Vasco de Gama, le Portugais qui a changé le monde

vasco de gama toute l'histoire

Figure centrale de l’histoire portugaise, Vasco de Gama incarne le basculement d’un monde médiéval vers la modernité globale. À l’occasion des 500 ans de sa mort, célébrés en décembre 2024, son nom ressurgit dans les débats, les célébrations et les critiques. Navigateur de génie ou acteur brutal d’un projet impérial ? Héros national ou visage d’un colonialisme naissant ? Au-delà des images figées, l’homme qui relia l’Europe à l’Inde par la mer incarne une révolution. Politique, économique, scientifique, religieuse… et surtout mondiale.

Mais qui était réellement Vasco de Gama ? Quels furent les enjeux de sa fameuse traversée vers les Indes ? Et pourquoi cette figure continue-t-elle, cinq siècles plus tard, de fasciner autant les historiens que les citoyens ? Ce dossier, dense et documenté, explore les multiples facettes d’un homme dont les choix ont redessiné la carte du monde.

Une époque en mutation : le Portugal face à son destin maritime

Au XVe siècle, le Portugal est un petit royaume au bout de l’Europe, coincé entre l’océan Atlantique et son puissant voisin, la Castille. Ses terres sont limitées, ses ressources modestes. Pourtant, c’est depuis cette frange occidentale que va jaillir un des mouvements les plus puissants de l’histoire humaine : l’expansion maritime.

ceuta
Conquête de Ceuta 1415

À l’origine de cette ambition : une série de facteurs convergents. La prise de Ceuta en 1415 inaugure les expéditions portugaises vers l’Afrique. L’Infant Henri le Navigateur 1, passionné de cartographie et de navigation, fonde à Sagres un centre de recherches nautiques qui attire navigateurs, astronomes et géographes. Dans ce contexte émerge un outil essentiel : la caravelle, navire révolutionnaire, plus léger, plus rapide, capable d’affronter les vents du large et de remonter les courants côtiers, qui deviendra le symbole de cette ère de découvertes.

Une géopolitique enclavée qui pousse vers la mer

Le Portugal du XVe siècle est un royaume jeune, né de la Reconquista 2, et rapidement confronté à une impasse territoriale. À l’est, la Castille ferme l’horizon continental ; au sud, l’Espagne convoite les mêmes terres ; au nord, la Galice, hostile, ne présente pas d’intérêt stratégique majeur. Reste l’Atlantique. Cette façade maritime, longtemps considérée comme une limite, devient soudain une promesse. Les tensions politiques, les rivalités avec les royaumes ibériques voisins et la soif d’indépendance géostratégique poussent le Portugal à regarder vers le large. Le monde marin cesse d’être une frontière : il devient une issue, une échappatoire, puis un projet structurant pour l’État portugais.

Cette façade maritime, longtemps considérée comme une limite, devient soudain une promesse

Cette orientation n’est pas seulement stratégique, elle est aussi identitaire. La mer devient un espace d’affirmation nationale, une projection du pouvoir royal et une vitrine du savoir-faire nautique portugais. Le pays bâtit son destin dans un environnement hostile, en apprenant à dompter les vents et à lire les étoiles. Ce tournant maritime s’impose comme une réponse directe à l’enclavement continental.

L’impulsion des ordres religieux et de la noblesse militaire

ordem do cristo

Ce mouvement vers l’océan ne se fait pas sans relais institutionnels. Les ordres religieux, et en particulier l’Ordre du Christ — héritier de l’Ordre du Temple au Portugal — jouent un rôle moteur. L’Infant Henri, grand maître de l’ordre, utilise ses ressources et son réseau pour soutenir les premières expéditions. Les croix rouges sur les voiles portugaises ne sont pas qu’un symbole : elles signalent la mission religieuse de ces voyages, perçus comme des croisades modernes.

De leur côté, les nobles de province, souvent appauvris ou sans terres, voient dans la mer une voie d’ascension sociale. L’exploration devient une alternative aux traditions féodales : on peut y gagner de la gloire, des titres, des faveurs royales et des richesses inestimables. L’expansion maritime est donc aussi une aventure humaine, nourrie par les ambitions personnelles et les espoirs de mobilité au sein d’une société encore rigide.

Une stratégie royale et scientifique au service d’un projet global

Si l’élan vient du terrain, c’est la couronne qui va le structurer. Dès le règne de Jean Ier, et plus encore sous Jean II et Manuel Ier, le pouvoir royal prend en main le projet d’expansion. Des capitaines sont nommés, des navires armés, des monopoles institués. Lisbonne devient un centre névralgique du renseignement géographique, des calculs astronomiques et de la formation maritime. La cartographie portugaise fait des bonds considérables, nourrie par les récits d’expéditions et les observations des pilotes. L’État centralise, investit, planifie. Il ne s’agit plus de simples aventures isolées, mais d’une politique délibérée de conquête des mers.

