Le brouillard, nouvel allié contre la sécheresse au Portugal

ecologie Life Nieblas

Dans les collines brûlées du centre du Portugal, entre Vouzela et Carregal do Sal, une expérience peu commune est en train de changer le visage du paysage. Sur ces terres rongées par la sécheresse et ravagées à plusieurs reprises par les incendies, des chênes reprennent racine contre toute attente. Leur secret ? L’eau du brouillard, patiemment captée à l’aube, goutte après goutte. À l’origine de cette initiative inspirante, le projet Life Nieblas, une collaboration européenne ambitieuse, qui démontre qu’innovation écologique et résilience peuvent aller de pair.

Alors que le dérèglement climatique compromet les méthodes classiques de reforestation, cette technique venue des Canaries ouvre une voie prometteuse pour restaurer les écosystèmes menacés dans les régions méditerranéennes. Avec des filets, des cocons en carton biodégradable et des tours de captation, les ingénieurs portugais redonnent vie à des paysages forestiers disparus. L’espoir renaît dans la brume.

Des incendies récurrents aux reboisements innovants

Dans la région de Viseu Dão-Lafões, dans le centre du Portugal, chaque été laisse derrière lui une terre meurtrie. Les incendies n’ont rien d’exceptionnel ici : ils sont devenus la norme. En 2023, l’un des deux sites expérimentaux du projet Life Nieblas 1 a été ravagé par les flammes. Pourtant, loin d’être un coup d’arrêt, ce sinistre n’a fait que renforcer la détermination des équipes locales.

filet récuperation eau

Depuis 2020, la communauté de communes participe à ce projet européen piloté depuis les îles Canaries. Son objectif : reboiser des zones protégées grâce à une source d’eau peu exploitée mais abondante à certaines périodes de l’année, le brouillard. Ce phénomène météorologique, fréquent dans les vallées au climat humide, devient ici un allié précieux pour compenser la rareté des précipitations estivales.

Son objectif : reboiser des zones protégées grâce à une source d’eau peu exploitée mais abondante à certaines périodes de l’année, le brouillard !

Sur 10 hectares, plus de 3000 jeunes chênes ont été replantés entre 2022 et 2023. Une moitié a été suivie selon les pratiques traditionnelles, avec un arrosage basé sur les pluies. L’autre moitié a bénéficié de systèmes alternatifs fondés sur la collecte du brouillard. Les résultats parlent d’eux-mêmes : les jeunes arbres privés d’irrigation spécifique n’ont pour ainsi dire pas survécu. En revanche, les méthodes innovantes affichent un taux de survie de 60 % à plus de 90 % selon les dispositifs employés.

Cette différence illustre une évidence : sans eau, aucune restauration durable n’est possible. Et dans une région où les sécheresses s’intensifient, capter chaque source d’humidité devient vital. D’autant plus que les premières années de croissance sont décisives pour la survie des jeunes plants.

Quand le brouillard devient source de vie

Les systèmes de captation du brouillard déployés à Vouzela 2 et Carregal do Sal 3 se distinguent par leur simplicité. Il ne s’agit que de filets tendus entre des tours métalliques de 4 mètres de haut, mais leur efficacité est remarquable. Grâce à la condensation des brumes matinales, chaque filet permet de recueillir jusqu’à 2500 litres d’eau par an. Une ressource inespérée, dirigée ensuite vers des réservoirs puis vers les plants, selon les besoins du terrain.

Des cocons pour nourrir les arbres et préserver le sol

capteur d'eau cocon

Parmi les innovations les plus prometteuses du projet, la méthode des cocons biodégradables a permis d’atteindre des performances spectaculaires. Ces réservoirs circulaires en carton pâte, enfouis autour des jeunes pousses, peuvent contenir jusqu’à 30 litres d’eau, relâchée progressivement dans le sol. À Carregal do Sal, deux à trois remplissages suffisent à maintenir l’humidité nécessaire pendant plusieurs mois.

Là encore, c’est le brouillard qui alimente ces cocons. L’eau ainsi récoltée permet une irrigation autonome, sans intervention constante. Résultat : des taux de survie compris entre 85 % et 93 %, selon les sites. Une avancée décisive dans un contexte de raréfaction de l’eau et de pression climatique croissante sur les écosystèmes.

