Graça, la colline préservée de Lisbonne qui résiste au tourisme

miradouro Senhora do Monte

Lisbonne ne manque ni de collines ni de points de vue. Mais parmi les 7 qui dessinent la ville, une seule échappe encore à l’invasion touristique : Graça. Un quartier suspendu entre ciel et fleuve, traversé par la lumière dorée des fins d’après-midi, où les murs racontent autant que les pierres. Ici, pas de files devant des tuk-tuks ni de groupes déversés par bus. On y grimpe à pied, le souffle court, mais l’âme légère. On y vient sans savoir, on en repart transformé.

C’est dans ces rues étroites que se déploie l’énergie brute de Lisbonne, loin des vitrines formatées d’Alfama. À Graça, les fresques murales ne sont pas des décors. Elles sont nées d’une mémoire partagée, d’une colère douce, d’un besoin d’identité. Des portraits de révolutionnaires couvrent les façades défraîchies, les murs crient encore le rouge des œillets, et chaque pas révèle une surprise picturale. Bienvenue dans un quartier où le Street Art est un acte de résistance.

Un village ouvrier au sommet de Lisbonne

Vila berta
Vila Berta

Avant d’être à la mode, Graça était un quartier d’ouvriers. On y construisait des maisonnettes et résidences pour les familles des usines, avec des ruelles pavées et des balcons en fer forgé. Vila Berta 1, Vila Sousa : des noms qui sonnent comme des souvenirs intimes. Aujourd’hui encore, ces impasses fleuries racontent une Lisbonne préservée. Le voisinage y a gardé ses rites : cafés du matin pris en silence, conversations qui traversent la rue, linge étendu entre deux murs.

Contrairement à Alfama, devenue musée à ciel ouvert pour groupes organisés, Graça continue de vivre pour ses habitants. Les commerces restent ouverts pour le quotidien, pas pour les souvenirs. Et si un touriste s’aventure jusqu’ici, il est regardé avec une bienveillance méfiante. Comme si l’on disait : « Tu peux regarder, mais respecte. »

Une colline chargée d’histoire

miradouro de graca

Au delà de se passé ouvrier, l’histoire de Graça remonte aux origines mêmes de Lisbonne. De par sa situation elle fut d’abord un poste stratégique lors de la reconquête chrétienne menée par Afonso Henriques en 1147. Au XIIIᵉ siècle, on y fonda le Couvent de Nossa Senhora da Graça, autour duquel le quartier prit forme. Ce fut longtemps un lieu de prière, de silence et de vignobles.

Au XVIᵉ siècle, Graça devient un quartier noble, parsemé de palais et de jardins, refuge de familles aisées fuyant les bas-fonds de la Baixa. Le tremblement de terre de 1755 détruit une grande partie de ce patrimoine, mais la colline renaît, fière, reconstruite autour de son église et de ses ruelles pavées.

Aujourd’hui encore, les azulejos délavés, les façades irrégulières et les escaliers raides conservent ce mélange singulier de grandeur passée et d’humilité populaire. L’histoire n’a pas figé Graça ; elle lui a donné son rythme, ses fissures, et cette élégance un peu cabossée que les Lisboètes appellent simplement la vie.

Des fresques qui parlent plutôt que simplement décorer

obey & vilhs
OBEY & Vilhs – Rua Senhora da Glória

La rue Caracol da Graça, en colimaçon, est l’un des itinéraires artistiques les plus expressifs de Lisbonne. Entre deux volées de marches irrégulières, des pans de murs entiers deviennent supports de mémoire. On y découvre les fresques engagées de l’américain Shepard Fairey aka OBEY, connu pour son célèbre « Hope » de Barack Obama, mais ici inspiré par un autre combat : la Révolution des Œillets de 1974. Son travail, immense et poignant, s’intègre à merveille à l’esthétique brute du quartier : murs écaillés, encadrements de portes abîmés, câbles électriques apparents. Ce n’est pas une toile pour touristes, c’est une déclaration politique.

street art graça
Escadinhas do Caracol da Graça

D’autres artistes, plus discrets mais tout aussi puissants, ont rejoint cette conversation murale. Vilhs, Mariana Duarte Santos, Regg Salgado, AkaCorleone … ou encore le collectif Yes You Can Spray, connu pour son credo : « interrompre et réveiller les sens de ceux qui passent ». Leurs fresques ne cherchent pas l’effet « carte postale » : elles racontent des visages, des luttes, des souvenirs partagés. Le quartier devient alors galerie, mais sans ticket d’entrée, sans fléchage, sans vitrines. Une galerie vivante, mouvante, populaire.

Au fil des années, ces œuvres ont évolué. Certaines ont disparu, effacées par le temps ou recouvertes par d’autres. D’autres s’effacent sous la pression de la modernisation : un funiculaire tout neuf, construit en 2024 pour faciliter l’accès au miradouro, passe désormais juste à côté. Le confort monte, mais la poésie disparaît un peu. En prenant le funiculaire, on saute les marches, mais on saute aussi l’art de rue. Celui qu’on ne découvre qu’en grimpant lentement, le regard à hauteur d’émotion.

Graça a compris que le street art n’est pas un décor. C’est un langage. Un cri parfois, une mémoire souvent. Une invitation, toujours, à regarder autrement les murs et ceux qui vivent derrière.

Pourquoi Graça ne veut pas devenir Alfama

miradouro graça

Le quartier est en sursis. Les loyers montent, les annonces touristiques se multiplient, les promoteurs tournent. Mais la résistance s’organise. Les habitants parlent de Mouraria ou d’Intendente comme des frères déjà sacrifiés. Graça pourrait suivre, mais pas sans lutte. Les collectifs artistiques, les associations locales, les anciens et les jeunes s’accordent : le quartier ne doit pas être digéré par le tourisme de masse.