À Sagres, l’école fondée par Henri le Navigateur réunit les meilleurs cerveaux de l’époque : mathématiciens juifs, géographes arabes, marins génois. On y croise des globes terrestres, des astrolabes, des compas magnétiques. Le savoir circule, se cristallise, se transforme en outils concrets pour la navigation. Cette union du politique, du religieux et du scientifique donne au Portugal une avance décisive, lui permettant de transformer l’intuition maritime en stratégie impériale.

Le premier voyage de Vasco de Gama : la découverte de la route vers l’Inde

Fils de la petite noblesse portugaise, né à Sines entre 1460 et 1469, Vasco de Gama grandit dans une famille liée à la mer et aux affaires royales. Son père, Estêvão da Gama, chevalier de l’Ordre de Santiago, avait été pressenti pour commander une expédition vers l’Inde, mais c’est finalement son fils qui héritera de cette mission cruciale. Peu de choses sont connues avec certitude sur la jeunesse de Vasco de Gama, mais son nom circule à la cour comme celui d’un homme loyal, rigoureux et capable de commandement.

vasco de Gamma 1er voyage

Une première mission renforçant sa réputation

En 1492, le roi Jean II lui confie déjà une mission militaire délicate : il s’agit de confisquer des navires français en représailles à une attaque contre une caravelle portugaise. Gama exécute l’ordre avec efficacité, renforçant sa réputation. Lorsque le roi Manuel Ier monte sur le trône en 1495, il relance avec vigueur le projet d’ouvrir une route maritime vers les Indes, esquissé sous le règne précédent. C’est Vasco de Gama, encore jeune et sans grand passé maritime connu, qui est choisi pour accomplir cette mission. Pourquoi lui ? Moins pour son expérience que pour son statut social, sa fidélité à la couronne, et peut-être son tempérament inflexible, jugé adapté à une expédition aussi risquée qu’ambitieuse.

Une expédition hors normes, aux confins du monde connu

Sa mission est double : établir des contacts diplomatiques avec les souverains d’Orient, et rapporter les fameuses épices qui font la richesse des grands empires d’Asie. L’expédition doit aussi, dans l’esprit du roi, chercher à localiser les légendaires royaumes chrétiens d’Orient, comme celui du mythique prêtre Jean. Ce mélange d’ambition commerciale, de rêve religieux et de conquête géopolitique donne à la mission une portée inédite.

Le 8 juillet 1497, Vasco de Gama quitte le port de Lisbonne à la tête d’une flotte de quatre navires : la São Gabriel, la São Rafael, la caravelle Bérrio et un navire de ravitaillement. À bord, environ 170 hommes, dont son frère Paulo, et le pilote expérimenté Pêro de Alenquer. Direction : l’inconnu !

La route suit la côte africaine, contourne le Cap, longe le Mozambique et atteint enfin la côte du Kenya. À Malindi, Vasco de Gama recrute un pilote arabe, familier des vents de mousson. Le 20 mai 1498, la flotte arrive à Calicut (Kozhikode), sur la côte sud-ouest de l’Inde. Pour la première fois, un Européen relie directement les deux continents par mer.

Un accueil mitigé en Inde : enjeux diplomatiques et commerciaux

vasco de gama 1492

Le 20 mai 1498, après des mois de navigation hasardeuse et des escales périlleuses, la flotte de Vasco de Gama jette donc l’ancre au large de Calicut, un des plus puissants ports marchands de la côte de Malabar. La ville est cosmopolite, prospère, ouverte aux échanges depuis des siècles. Y cohabitent commerçants arabes, chinois, juifs, hindous, perses, venus de tous les horizons de l’océan Indien. L’arrivée de ces Européens étranges, barbus, fatigués, parlant une langue inconnue, suscite autant de curiosité que de méfiance. Gama demande audience auprès du Zamorin (le souverain local), se présente comme émissaire du roi du Portugal et offre des présents censés témoigner du prestige lusitanien. Mais les tissus grossiers, les perles sans éclat, les ustensiles de cuivre provoquent des ricanements : face aux luxueuses cargaisons chinoises ou persanes, les « richesses » portugaises font pâle figure.

