Alentejo sous pression, l’ombre des oliviers super-intensifs

olive alentejo

En quelques décennies, la région de l’Alentejo, autrefois caractérisée par ses paysages méditerranéens variés et ses oliveraies traditionnelles, est devenue le théâtre d’une transformation agricole d’une ampleur inédite. Portée par les promesses de développement économique et soutenue par d’importants investissements publics, cette mutation repose sur un modèle intensif, industriel et exportateur. L’huile d’olive, fleuron du patrimoine culinaire portugais, s’est retrouvée au cœur d’une logique productiviste qui inquiète de plus en plus les scientifiques, les écologistes et certains agriculteurs eux-mêmes.

Car derrière les chiffres de la croissance et les records d’exportation se cachent des réalités plus sombres : épuisement des ressources hydriques, dégradation des sols, perte de biodiversité, disparition de paysages historiques, et concentration des richesses aux mains d’un petit nombre d’acteurs puissants, souvent étrangers à la région. Le barrage d’Alqueva, conçu pour irriguer l’un des territoires les plus secs d’Europe, alimente aujourd’hui un système agricole à haut rendement qui semble ignorer les limites écologiques d’un territoire fragilisé par le changement climatique.

Face à l’uniformisation des cultures et à la mécanisation poussée de la production, des voix s’élèvent pour défendre une autre vision du monde rural. Celle d’un équilibre entre l’homme et son environnement, entre mémoire et modernité. Nous vous proposons ici une plongée complète au cœur de cette bataille silencieuse qui se joue entre les racines d’oliviers millénaires et les rangées calibrées d’arbres à haute rentabilité.

Une transformation à marche forcée

alqueva oliverais intensif

Le paysage agricole de l’Alentejo a basculé dans une nouvelle ère avec la mise en service du barrage d’Alqueva, le plus grand réservoir artificiel d’Europe occidentale. Construit avec des fonds publics européens et nationaux, ce projet gigantesque visait à dynamiser une région historiquement pauvre et aride. Sa promesse initiale ? Irriguer les cultures, soutenir l’installation de jeunes agriculteurs, stabiliser les revenus et lutter contre l’exode rural.

Plus de 80 % des ressources hydriques sont aujourd’hui consacrées à l’irrigation de ces monocultures (…)

Mais rapidement, l’eau du barrage a été accaparée par des projets agricoles à grande échelle, principalement destinés à la culture intensive de l’olivier et de l’amandier. Selon les données de l’EDIA 1 (l’entreprise publique gestionnaire du barrage), plus de 80 % des ressources hydriques sont aujourd’hui consacrées à l’irrigation de ces monocultures, souvent super-intensives. Rien qu’en 2024, 74 059 hectares de plantations d’oliviers – en majorité sous forme de haies continues mécanisées – ont été arrosés par ce système.

Les entreprises en tête de ce mouvement appartiennent à des fonds d’investissement internationaux qui détiennent une part majeure des terres irriguées de l’Alentejo

Ce virage industriel a propulsé le Portugal parmi les plus grands exportateurs mondiaux d’huile d’olive. Depuis 2002, les volumes exportés ont été multipliés par 12, et leur valeur par 18. Le secteur génère aujourd’hui près de 900 millions d’euros par an. Les entreprises en tête de ce mouvement – Elaia, De Prado, Aggraria – appartiennent à des fonds d’investissement internationaux qui détiennent une part majeure des terres irriguées de l’Alentejo.

Si ces chiffres font briller les bilans économiques, ils soulèvent de sérieuses interrogations : à qui profite réellement cette manne ? Et à quel prix écologique, humain et patrimonial ? Le modèle productiviste qui s’impose repose en effet sur des choix techniques lourds de conséquences : arbres nains à croissance rapide, cycles de vie courts, intrants chimiques intensifs et recours massif à la main-d’œuvre saisonnière, souvent migrante et sous-rémunérée.

