Lisbonne et Madrid pressent Paris sur les interconnexions électriques

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Moins d’un mois après une panne géante ayant plongé la péninsule Ibérique dans le noir, l’Espagne et le Portugal adressent un message clair à Bruxelles et Paris : il est temps d’agir. Dans une lettre commune remise au commissaire européen à l’Énergie, Dan Jørgensen, les deux pays appellent à une accélération des projets d’interconnexions électriques, qu’ils estiment désormais prioritaires et urgents. Une initiative diplomatique qui met en lumière l’isolement énergétique persistant du sud de l’Europe et la fragilité des infrastructures continentales face aux chocs systémiques.

Un appel politique motivé par une panne sans précédent

Le 28 avril 2025, une coupure électrique majeure affecte simultanément le Portugal, l’Espagne, Andorre et certaines régions du sud de la France. Aéroports paralysés, trafic ferroviaire interrompu, signalisation routière en panne : les effets en chaîne rappellent brutalement la vulnérabilité du réseau électrique ibérique. En réaction, les ministres de l’Énergie espagnole, Sara Aagesen, et portugaise, Maria da Graça Carvalho, plaident auprès de la Commission européenne pour une « nouvelle impulsion politique » sur le dossier des interconnexions transfrontalières.

Dans leur missive commune, les deux gouvernements affirment que cette panne démontre « la nécessité urgente de renforcer l’intégration énergétique de la péninsule Ibérique au système électrique européen ». L’interconnexion avec le reste du continent demeure très faible, limitée à 2,8 GW à travers les Pyrénées — bien loin des objectifs européens fixés à 15 % d’ici 2030.

Madrid et Lisbonne proposent à cet effet la tenue, avant la fin de l’année, d’une réunion ministérielle regroupant la France, la Commission européenne et les États ibériques, afin d’établir un calendrier d’actions concrètes pour les prochaines années.

« Nous avons besoin d’un engagement politique et financier ferme, à tous les niveaux, pour sécuriser notre approvisionnement et soutenir la transition énergétique », déclarent-elles. Un rappel que la résilience du réseau ne se décrète pas, mais se construit — et que la lenteur des décisions pèse lourd en cas de crise.

Une péninsule toujours isolée du réseau européen

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Une interconnectivité structurellement insuffisante

Malgré des progrès notables ces dernières années, la péninsule Ibérique demeure ce que les spécialistes appellent une « île énergétique ». Avec moins de 3 % d’interconnexion avec le reste du continent, l’Espagne et le Portugal restent largement dépendants de leurs propres capacités de production et de leurs échanges internes. Une situation préoccupante dans un contexte de transition vers des sources renouvelables, intermittentes par nature.

La péninsule Ibérique demeure ce que les spécialistes appellent une « île énergétique »

En théorie, la capacité d’interconnexion entre la France et l’Espagne devrait atteindre 5 GW à l’horizon 2028. Mais pour les deux pays, ce seuil reste largement en-deçà des besoins. D’autant que les projets avancent lentement : procédures environnementales, contestations locales et frilosité française sur le sujet compliquent la mise en œuvre de nouveaux tracés.

Une dépendance problématique à l’autonomie nationale

Le Portugal dispose d’une infrastructure robuste au niveau national : près de 235.000 kilomètres de réseau de distribution, 9400 km de transport, treize opérateurs et plus de 6,5 millions de clients. Mais en cas de panne externe ou de déséquilibre de fréquence, l’absence de connexions suffisantes avec le continent l’empêche de basculer rapidement sur des ressources alternatives.

Le scénario du 28 avril en est l’illustration frappante : des fluctuations extrêmes de tension, enregistrées les 22, 24 et 28 avril, ont provoqué des déconnexions automatiques sur plusieurs sites de production, selon l’association espagnole Aelec 1. Pourtant, ces signaux d’alerte auraient été ignorés par le Réseau européen des gestionnaires de transport (ENTSO-E) 2, chargé de l’enquête technique.

Des tensions diplomatiques latentes avec la France

À Madrid comme à Lisbonne, la patience semble s’amenuiser face à ce qu’ils perçoivent comme une inertie française. Un courrier distinct devrait d’ailleurs être adressé dans les prochains jours au ministre français de l’Industrie, Marc Ferracci. Les accusations d’obstruction française ne sont pas nouvelles : Paris est régulièrement pointée du doigt pour avoir retardé ou freiné les projets d’interconnexions au nom de considérations locales ou budgétaires.

La ministre espagnole de l’Écologie, auditionnée au Sénat, n’a pas mâché ses mots : « Notre gouvernement n’a cessé de se battre pour ces interconnexions. Il est temps que les engagements soient respectés. » Une déclaration qui révèle l’impatience croissante des partenaires ibériques à voir ce dossier avancer réellement.

Un enjeu stratégique pour l’Union européenne

Au-delà du cadre bilatéral, l’affaire met en lumière une problématique plus large : celle de la résilience énergétique européenne. Dans un contexte de sortie progressive des énergies fossiles, d’électrification croissante des usages et d’intégration massive des énergies renouvelables, la solidité du réseau devient une condition sine qua non de la sécurité énergétique continentale.

La Commission européenne estime à 584 milliards d’euros les investissements nécessaires dans la décennie en cours pour moderniser les réseaux de transport et de distribution, y compris les interconnexions transfrontalières. Un chiffre colossal, mais jugé indispensable pour tenir les objectifs climatiques de 2030 et 2040.

L’incident du 28 avril rappelle que l’Europe de l’énergie ne peut plus se contenter de patchs techniques : elle nécessite une vision stratégique, une planification coordonnée et un engagement politique au plus haut niveau. À cet égard, le message ibérique fait écho à une urgence continentale.

Vers une Europe de l’électricité réellement interconnectée ?

Si le Portugal et l’Espagne réaffirment leur volonté de sortir de l’isolement énergétique, ils ne peuvent y parvenir seuls. Une interconnexion ne se construit pas à une seule extrémité. L’appel lancé à Bruxelles et à Paris est autant un cri d’alerte qu’une invitation à repenser l’architecture énergétique de l’Union européenne.

Le défi est autant technique que politique : construire un réseau intégré, capable d’absorber les chocs, de répondre aux pics de demande, et de soutenir la transition énergétique en partageant les ressources. Sans cela, les ambitions climatiques risquent de buter sur les limites physiques d’un réseau fragmenté. Et les pannes comme celle d’avril pourraient devenir la norme, plutôt que l’exception.


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