Ici, on vit encore à l’ombre des miradouros : celui de Graça et celui de Senhora do Monte, les plus beaux belvédères de Lisbonne. Là-haut, la vue sur le Tage est aussi éblouissante qu’à Alfama, mais le silence y est intact. Les touristes s’en vont à 18h, les voisins reviennent partager un verre, papoter ou s’y embrasser au coucher du soleil.

Un quartier vivant, pas un décor

Graça ne se résume pas à sa résistance : c’est un quartier à vivre, pas à consommer. Ses rues escarpées mènent à des trésors discrets comme l’Igreja da Graça 2, reconstruite après le tremblement de terre de 1755, abrite des azulejos anciens d’une beauté paisible. À quelques pas, le miradouro Sophia de Mello Breyner Andresen 3, plus communément appelé : miradouro da Graça, offre un panorama majestueux sur les toits rouges de Lisbonne et le Tage, accompagné du tintement des cloches et du murmure d’un kiosque où l’on sert cafés et vinho verde.

eglise de graça

Un peu plus loin, le Jardim da Cerca da Graça 4 déroule ses pelouses en terrasses : idéal pour lire, pique-niquer, ou simplement respirer hors du tumulte. Plus intimiste encore, le jardim Augusto Gil 5, avec sa fontaine centrale et ses bancs à l’ombre, incarne ce que Lisbonne peut offrir de plus doux.

jardin augusto gil
Jardim Augusto Gil

Les amateurs de bière artisanale trouveront refuge chez Oitava Colina 6, une microbrasserie locale nichée à deux rues des belvédères. Rien d’ostentatoire ici ; simplement une pinte fraîche partagée entre voisins ou amis, avant de redescendre lentement vers les bruits de la ville.

Comment visiter Graça sans le dénaturer

Venez tranquillement, à pied si possible. Privilégiez l’automne, quand la lumière est douce et que les ruelles sont calmes. Prenez le temps de parler, ou au moins de dire « obrigado« . C’est peu, mais c’est beaucoup. Préférez les petits tascas aux restaurants avec menus en 6 langues. L’argent dépensé ici reste dans le quartier.

Évitez les groupes bruyants, les selfies à la chaîne. Ne photographiez pas les gens sans autorisation. Graça n’est pas un décor, c’est une maison ouverte. Le respect est la seule clef d’entrée. En retour, le quartier vous offre quelque chose que l’on ne trouve plus ailleurs : un sentiment d’équilibre, entre histoire, art et vie quotidienne.

Et peut-être, si vous êtes chanceux, une vieille dame vous regardera photographier une fresque et vous dira en souriant : « Les touristes ne l’ont pas encore trouvé ». Comme une confidence. Comme un avertissement.

Et pourquoi pas vivre à Graça ?

graça

Vivre à Graça, c’est accepter un rythme à part, un quotidien fait de marches raides, de salutations dans la rue et de couchers de soleil sur les toits rouges. Ceux qui s’y installent cherchent moins le prestige que la cohérence : un quartier central mais encore habité et sincère. On y trouve des épiceries de quartier, des écoles, des jardins, des terrasses. C’est l’un des rares endroits de Lisbonne où la modernité s’est invitée sans effacer le lien social.

Le quartier attire de plus en plus de nouveaux résidents, artistes, familles ou télétravailleurs venus d’ailleurs. Les prix grimpent, c’est vrai, autour de 5300 € le mètre carré à l’achat, ou près de 23€ en location, mais la demande reste forte : la lumière, la vue et l’authenticité ne se remplacent pas.

Vivre ici, c’est aussi composer avec les contraintes d’une colline : escaliers, pentes abruptes, rues étroites, parfois bruyantes. Mais c’est le prix d’un certain Lisbonne encore vivant, loin des quartiers vitrines. Ceux qui y vivent n’ont pas trouvé le quartier parfait, ils ont trouvé un équilibre entre beauté et imperfection. Et peut-être est-ce cela, le véritable luxe lisboète.

Un quartier à préserver avant qu’il ne soit trop tard

Les menaces sont réelles : loyers en hausse, airbnbisation, appât du gain. Graça est aujourd’hui ce que Mouraria ou Intendente étaient il y a 10 ans. Une enclave fragile, où l’art vit encore pour les gens du quartier, pas pour les visiteurs. D’ici 2026, tout peut changer. Mais pour l’instant, la femme au balcon peut encore suspendre son linge sous les oeillets rouges de la liberté, sans devenir un décor de carte postale. Et c’est cela, le véritable secret de Graça : un lieu où l’art reste un acte de résistance et où la beauté, encore, appartient à ceux qui y vivent.

  1. Vila Berta : Graça 1170-364 Lisbonne ↩︎
  2. Igreja da Graça : Largo da Graça, 1170-165 Lisbonnehttps://igrejadagraca.pt/ ↩︎
  3. Miradouro da Graça : Calçada da Graça, 1100-265 Lisbonnehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Belv%C3%A9d%C3%A8re_de_Gra%C3%A7a ↩︎
  4. Jardim da Cerca da Graça : Calçada do Monte 46, 1100-362 LisbonneLes jardins et parcs incontournables à Lisbonne ↩︎
  5. Jardim Augusto Gil : Largo da Graça 103, 1100-265 Lisbonnehttps://informacoeseservicos.lisboa.pt/(…)jardim-da-graca ↩︎
  6. Oitava Colina : https://www.oitavacolina.pt/ ↩︎
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