Quand le progrès efface l’histoire

Reconversão do Alentejo em Olival Intensivo | Reportagem Rios Livres GEOTA

Des oliviers millénaires relégués au passé

Au cœur des collines vallonnées de Serpa, l’agriculteur José Pedro Oliveira contemple un arbre noueux qu’il connaît depuis l’enfance. Cet olivier, qui pourrait avoir plus de deux mille ans, continue de produire des fruits. Il incarne une autre temporalité, un lien profond avec la terre, un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération. Son exploitation familiale, étendue sur 30 hectares, conserve un paysage mosaïque fait d’arbres fruitiers, de pâturages et d’oléiculture raisonnée. On y trouve 17 variétés locales d’olives, adaptées au climat et résistantes par nature à la sécheresse.

Les anciens oliviers, jugés trop lents ou inadaptés à la mécanisation, sont arrachés par centaines de milliers.

Ce type de culture extensive, fondé sur la cohabitation harmonieuse entre agriculture et biodiversité, disparaît à vue d’œil. Les anciens oliviers, jugés trop lents ou inadaptés à la mécanisation, sont arrachés par centaines de milliers. Certains, transplantés pour orner des ronds-points ou des hôtels de luxe, deviennent les vestiges décoratifs d’un paysage effacé. Les autres sont sacrifiés sans ménagement pour faire place à des rangées de jeunes arbres calibrés pour la rentabilité.

Avec eux, c’est tout un patrimoine paysager, historique et écologique qui s’efface. Là où les visiteurs venaient autrefois admirer la majesté des oliviers séculaires, on ne voit plus que des lignes monotones, rectilignes, desséchées par le soleil et arrosées artificiellement. Le contraste entre le respect du vivant porté par Oliveira et la logique industrielle qui envahit l’Alentejo est saisissant. Il illustre une fracture silencieuse entre deux visions du monde rural.

Le montado en voie de disparition

montado

Le montado 2ce système agro-sylvo-pastoral typiquement portugais – est aujourd’hui menacé. Ce modèle, qui combine agriculture, élevage extensif et sylviculture, repose sur la diversité des espèces et la résilience des écosystèmes. Il fait partie intégrante du paysage culturel de l’Alentejo, et a longtemps permis une cohabitation équilibrée entre activité humaine et conservation de la nature. Les arbres, en particulier les chênes-lièges, y jouent un rôle central dans la régulation hydrique et la fertilité des sols.

Mais face à la pression du rendement, cette logique multifonctionnelle est progressivement supplantée par une agriculture spécialisée, tournée vers l’exportation. La densité des plantations intensives – jusqu’à 2500 arbres par hectare – rend impossible toute forme de pâturage ou de cohabitation végétale. Le montado, trop lent, trop complexe, trop peu rentable à court terme, est remplacé par des monocultures qui simplifient le territoire et appauvrissent la biodiversité.

La suppression des haies, la disparition des bosquets et la mécanisation généralisée ont un impact direct sur les oiseaux, les insectes pollinisateurs et les petits mammifères

Cette transformation ne se fait pas sans conséquences. La suppression des haies, la disparition des bosquets et la mécanisation généralisée ont un impact direct sur les oiseaux, les insectes pollinisateurs et les petits mammifères. De nombreuses espèces protégées sont en déclin. Et les services écosystémiques qu’offrait le montado – infiltration de l’eau, capture du carbone, auto-fertilité des sols – s’amenuisent, rendant le système agricole plus vulnérable aux aléas climatiques.

À long terme, l’effacement du montado n’est pas seulement une perte pour l’Alentejo. C’est l’un des rares modèles agricoles méditerranéens ayant su conjuguer production, tradition et durabilité qui s’éteint. Et avec lui, c’est une certaine idée du rapport à la terre et au temps qui disparaît, dans l’indifférence générale.

