Ana Paiva : star de l’IA au cœur du gouvernement portugais

Ana Paiva

Alors que le Portugal se prépare à des élections législatives anticipées le 18 mai 2025, l’avenir politique d’Ana Paiva est incertain. Pourtant, qu’elle reste ou non au gouvernement, son influence sur la scène scientifique et technologique portugaise est indéniable. Figure de proue de la recherche en intelligence artificielle (IA), Ana Paiva incarne depuis plus de deux décennies l’alliance entre innovation, éthique et service public. Retour sur le parcours d’une femme qui a su imposer la voix des chercheurs dans l’arène politique.

Une chercheuse au parcours international

Née à Lisbonne, Ana Maria Severino de Almeida e Paiva suit des études d’ingénierie électrotechnique et informatique à l’Instituto Superior Técnico (IST) 1, où elle obtient un master avant de partir au Royaume-Uni, à l’université de Lancaster 2. Elle y soutient en 1996 une thèse consacrée aux modèles d’apprentissage adaptatifs, dans un contexte où l’IA traverse un « hiver », n’étant plus très en vogue à la fin des années 1990 : « Tout le monde me disait que ça ne servait à rien… mais j’ai persévéré », confie-t-elle.

De retour au Portugal, elle rejoint l’IST comme professeure, dirige plus de 25 doctorants et fonde en 2000 le GAIPS 3 – le groupe de recherche sur l’IA pour les gens et la société. Elle y explore l’interaction homme-machine, les émotions artificielles, les robots thérapeutiques et pédagogiques. Ses travaux sont salués au niveau international, notamment par l’AAAI (Association for the Advancement of Artificial Intelligence) 4, qui lui décerne un Blue Sky Award en 2022 5.

Au cœur du pouvoir : la science entre à la table des ministres

Le 5 avril 2024, Ana Paiva est nommée Secrétaire d’État à la Science dans le gouvernement de centre-droit de Luís Montenegro. Une nomination saluée dans les milieux académiques : pour la première fois, une experte mondialement reconnue de l’IA entre au gouvernement portugais avec une mission explicite : porter la voix de la recherche, renforcer le financement public, et encadrer les usages de l’IA dans la société.

Un an plus tard, à l’approche du scrutin législatif, Ana Paiva reste discrète mais lucide : « Nous vivons une époque de fascination et de peur vis-à-vis de l’intelligence artificielle. Mon rôle est de faire en sorte que l’éthique et la transparence soient au cœur de son développement. »

Une experte engagée pour une IA responsable

Ana Paiva ne partage pas l’alarmisme de certains collègues internationaux : « Quand des figures publiques disent que l’IA va causer l’extinction de l’humanité, je trouve cela contre-productif. Le vrai danger, c’est la manipulation de l’information. » Elle cite l’exemple du scandale Cambridge Analytica : « Il ne s’agissait pas de drones tueurs, mais d’algorithmes utilisés pour manipuler les électeurs via les réseaux sociaux. »

Elle soutient activement le AI Act 6 voté par l’Union européenne, qui impose un cadre réglementaire strict sur les systèmes à haut risque. Elle milite pour que les systèmes génératifs (textes, images, deepfakes) soient explicitement identifiés comme tels. « Il est vital que les jeunes générations sachent qu’un message en ligne peut être rédigé par un bot. »

De la recherche appliquée à la société

Les projets soutenus par Paiva sont variés : robots d’assistance en hôpital, Intelligence Artificielle pour détecter des maladies rares, outils pédagogiques pour enfants autistes. Elle travaille actuellement à un programme de robots capables d’intervenir dans des zones à haut risque, comme lors d’incendies. « La robotique ne remplacera pas les humains, mais elle peut renforcer leur sécurité. »

Elle est également attentive aux enjeux sociaux : perte d’emplois, fracture numérique, dépendance algorithmique. « Il y aura toujours du travail, mais différent. Comme lors de l’arrivée des ordinateurs. À nous de former les jeunes à s’adapter. »

Un modèle féminin dans un univers technologique

Dans le domaine encore très masculin de l’intelligence artificielle, Ana Paiva fait figure de pionnière. Elle cite avec admiration une autre Portugaise, Manuela Veloso, aujourd’hui chez J.P. Morgan après avoir enseigné à Carnegie Mellon. « Il y a eu peu de femmes, mais les choses changent. L’important, c’est la passion. »

Élue EurAI Fellow 7 en 2024, elle rejoint un cercle restreint de chercheurs européens dont le travail a été jugé significatif et durable pour l’avenir de l’IA. Elle y voit une reconnaissance collective : « Ce n’est pas juste moi, c’est toute l’équipe du GAIPS. »

À l’aube d’un tournant politique

Le maintien d’Ana Paiva au gouvernement dépendra des résultats du scrutin du 18 mai. Le retour possible des socialistes, ou l’entrée de forces populistes dans la majorité, pourraient redessiner le paysage. Quelle que soit l’issue, Ana Paiva restera une voix incontournable du débat sur l’IA au Portugal.

« Nous devons nous préoccuper de justice, pas de science-fiction », conclut-elle. Un credo qui résonne alors que l’intelligence artificielle bouleverse nos sociétés et interroge nos démocraties.

Ana Paiva

  • 1965 : Naissance à Lisbonne
  • 1987 : Diplôme d’ingénierie à l’IST (Université de Lisbonne)
  • 1996 : Doctorat en IA à Lancaster University (UK)
  • 2000 : Fondation du GAIPS
  • 2020 : Fellowship à Harvard (Radcliffe Institute)
  • 2022 : Blue Sky Award de l’AAAI
  • 2024 : Secrétaire d’État à la Science

Notes

  1. Instituto Superior Técnico : https://tecnico.ulisboa.pt ↩︎
  2. Université de Lancaster : https://www.lancaster.ac.uk ↩︎
  3. GAIPS : https://gaips.inesc-id.pt/ ↩︎
  4. AAAI : https://gaips.inesc-id.pt/team/ana-paiva/ ↩︎
  5. https://cccblog.org/2018/02/20/blue-sky-ideas-conference-track-at-aaai-18/ ↩︎
  6. AI Act : https://artificialintelligenceact.eu/fr/ ↩︎
  7. EurAI Fellow : https://www.inesc-id.pt/ana-paiva-elected-eurai-fellow/ ↩︎

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