus préoccupante. Le dernier rapport de l’ILGA souligne une offensive coordonnée contre les droits LGBTIQ+ dans plusieurs pays. En Hongrie, la marche des fiertés de Budapest a été interdite pour la première fois au sein de l’Union européenne. La Géorgie a voté un ensemble de lois qualifiées de « fortement anti-LGBTIQ+ ». Même le Royaume-Uni, historiquement progressiste, recule dans le classement après une décision judiciaire controversée sur la définition du terme « femme ».
Ces actions ne sont pas isolées. Elles s’inscrivent dans une stratégie globale, selon la directrice de l’ILGA Europe, Katrin Hugendubel, visant à consolider la discrimination sous couvert de défendre des « valeurs traditionnelles ». Dans ce climat, chaque recul compte. Même une perte symbolique d’une place dans le classement – comme c’est le cas du Portugal – devient un signal d’alarme. Car derrière ces reculs législatifs, se cache une augmentation documentée des violences, agressions et discours haineux à travers le continent.
Un appel à l’action européenne

Vers une nouvelle stratégie de l’Union européenne
En réponse à cette situation préoccupante, la Commission européenne a annoncé le lancement, d’ici fin 2025, d’une nouvelle stratégie pour l’égalité des personnes LGBTIQ+. Cette feuille de route s’appuiera sur plusieurs piliers : lutte contre les pratiques de conversion, meilleure reconnaissance des droits intersexes, réponse aux violences en ligne, et protection contre les discriminations croisées (liées par exemple à l’âge, à la race ou au handicap).
Si cette stratégie représente une avancée sur le papier, son succès dépendra largement de l’engagement des États membres. Or, les divergences nationales, les pressions politiques internes et les stratégies populistes risquent de freiner sa mise en œuvre. Une vigilance constante de la société civile et une volonté politique ferme seront nécessaires pour traduire ces objectifs en réalités tangibles.
État des lieux comparatif en Europe
Pays | Classement 2025 | Score (%) | Évolution |
---|---|---|---|
Malte | 1er | 88 | Stable |
Belgique | 2e | 85 | +1 |
Islande | 3e | 84 | Stable |
Portugal | 11e | 66,99 | -1 |
Hongrie | 39e | 22,70 | -7 |
Royaume-Uni | 22e | 45 | -6 |
Russie | 49e | 2 | Stable |
Une responsabilité partagée pour inverser la tendance
Face à la régression des droits LGBTIQ+ en Europe, y compris au Portugal, la mobilisation de tous les acteurs est essentielle. Les chercheurs et chercheuses, comme Ana Cristina Santos, jouent un rôle clé pour documenter, alerter, et formuler des recommandations fondées. Les institutions doivent suivre, non par inertie, mais avec courage et ambition.
La société civile, les associations, les collectivités territoriales et même le secteur privé peuvent également contribuer à créer des espaces de respect, de visibilité et de protection. Chaque recul est une blessure pour les droits humains, chaque avancée est une victoire collective. Rester attentif, solidaire et actif est une nécessité absolue dans le contexte actuel.
Le classement de l’ILGA Europe ne doit pas être lu comme une fin en soi, mais comme un outil pour mesurer nos engagements et nos retards. En 2025, le Portugal a encore les moyens – humains, politiques, juridiques – de retrouver sa place de leader. Mais cela exige de transformer les promesses en politiques concrètes et inclusives, pour toutes et tous, sans exception.
- ILGA : https://ilga.org/fr/page-daccueil/ ↩︎
- Habeas Corpus : https://www.rtp.pt/noticias/pais/grupo-radical-habeas-corpus-interrompe-sessao-da-ordem-dos-advogados-sobre-questoes-lgbt_a1640733 ↩︎
- Constitution portugaise : https://www.parlamento.pt/Legislacao/Paginas/ConstituicaoRepublicaPortuguesa.aspx ↩︎
- Loi du 29 janvier 2024 : https://www.theportugalnews.com/fr/nouvelles/2024-01-30/interdiction-de-la-therapie-de-conversion/85513 ↩︎
- ILGA Portugal : https://ilga-portugal.pt/ ↩︎
- AMPLOS : https://www.amplos.pt/ ↩︎