Le revers écologique de la modernisation

agriculture intensive oliviers

Une productivité qui détruit l’équilibre naturel

Les rendements spectaculaires des plantations super-intensives impressionnent à court terme. Avec leurs variétés naines, adaptées à la mécanisation, ces oliviers permettent une récolte rapide, peu coûteuse et régulière. Mais cette efficacité apparente repose sur un système précaire : irrigation massive, usage généralisé d’agrotoxiques, suppression de la couverture végétale. En Alentejo, les conséquences de ce modèle commencent à se faire cruellement sentir.

Les sols, lessivés et compactés par les machines, perdent leur structure. La fertilité naturelle s’effondre, forçant les agriculteurs à recourir à toujours plus d’intrants. L’usage intensif de pesticides et d’engrais provoque des pollutions diffuses, infiltrant les nappes phréatiques et dégradant la qualité de l’eau. Dans les zones proches des plantations, certains cours d’eau saisonniers ont vu leur débit s’amenuiser ou disparaître, affectant l’ensemble du cycle hydrologique local.

La biodiversité est aussi en chute libre. Une étude de l’EDIA révèle que les oliveraies en haies super-intensives n’abritent qu’environ la moitié des espèces présentes dans les vergers traditionnels. Les insectes pollinisateurs, déjà menacés par le changement climatique, sont particulièrement touchés. Les oiseaux, privés de zones de nidification et d’alimentation, désertent progressivement ces paysages homogénéisés.

Le paradoxe est criant : une région historiquement façonnée par une agriculture résiliente est aujourd’hui fragilisée par une logique d’exploitation à haut débit, qui sacrifie l’équilibre à la rentabilité. Et les conséquences pourraient s’avérer irréversibles si aucune régulation sérieuse n’est engagée.

Une dépendance dangereuse à l’eau du barrage d’Alqueva

barrage d'Alqueva

Le réservoir d’Alqueva, immense retenue d’eau artificielle créée sur le fleuve Guadiana, a été conçu pour irriguer l’Alentejo et stimuler son développement économique. Mais l’usage qui en est fait interroge ; comme nous l’avons vu plus haut, son utilisation est pratiquement exclusive à l’agriculture intensive !

Alors même que l’Alentejo est l’une des régions les plus sèches d’Europe, on y cultive de manière intensive des cultures gourmandes en eau

Or, ce modèle repose sur un paradoxe climatique. Alors même que l’Alentejo est l’une des régions les plus sèches d’Europe, on y cultive de manière intensive des cultures gourmandes en eau. D’ici 2050, les prévisions indiquent une baisse des précipitations de 5 à 10 % dans la région, tandis que la demande en eau pour ces cultures devrait augmenter de 5 à 21 %. L’équation est intenable.

La professeure Teresa Pinto Correia 3 alerte : « Nous n’aurons pas assez d’eau ». Elle rappelle que les prix de l’eau sont artificiellement bas, car ils ne tiennent pas compte des coûts réels liés à l’infrastructure, au pompage et au transport. Cette distorsion économique favorise une surconsommation peu régulée, qui compromet à terme la viabilité même du barrage.

Cette dépendance structurelle à un système d’irrigation subventionné, couplée à l’inflexibilité des monocultures, rend l’agriculture régionale très vulnérable. Un épisode de sécheresse prolongée, un effondrement des cours mondiaux de l’huile d’olive ou une réforme de la PAC pourraient suffire à faire vaciller l’édifice. Ce modèle agricole, conçu comme une modernisation, révèle en réalité une fragilité profonde et une vision court-termiste de l’aménagement du territoire.

Un modèle agricole au service de quelques-uns

agrobusiness

Des profits concentrés, des bénéfices publics détournés

La promesse du barrage d’Alqueva était celle d’un développement équitable : irriguer une région pauvre et aride pour revitaliser son agriculture et enrayer l’exode rural. Deux décennies plus tard, le constat est amer. Ce ne sont ni les petits agriculteurs, ni les coopératives locales qui en ont profité, mais quelques grandes entreprises agroalimentaires et fonds d’investissement.