Au-delà de l’incompréhension culturelle, les tensions géopolitiques se font vite sentir. Les marchands arabes, bien implantés dans la région, voient d’un très mauvais œil l’arrivée de concurrents chrétiens venus menacer leur monopole sur le commerce des épices. Ils influencent la cour du Zamorin, semant le doute sur les véritables intentions portugaises. Vasco de Gama, mal préparé aux subtilités diplomatiques locales, multiplie les maladresses et insiste sur l’ouverture d’un comptoir permanent. L’accord final, arraché de justesse, est bancal et temporaire. Avant de repartir, Gama embarque une modeste cargaison de poivre et de cannelle — très loin des attentes. Mais l’essentiel est ailleurs : la preuve est faite qu’un lien maritime avec l’Inde est possible. L’exploit est immense, même si l’accueil aura révélé la complexité d’un monde déjà structuré, loin de l’image de « terres à conquérir » véhiculée par les Européens.

1er voyage

Un retour éprouvant mais historique

Le retour est long, éprouvant, presque tragique. Le scorbut, les tempêtes, les maladies emportent la moitié des hommes. L’un des navires est abandonné en mer. Vasco de Gama lui-même, affecté par la mort de son frère Paulo, revient affaibli à Lisbonne à la fin de l’été 1499 après avoir parcouru 24 000 km. Pourtant, son arrivée est triomphale. Le roi Manuel Ier le reçoit comme un héros, le couvre d’honneurs, lui accorde des rentes, des terres et le titre d’« almirante dos Mares da Índia » 3. L’ouverture de la route des Indes par la mer n’est plus un rêve : c’est une réalité stratégique et politique. Dès lors, le Portugal entre dans une phase d’expansion accélérée, rêvant de domination sur les routes de l’Orient. L’ère des Grandes Découvertes bascule dans celle des empires.

Le second voyage de Vasco de Gama : consolidation par la force

À son retour, Vasco de Gama ne retrouve pas le même royaume qu’il avait quitté. En l’espace de deux ans, sous l’impulsion du roi Manuel Ier, le Portugal s’est engagé dans une logique résolument impériale. Le monarque, monté sur le trône en 1495, est un visionnaire. Son règne est guidé par un triple objectif : étendre la foi chrétienne, contrôler les routes commerciales et asseoir le prestige de la monarchie portugaise à l’échelle du monde connu. Le succès de Gama vient confirmer que ce projet est désormais réalisable.

2e voyage

Le contexte géopolitique est favorable. Par le traité de Tordesillas, signé en 1494 avec les Rois Catholiques d’Espagne, le Portugal obtient la reconnaissance de sa zone d’influence à l’est, en échange du renoncement à l’ouest (le Nouveau Monde espagnol). Ce compromis géographique permet à Lisbonne de se concentrer pleinement sur l’Afrique, l’océan Indien et l’Asie. La route maritime vers l’Inde devient alors un enjeu stratégique de premier ordre.

L’ambition de s’affirmer comme une puissance mondiale

Mais il ne s’agit plus seulement de faire du commerce. L’ambition devient impériale. Manuel Ier se fait appeler « roi de Portugal et des Indes ». Il entend établir des comptoirs, signer des traités, dominer les voies maritimes et s’imposer comme puissance d’arbitrage dans le monde oriental. L’épice n’est plus seulement une denrée : elle devient un instrument politique. Le poivre, la cannelle, le clou de girofle et le gingembre sont les leviers d’une économie-monde naissante, et celui qui les contrôle contrôle les échanges, les alliances et les rivalités entre puissances.

L’épice n’est plus seulement une denrée : elle devient un instrument politique

Une flotte puissante pour une mission politique et militaire

aramada gama

Dans cette logique, Vasco de Gama n’est plus simplement un explorateur. Il devient un émissaire de la couronne, un bras armé de la diplomatie et de la force. En 1502, il prend la tête d’une flotte beaucoup plus conséquente : vingt navires, armés jusqu’aux mâts, accompagnés de navires marchands et de bâtiments de soutien. Il ne s’agit plus cette fois d’explorer, mais d’imposer. L’objectif est clair : établir durablement la domination portugaise dans l’océan Indien, contrôler les routes maritimes des épices et instaurer la crainte chez les alliés du Samorim de Calicut.

L’objectif est clair : établir durablement la domination portugaise dans l’océan Indien

La stratégie du roi Manuel Ier repose sur la force. Vasco de Gama adopte donc une politique de terreur. Dès son arrivée, il bombarde Calicut, exigeant des compensations pour les affronts passés. Il fait également capturer un navire arabe (le Miri) transportant des pèlerins musulmans. Ce navire est incendié avec ses passagers à bord 4. L’épisode, qui choque encore aujourd’hui par sa brutalité, était à l’époque perçu comme un acte de guerre visant à terroriser les adversaires potentiels. La domination ne s’installe pas seulement par la diplomatie : elle s’impose par la peur.

