Symbole du patrimoine portugais et joyau de l’Université de Coimbra, la Biblioteca Joanina s’ouvre à un nouvel avenir. Huit ans après le lancement des premiers travaux de conservation, le site baroque classé au patrimoine mondial de l’UNESCO entre désormais dans l’ère du numérique. Baptisé Joanina Digital, ce projet ambitieux vise à rendre accessibles des dizaines de milliers de manuscrits rares à l’échelle mondiale. Un chantier de mémoire et d’innovation qui dépasse la simple numérisation d’archives : il s’agit d’un dialogue entre cultures, de Coimbra à Sharjah, entre histoire et modernité.
La cérémonie d’inauguration, organisée le 3 octobre, a marqué un moment de convergence entre le Portugal et le monde arabe. Elle s’est déroulée en présence du cheikh Sultan bin Mohammed Al Qasimi, membre du Conseil suprême des Émirats arabes unis et dirigeant de Sharjah, partenaire stratégique de cette initiative. Derrière les discours officiels, un message clair : préserver le passé pour éclairer l’avenir.
Un patrimoine baroque projeté dans le futur
Construite au XVIIIe siècle sous le règne de Jean V, la bibliothèque Joanina est depuis longtemps considérée comme l’un des temples européens du savoir. Ornée de boiseries dorées, de fresques allégoriques et de volumes reliés à la main, elle incarne la splendeur du baroque portugais. Mais la beauté de ce lieu cachait une fragilité : le papier, la lumière et le temps menacent un héritage inestimable. D’où l’urgence d’un projet qui conjugue science et patrimoine.
Le programme Joanina Digital 1 prévoit la numérisation d’environ 30.000 manuscrits et livres rares d’ici 2030. L’objectif n’est pas seulement de les reproduire, mais de les restaurer, de les cataloguer et de les rendre consultables par les chercheurs du monde entier via la plateforme digitalis.uc.pt/joaninadigital. Selon le recteur Amílcar Falcão, « ce projet va bien au-delà du passage du papier à l’écran : il valorise un acervo unique et permet de projeter dans l’univers numérique l’une des plus belles bibliothèques du monde. »
Avec un financement de près de 8 millions d’euros en provenance des Émirats arabes unis, la Joanina entre dans une nouvelle phase de son histoire. Plus qu’une modernisation, il s’agit d’une renaissance : celle d’un savoir mis à la portée de tous, dans le respect des techniques de conservation les plus exigeantes.
Une alliance entre Coimbra et Sharjah : la diplomatie du savoir

Le partenariat entre l’Université de Coimbra et la Sharjah Book Authority n’est pas le fruit du hasard. Il s’inscrit dans une longue tradition d’échanges intellectuels entre le Portugal et le monde arabe, initiée dès l’époque des grandes découvertes. Le projet Joanina Digital s’impose ainsi comme un exemple de diplomatie culturelle, où la science, la mémoire et la technologie deviennent des instruments de rapprochement entre civilisations.
Lors de la cérémonie, le cheikh Al Qasimi a salué « une bibliothèque qui relie les générations, un pont entre l’Europe et le monde arabe, entre le savoir ancien et la recherche de demain. » Ces mots résonnent avec une symbolique forte : l’idée que le patrimoine n’a de sens que s’il circule, s’il se partage et s’il dialogue avec d’autres horizons.
Une collection inédite sur la présence portugaise au Moyen-Orient
Le lancement de la Collection numérique du Moyen-Orient constitue l’une des grandes nouveautés du projet. Ce fonds, désormais accessible en ligne, met en lumière des documents rares sur la présence portugaise dans le Golfe et sur la péninsule Arabique. Il offre une relecture de l’histoire des échanges entre Lisbonne et le monde oriental, révélant des manuscrits diplomatiques, des cartes et des correspondances longtemps inaccessibles.
Durant la phase pilote, plus de 160.000 pages ont déjà été numérisées et plus de 3 300 volumes catalogués. Ces efforts techniques, appuyés par des équipes mixtes portugaises et arabes, témoignent d’une ambition : faire de Coimbra un pôle mondial de la connaissance historique numérisée.
Une « maison pour toute la Terre habitée »
Le recteur Amílcar Falcão a résumé cette transformation en une phrase saisissante : « La Joanina, jadis Casa da Livraria, devient désormais la Casa de Toda a Terra Habitada. » L’expression, inspirée d’un vers humaniste, traduit la vision d’une bibliothèque ouverte à toutes les cultures, où les langues et les mémoires se croisent. Le projet incarne une conviction : la culture et le savoir sont les outils les plus puissants pour bâtir « un monde plus juste, plus éclairé et plus heureux ».
Une exposition pour comprendre les coulisses du savoir

En parallèle, l’Université de Coimbra accueille jusqu’à la fin de l’année l’exposition « Joanina Digital – Para além do ecrã ». Le public y découvre les étapes du processus de numérisation, les technologies utilisées pour la conservation du papier ancien, ainsi que des pièces rares issues du fonds Joanina. Cette exposition pédagogique montre que la préservation du patrimoine passe autant par la science que par la passion des équipes qui la portent.
Les visiteurs peuvent observer la délicatesse des restaurations, les systèmes d’éclairage non invasifs et les scanners haute définition capables de préserver les couleurs et la texture des encres d’origine. À travers cette vitrine du savoir-faire portugais, la Joanina se réinvente en laboratoire de la mémoire universelle.
La renaissance d’une bibliothèque-monde
Joanina Digital symbolise une ère nouvelle pour le patrimoine portugais. Ce projet, à la fois scientifique et diplomatique, replace Coimbra sur la carte mondiale du savoir. En alliant la tradition humaniste à la technologie numérique, la bibliothèque de Jean V devient un espace sans frontières, où le passé se connecte au futur.
Pour le Portugal, cette modernisation dépasse le cadre académique : elle réaffirme la vocation du pays à dialoguer avec d’autres civilisations. De la pierre à la donnée, du manuscrit au pixel, la Biblioteca Joanina poursuit sa mission première : préserver la mémoire, pour mieux la partager.
- Joanina Digital : https://www.uc.pt/en/bguc/projects/digital-joanina-project/ ↩︎