Elaia, De Prado, Aggraria … ces groupes ont bâti un empire de l’huile d’olive en Alentejo. Grâce à l’accès facilité à l’eau, aux aides européennes de la PAC (plus d’un milliard d’euros alloués entre 2007 et 2020) et à des techniques de culture super-intensives, ils ont fait exploser les volumes d’exportation. En 20 ans, les exportations d’huile d’olive portugaises ont été multipliées par douze. Mais à quel prix pour les territoires ?

L’achat massif de terrains a fait flamber les prix et marginalisé les exploitations familiales

Cette logique d’agribusiness a accéléré la concentration foncière. L’achat massif de terrains a fait flamber les prix et marginalisé les exploitations familiales. Dans les campagnes, le fossé se creuse entre les propriétaires de grandes exploitations modernes et les derniers paysans enracinés, souvent contraints de vendre leurs parcelles ou de travailler pour ces groupes comme salariés saisonniers, précaires et peu payés.

Le plus dingue d’ailleurs et que cet accaparement s’est fait avec de l’argent public. Le barrage, les réseaux d’irrigation, les routes agricoles, l’électricité – tout cela a été financé par l’État portugais et l’Union européenne, mais sert aujourd’hui à maximiser les rendements de quelques groupes privés. Pour Teresa Pinto Correia, il s’agit « d’un détournement de l’investissement public, au détriment du territoire et des générations futures ».

Un développement sans retombées locales

agriculteur alentejo

Contrairement aux discours optimistes du début des années 2000, le boom de l’oléiculture industrielle n’a pas empêché la désertification rurale. Entre 2011 et 2021, l’Alentejo a perdu plus de 52 000 habitants, soit le plus fort recul démographique du pays. Les villages se vident, les écoles ferment, les services publics se réduisent, malgré la richesse générée à quelques kilomètres par les plantations intensives.

Entre 2011 et 2021, l’Alentejo a perdu plus de 52 000 habitants

Les emplois créés sont majoritairement saisonniers, peu qualifiés, et souvent occupés par des travailleurs immigrés venus d’Asie ou d’Afrique. La mécanisation à outrance limite les besoins de main-d’œuvre locale, et les conditions de travail sont parfois dénoncées comme précaires, voire inhumaines. Un paradoxe pour une région censée revitaliser son tissu économique et social.

La transformation du paysage, elle, est visible à l’œil nu : à la place des collines mosaïquées de chênes verts, de vignes, de champs et de vergers, on observe aujourd’hui d’immenses alignements d’oliviers nains, comme un tapis vert uniforme. Une esthétique monotone, qui reflète un appauvrissement non seulement écologique, mais aussi culturel et humain.

Une fuite en avant face au changement climatique

secheresse alentejo

Le paradoxe du modèle irrigué en contexte aride

L’irrigation, censée être la solution au manque de pluie en Alentejo, pourrait bien s’avérer être une impasse. Le modèle agricole intensif mis en œuvre repose entièrement sur une ressource qui devient de plus en plus rare : l’eau. Alors que la région subit des sécheresses à répétition et des vagues de chaleur extrême, la pression sur le réservoir d’Alqueva atteint des niveaux préoccupants. Les études convergent : à l’horizon 2050, les apports annuels en eau pourraient diminuer de 5 à 10 %, tandis que les besoins en irrigation augmenteront jusqu’à 21 % pour certaines cultures comme l’olive intensive.

L’irrigation, censée être la solution au manque de pluie en Alentejo, pourrait bien s’avérer être une impasse

Ce déséquilibre n’est pas théorique : il est déjà observable. Certains bassins secondaires ne sont plus en mesure d’approvisionner les périmètres irrigués, obligeant les agriculteurs à revoir leurs plans. La stratégie actuelle revient donc à parier sur une ressource de plus en plus instable, sans remise en question structurelle du modèle agricole dominant.

