Le Portugal traverse une véritable crise du logement. Les prix d’achat comme de location atteignent des sommets historiques, rendant l’accès à un logement digne de plus en plus difficile pour de nombreuses familles. Pourtant, le débat public sur cette question cruciale semble de plus en plus marqué par des clivages idéologiques qui freinent la mise en œuvre de solutions efficaces. Peut-on encore agir rationnellement sans tomber dans l’opposition stérile entre marché et intervention publique ?
Une pénurie de logements face à une demande croissante
La tension sur le marché immobilier portugais repose avant tout sur un déséquilibre fondamental entre l’offre et la demande. Le nombre de logements disponibles ne suit pas la croissance démographique ni les transformations sociétales, comme l’augmentation des ménages unipersonnels ou l’attractivité du pays auprès des étrangers. Ce phénomène est particulièrement visible à Lisbonne, Porto et dans certaines zones côtières.
Lorsque la demande excède l’offre, les prix montent
Il ne s’agit pas d’une conjecture politique, mais d’une réalité économique : lorsque la demande excède l’offre, les prix montent. Dans ce contexte, accélérer la construction, faciliter les procédures d’urbanisme et libérer du foncier constructible apparaissent comme des leviers incontournables.
Des réponses politiques en décalage avec les enjeux
Pourtant, une partie du discours politique continue à faire reposer la solution sur une action étatique directe : encadrement des loyers, subventions publiques, fiscalité renforcée des propriétaires. Ces mesures, bien qu’animées de bonnes intentions, suscitent plusieurs interrogations.
Les dispositifs de plafonnement des loyers, par exemple, peuvent avoir des effets pervers. À Berlin, une telle mesure a réduit de moitié l’offre locative en quelques mois, poussant certains propriétaires vers l’économie informelle. Le Tribunal constitutionnel allemand a finalement déclaré cette loi inconstitutionnelle.
Faut-il en conclure que toute intervention publique est inefficace ? Non. Mais toute politique doit être évaluée à l’aune de son efficacité réelle, et non de sa seule valeur symbolique. Bien évidemment, il est toujours plus facile de juger a posteriori, ou de construire des modèles parfaits sur le papier. La complexité du réel rend les choix politiques délicats, et l’équilibre entre justice sociale et viabilité économique difficile à atteindre.
Le rôle ambivalent de l’État : garant ou acteur du blocage ?

La Constitution portugaise (article 65) 1 reconnaît le droit au logement comme un objectif programmatique, que l’État doit promouvoir, mais sans obligation absolue de le garantir individuellement. Pourtant, certaines décisions politiques semblent ignorer cette nuance, en misant tout sur des aides financières qui augmentent la capacité d’achat … sans accroître l’offre et c’est bien là le principal point de désaccord sur le sujet entre la droite et la gauche portugaise.
Résultat : les prix continuent de grimper. Des dispositifs comme le « Arrendamento Acessível » 2 n’ont pas (encore) permis de compenser la raréfaction des logements disponibles, et les aides au loyer risquent d’avoir un effet inflationniste si elles ne sont pas accompagnées de constructions nouvelles selon les partis plutôt à droite.
Même si le gouvernement de droite de Luís Montenegro est souvent perçu comme plus favorable à l’investissement et à une régulation libérale du marché, il n’est pas exempt de critiques. Voici plusieurs reproches qui peuvent lui être adressés, deux ans après son arrivée au pouvoir au Portugal :
Des résultats encore insuffisants sur l’offre de logements
Malgré une rhétorique très axée sur la construction, la simplification administrative et le soutien à l’investissement privé, le nombre de nouveaux logements construits reste très en-deçà des besoins. Les délais d’instruction des permis de construire demeurent longs dans certaines municipalités, et peu de projets structurants ont encore vu le jour.
Une approche perçue comme trop technocratique
Le gouvernement met en avant des réformes de fond, notamment sur le foncier et la fiscalité. Mais il communique parfois peu sur les retombées sociales de ses choix, et peine à répondre au sentiment d’urgence ressenti par une partie de la population, notamment les jeunes et les familles urbaines.
Une perception d’injustice sociale
Certains accusent le gouvernement de favoriser les investisseurs et les promoteurs au détriment des locataires modestes, en supprimant des plafonds ou en allégeant certaines obligations. L’absence d’un vrai plan de logement social est souvent pointée du doigt, même si le discours officiel insiste sur le partenariat public-privé.
Des effets limités sur les loyers
Alors que le gouvernement a refusé les mécanismes de plafonnement ou de gel des loyers, arguant qu’ils nuiraient à l’offre, les loyers continuent d’augmenter dans les grandes villes, et aucun « choc d’offre » ne semble s’être produit à court terme. Le pari du temps long est difficile à défendre dans une crise aiguë.
Peu de solutions pour les zones rurales ou intermédiaires
La stratégie nationale reste très concentrée sur Lisbonne, Porto ou l’Algarve. Or, des pans entiers du pays souffrent aussi d’un décalage entre l’offre et les besoins locaux, sans pour autant attirer les mêmes capitaux.
Faut-il repenser la figure du promoteur immobilier ?
Dans le débat public, le promoteur ou le propriétaire bailleur est souvent présenté comme l’ennemi du bien commun. Pourtant, la majorité des biens mis en location appartiennent à des ménages ordinaires — souvent des retraités ou des héritiers — qui n’ont pas nécessairement les moyens ou l’envie de gérer des biens sous des régimes contraignants ou instables.
Stigmatiser les acteurs privés ne résout pas la crise. Encourager une participation responsable, dans un cadre réglementaire clair et stable, semble au contraire indispensable pour mobiliser du capital et relancer l’offre de logements.
Des pistes concrètes pour sortir de l’impasse
Au-delà des clivages idéologiques, plusieurs pistes de réforme font consensus parmi les urbanistes et économistes :
- Accélérer les procédures de permis de construire, aujourd’hui longues et imprévisibles
- Réhabiliter les logements vacants, notamment dans les centres urbains
- Réviser la fiscalité sur la propriété et les loyers pour éviter la dissuasion à l’investissement locatif
- Favoriser des partenariats public-privé pour créer du logement abordable
Ces mesures exigent du courage politique, de la transparence et une gouvernance efficace. Mais elles permettent de sortir du cercle vicieux des solutions de court terme inefficaces, voire contre-productives.
Pour finir
Le logement est une question trop sérieuse pour être abandonnée aux slogans. Si les intentions humanistes de la gauche sont légitimes, leur mise en œuvre mérite d’être interrogée à l’aune des résultats. Refuser le débat économique au nom du « droit au logement » revient à ignorer les conditions concrètes de sa réalisation.
La vraie justice sociale commence par des politiques publiques cohérentes, fondées sur la réalité du terrain, qui mobilisent toutes les énergies — publiques comme privées — pour construire, innover et loger. Car comme le rappelle un proverbe bien connu : les maisons ne tombent pas du ciel.
- Constituição da República Portuguesa Artigo 65 : https://diariodarepublica.pt/dr/…/1976-34520775-50476675 ↩︎
- Arrendamento Acessível : https://www.santander.pt/salto/arrendamento-acessivel ↩︎