Un savoir-faire inspiré de la nature

Les systèmes de collecte ne sortent pas de nulle part. Ils s’inspirent directement des adaptations naturelles observées sur les pins, dont les aiguilles captent l’humidité de l’air pour en faire ruisseler les gouttelettes jusqu’aux racines. Aux Canaries, où Life Nieblas est né, ce phénomène est connu depuis le XVIe siècle. Aujourd’hui, les chercheurs et ingénieurs reproduisent ces mécanismes à travers des structures inspirées – des sortes de brosses métalliques inclinées, plus robustes et plus performantes que les filets classiques.

Ces prototypes, capables de capter jusqu’à quatre fois plus d’eau, ne nécessitent pas de fondations complexes. Ils représentent une avancée significative en termes de coût, de rendement et de durabilité. Malheureusement, faute de financement, ils ne sont pas encore déployés au Portugal. Pour cela, il faudra attendre un nouvel appel à projets ou une mobilisation politique plus forte.

Et c’est bien là l’un des points critiques. Car si la technologie existe, sa diffusion à grande échelle reste bridée par l’absence de moyens. Les scientifiques, comme David Corell en Espagne, peinent à convaincre les décideurs d’intégrer cette innovation dans les stratégies de gestion de l’eau et de la forêt.

Résilience, biodiversité et avenir du projet

Sandra Carregal do Sal ENG

Malgré les obstacles, l’équipe portugaise poursuit ses efforts. Les signes de renaissance sont déjà visibles : à Carregal do Sal, six mois après l’incendie, des herbes vertes percent le sol noirci, des narcisses réapparaissent, et certains chênes montrent des signes de régénération. La vie revient, doucement mais sûrement.

  • 600 jeunes plants ont été replantés en 2023 avec leur propre mini-cocon de brouillard.
  • De nouveaux filets, plus épais et aux mailles optimisées, ont remplacé les structures détruites par le feu.
  • La communauté locale a pris le relais depuis la fin du financement européen (décembre 2024).
  • Les objectifs à moyen terme incluent la prévention de l’érosion et la reconstitution des forêts de feuillus adaptées au climat local.

Le projet Life Nieblas prouve qu’avec peu de moyens mais beaucoup d’ingéniosité, on peut inverser la tendance. Il redonne de l’espoir à des territoires frappés de plein fouet par les crises climatiques. En captant le brouillard, les ingénieurs ne se contentent pas de sauver des arbres : ils bâtissent un futur où la nature reprend ses droits.

Un modèle exportable vers d’autres régions arides

Ce que l’on observe au Portugal n’est pas un cas isolé. D’autres régions du monde – du Pérou au Maroc en passant par le Chili – expérimentent aussi la captation du brouillard pour alimenter des villages entiers ou irriguer des cultures. Ce modèle pourrait ainsi jouer un rôle clé dans la lutte contre la désertification, partout où l’humidité de l’air reste exploitable.

Voir aussi : Projet de reboisement à Cascais

Des perspectives, mais peu de soutien à grande échelle

Malgré les preuves d’efficacité, les chercheurs dénoncent l’inertie institutionnelle. Les projets de terrain manquent souvent de relais politiques ou de financements pérennes. Sans un changement de paradigme, le risque est grand de voir ces technologies rester à l’état d’expérimentation. Pourtant, avec la multiplication des sécheresses, l’heure n’est plus aux hésitations.

TechniqueType d’arrosageTaux de survieSource d’eauParticularités
Reforestation classiquePrécipitations naturelles< 10 %PluieIrrégulier, peu fiable en été
Filets à brouillard + arrosage manuelBrouillard capté≈ 60 %Condensation atmosphériquePas d’intervention humaine quotidienne
Cocons biodégradablesMicro-infiltration85–93 %Brouillard stockéRemplissage tous les 2-3 mois
Prototypes canariens (non testés au Portugal)Captation directe via structures métalliquesÀ confirmerBrouillard4x plus efficaces, pas encore financés

La forêt portugaise ne sera peut-être jamais plus ce qu’elle était. Mais avec du brouillard, de la patience et un peu d’ingéniosité, elle pourrait redevenir un écosystème résilient et vivant. La brume du matin porte aujourd’hui plus que de l’humidité : elle porte un espoir.


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