Une artificialisation des équilibres naturels

olivier alentejo

Pour pomper, acheminer et distribuer l’eau à travers les 1200 kilomètres de canaux et de conduites du système Alqueva, il faut d’énormes quantités d’énergie. Cela suppose des coûts cachés : émissions de CO₂, dépendance aux prix de l’électricité, entretien d’un réseau complexe et vulnérable. L’eau n’est plus un bien naturel mais un produit industriel, soumis à une logistique lourde et coûteuse. Or, le prix facturé aux exploitants ne reflète pas ces réalités. Il est artificiellement bas, subventionné par des fonds publics, ce qui encourage le gaspillage et décourage les économies d’eau.

L’eau n’est plus un bien naturel mais un produit industriel, soumis à une logistique lourde et coûteuse

Ce modèle va à contre-courant de ce que recommande la recherche agronomique contemporaine, qui prône l’adaptation des cultures au climat local plutôt que le forçage du climat pour maintenir des cultures inadaptées. Dans un scénario de réchauffement global, la culture de l’olivier sous irrigation permanente semble plus fragile qu’il n’y paraît, surtout lorsque les sols s’appauvrissent et que les arbres développent des systèmes racinaires superficiels, vulnérables au stress hydrique.

Des arbres millénaires contre des haies jetables, un écocide programmé ?

Le contraste est saisissant entre les haies uniformes de 2500 arbres par hectare, taillés pour les machines et remplaçables après 20 ans, et les oliviers ancestraux du montado. Ces derniers, adaptés au climat méditerranéen sec, développent des racines profondes, résistent naturellement aux maladies et aux sécheresses, et peuvent produire pendant plusieurs siècles. Ils font partie d’un écosystème complexe, mêlant chênes lièges, prairies naturelles et élevage extensif. Leur valeur économique est certes moins spectaculaire à court terme, mais leur résilience et leur faible besoin en intrants les rendent beaucoup plus durables sur le long terme.

Certains chercheurs n’hésitent plus à parler d’« écocide programmé » pour qualifier l’éradication de ces systèmes ancestraux au profit d’une agriculture industrielle court-termiste. Le cas de l’Alentejo illustre une tendance mondiale : transformer les paysages ruraux en surfaces de production intensive, au prix de la nature, de la mémoire collective et de la souveraineté locale sur les ressources.

Résistances locales et alternatives possibles

montado traditionnel

Des voix qui s’élèvent au sein du territoire

Face à l’uniformisation du paysage et à la pression économique, des voix locales refusent de se taire. José Pedro Oliveira, dont nous parlions plus haut, héritier d’un verger familial près de Serpa, est devenu un symbole de cette résistance discrète mais tenace. Son terrain, loin des standards industriels, accueille une diversité d’espèces fruitières et oléicoles locales, nichées dans un paysage de montado. Il parle de ses arbres millénaires comme d’un « musée vivant », et reçoit chaque année des visiteurs venus du monde entier admirer ses 17 variétés d’oliviers.

Comme lui, quelques agriculteurs défendent une autre vision : celle d’une agriculture durable, fondée sur l’agroécologie, la diversité variétale, la gestion intelligente de l’eau et le respect des sols. Pour eux, la modernité n’est pas synonyme de standardisation, mais d’innovation locale au service du territoire. Ils expérimentent des techniques d’irrigation goutte à goutte, valorisent les circuits courts, et investissent dans le label biologique pour accéder à des marchés exigeants et fidèles.

Des coopératives locales, comme Coopserpa ou Monte do Alamo, misent sur des produits à haute valeur ajoutée : huiles d’olive vierges extra de terroir, transformées localement, vendues à des prix justes. Leur ambition : montrer qu’il est possible de bien vivre de l’olive, sans sacrifier la biodiversité, la culture ni les ressources naturelles.

Le rôle des chercheurs, des ONG et des citoyens

Encontro Ciência 2022 - Entrevista Teresa Pinto Correia – Comissária Ciência 2022

Les scientifiques jouent également un rôle essentiel dans cette dynamique de résistance. Les universités portugaises, notamment l’Université d’Évora 4, mènent des travaux de fond sur l’impact écologique de l’oléiculture intensive. Leurs études pointent un effondrement de la biodiversité dans les plantations en haies continues, avec deux fois moins d’espèces que dans les vergers traditionnels, et une raréfaction alarmante des oiseaux, insectes pollinisateurs et microfaune.

Les ONG environnementales, comme ZERO 5 ou Quercus 6, multiplient les alertes. Elles dénoncent les effets délétères de la mécanisation sur les sols, les pollutions liées aux intrants chimiques, et la destruction de réseaux hydriques naturels. Dans plusieurs zones protégées, elles ont documenté des atteintes graves aux habitats d’espèces prioritaires.

La société civile demande un changement de cap, fondé sur la transparence, la justice territoriale et la régulation publique

Enfin, les citoyens eux-mêmes se mobilisent. Des plateformes de veille ont vu le jour, des pétitions circulent, et des manifestations ont été organisées dans les villes de l’Alentejo pour dénoncer l’accaparement des terres et la perte de qualité de vie. La société civile demande un changement de cap, fondé sur la transparence, la justice territoriale et la régulation publique.

La montée en puissance de l’agriculture régénératrice

agriculture régénératrice

Des initiatives émergent dans toute la région, portées par des coopératives ou de petits producteurs qui veulent sortir du modèle extractiviste. L’agriculture régénératrice vise à restaurer la fertilité des sols, reconstituer les haies et réintroduire des cultures vivrières locales. On y associe souvent des pratiques de permaculture, une gestion intelligente de l’eau, et une diversification des productions.

Ces projets peinent encore à concurrencer les géants de l’agrobusiness, mais ils attirent de plus en plus l’attention des consommateurs, des restaurateurs engagés, et de réseaux européens d’agriculture durable. Leur résilience en période de sécheresse est souvent bien supérieure à celle des plantations intensives.

Vers un « montado 2.0 » ?

montado 2.0

À l’horizon 2050, la question centrale sera celle de l’adaptation. Peut-on imaginer une forme d’agriculture qui combine tradition et innovation ? C’est le pari de certains chercheurs, qui travaillent sur des modèles hybrides où les technologies (télédétection, irrigation goutte-à-goutte, drones) serviraient à renforcer la résilience des systèmes traditionnels plutôt qu’à les remplacer.

Un « montado 2.0 » pourrait émerger, articulant diversité biologique, autonomie locale, et viabilité économique. Cela impliquerait un changement de paradigme complet : repenser l’aménagement du territoire, le partage de l’eau, la valeur de la biodiversité, et la place des paysans dans la société. C’est un défi immense, mais c’est peut-être la seule voie d’avenir pour une région aussi vulnérable que l’Alentejo.

Ces mouvements, encore minoritaire, gagne en force et en légitimité. Il propose un récit alternatif : celui d’un Alentejo vivant, pluriel, enraciné dans son histoire, mais tourné vers un avenir durable. Et surtout, un Alentejo qui appartienne à ceux qui y vivent, et non à ceux qui le voient comme une rente.

Préserver l’Alentejo, le Portugal, construire l’avenir !

Ce qui se joue aujourd’hui dans l’Alentejo dépasse largement la seule question de l’olive. C’est l’avenir d’un territoire, d’un héritage millénaire et d’un équilibre fragile entre l’homme et la nature qui est en cause. Si l’irrigation du barrage d’Alqueva a transformé le Portugal en géant de l’huile d’olive, elle a aussi redessiné le paysage à une vitesse inédite, creusant des inégalités, menaçant la biodiversité et accélérant la vulnérabilité d’une région déjà frappée par le changement climatique.

Entre les plantations super-intensives nourries par les capitaux et les agroécosystèmes résilients portés par des familles, des paysans, des scientifiques et des amoureux de la terre, deux visions de l’avenir s’affrontent. L’une est extractive, à court terme, globalisée. L’autre est locale, patiente, attentive au vivant. C’est sans doute dans l’arbitrage entre ces modèles que se jouera, dans les décennies à venir, non seulement l’avenir de l’Alentejo, mais celui de nombreux territoires agricoles européens.

Car l’Alentejo est devenu, malgré lui, un laboratoire de transition : entre désertification et régénération, entre spéculation et souveraineté alimentaire, entre monoculture industrielle et diversité nourricière. Le choix reste ouvert. Il dépend de décisions politiques, de mobilisations citoyennes, mais aussi de ce que chacun de nous choisit de soutenir, dans son assiette comme dans ses convictions.

  1. EDIA : https://www.edia.pt/ ↩︎
  2. Le Montado est un système agro-sylvo-pastoral traditionnel du Portugal, principalement présent dans la région de l’Alentejo. Il se caractérise par une combinaison harmonieuse de chênes-lièges (Quercus suber) et de chênes verts (Quercus ilex) avec des pâturages et des cultures agricoles. Ce système polyvalent permet une utilisation durable des ressources naturelles, favorisant la biodiversité et offrant des avantages économiques grâce à la production de liège, de bois, de pâturages pour le bétail, et de produits agricoles comme les céréales et les olives. Le Montado joue également un rôle crucial dans la prévention de l’érosion des sols et la régulation du climat local. ↩︎
  3. Teresa Pinto Correia : https://www.med.uevora.pt/profile/127/ ↩︎
  4. Université d’Évora : https://www.uevora.pt/ ↩︎
  5. ZERO : https://www.no-burn.org/fr/zero-portugal/ ↩︎
  6. Quercus : https://quercus.pt/ ↩︎

Institutions publiques et scientifiques

  • Universidade de Évora – CIDEHUS : travaux de recherche sur les paysages ruraux de l’Alentejo et l’impact des monocultures, dirigés par la professeure Teresa Pinto Correia.
  • EDIA (Empresa de Desenvolvimento e Infra-estruturas do Alqueva) : rapports annuels sur la gestion du barrage d’Alqueva, les données d’irrigation et les périmètres agricoles concernés.
  • Agrogés – Estudos e Projectos : études prospectives sur l’évolution de la demande en eau dans le contexte du changement climatique.
  • ICNF (Instituto da Conservação da Natureza e das Florestas) : données sur la biodiversité et les effets des pratiques agricoles sur les habitats protégés.
  • Commission européenne : base de données sur les aides de la Politique agricole commune (PAC) allouées au secteur oléicole au Portugal.
  • Eurostat : statistiques sur la consommation d’eau, les surfaces agricoles irriguées, et les tendances démographiques régionales.

Organisations environnementales

  • ZERO – Associação Sistema Terrestre Sustentável : rapports et dénonciations d’atteintes environnementales liées à l’expansion des cultures super-intensives.
  • GEOTA – Grupo de Estudos de Ordenamento do Território e Ambiente : analyses et prises de position sur les enjeux de durabilité dans le sud du Portugal.

Médias et presse spécialisée

  • Euronews Green : article « An ecocide’: How olive oil giants are using a mega dam to intensify production in Portugal » (2025).
  • Público (Portugal) : articles sur l’évolution de l’agriculture intensive et les enjeux climatiques dans l’Alentejo.
  • Observador : dossiers sur les subventions européennes, les monocultures et les fonds d’investissement étrangers.
  • El País : analyses sur l’impact paysager et écologique des monocultures en Méditerranée.

Études environnementales et scientifiques

  • FAO : initiatives de suivi de la biodiversité et de protection des paysages agropastoraux en région méditerranéenne.
  • Ecological Indicators : étude interuniversitaire (Lisbonne, Évora, Algarve) sur la chute de la biodiversité aviaire dans les oliveraies intensives (2022).

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