En parallèle, Vasco de Gama tente d’établir des alliances locales. À Cochin et à Cannanore, il conclut des traités avec des souverains rivaux du Samorim. Il installe des comptoirs portugais, y laisse des garnisons et obtient des privilèges commerciaux. Cette diplomatie opportuniste, combinée à une démonstration de puissance navale, permet de poser les fondations du futur empire portugais des Indes.

Victoire stratégique et critiques à Lisbonne

Lorsque Vasco de Gama rentre à Lisbonne en octobre 1503, il est acclamé par une partie de la cour comme le stratège qui a affirmé la présence portugaise dans l’océan Indien. Sa deuxième expédition a permis de conclure des alliances avec les rois de Cochim et de Cananor, d’établir des comptoirs, et surtout, d’imposer par la force une nouvelle donne géopolitique. Le Portugal n’est plus un simple visiteur : il devient un acteur militaire et commercial sur les routes de l’Orient. En récompense, le roi Manuel Ier le gratifie de terres, de pensions et lui décerne le titre de comte de Vidigueira – une élévation sans précédent pour un navigateur. Gama accède ainsi à l’aristocratie la plus élevée du royaume.

Vidigueira

Mais derrière les honneurs, le climat est plus tendu qu’il n’y paraît. Les récits de brutalité, comme le massacre du navire Miri, choquent certains membres influents de la cour. La mort accidentelle ou mal gérée de proches du roi, comme Vicente Sodré, resté en Inde et dont les manœuvres ont compromis la position portugaise à Cochim, retombe en partie sur les épaules de Gama. Des rumeurs courent sur sa gestion des richesses acquises en Orient, et les critiques sur sa politique de terreur s’intensifient. L’homme, considéré comme inflexible, voire autoritaire, ne fait pas l’unanimité.

De plus, le centre de gravité de la stratégie impériale se déplace. D’autres figures émergent, comme Afonso de Albuquerque 5, porteur d’une vision plus structurée et diplomatique de l’expansion portugaise. Gama, lui, reste un homme de terrain, de guerre, et d’instinct. Moins à l’aise dans les intrigues de cour que dans les manoeuvres navales, il s’efface peu à peu de la scène politique active. Pendant près de deux décennies, il reste en retrait, retiré dans ses terres d’Alentejo, s’occupant de ses affaires familiales et administrant ses possessions. Mais son destin est loin d’être scellé.

Mais ce retour à la vie civile sera de courte durée. L’Inde appelle de nouveau. Et avec elle, les intrigues, les rivalités, et la dernière mission de celui que les poètes chantent déjà comme le héros du royaume.

Le troisième voyage et la mort en Inde

vasco de gama 3e voyage

Vingt ans après sa première expédition, Vasco de Gama reprend la mer une dernière fois. Il n’est plus un jeune capitaine audacieux, mais un homme mûr, désormais comte et conseiller du roi Jean III. Cette fois, sa mission n’est pas seulement d’ordre commercial ou militaire : elle est politique. L’Inde portugaise est en proie au désordre, minée par les abus des gouverneurs locaux, la corruption, les conflits entre marchands et les rivalités tribales. Le roi envoie Gama comme vice-roi, porteur d’un mandat de redressement et de justice.

Nomination comme vice-roi : un retour sous haute responsabilité

La nomination de Vasco de Gama au poste de vice-roi des Indes en 1524 n’est pas un hasard. À cette époque, la situation dans les comptoirs orientaux portugais est critique. Les abus de pouvoir, les luttes intestines et les enrichissements personnels minent l’autorité de la couronne. Jean III, jeune roi soucieux de restaurer l’ordre, cherche une figure incontestable, dotée de prestige et d’autorité. Vasco de Gama, malgré son retrait relatif de la scène politique depuis vingt ans, apparaît comme l’homme de la situation. Son nom seul suffit à rappeler la grandeur des débuts, et son passé d’explorateur et de militaire en fait un administrateur respecté… et redouté.

Le 5 avril 1524, par lettres patentes, il reçoit les pleins pouvoirs pour gouverner les Indes au nom du roi. Il devient ainsi le deuxième vice-roi de l’empire portugais d’Orient, succédant à une série de gouverneurs souvent inefficaces ou compromis. La tâche est immense : restaurer l’autorité, rétablir la justice, réorganiser les finances, et neutraliser les factions rivales. Vasco de Gama accepte la mission avec gravité. Il sait qu’il ne reviendra sans doute jamais. À plus de 55 ans, c’est un dernier acte — politique autant que symbolique — dans une vie consacrée à la mer et à l’État.

La flotte quitte Lisbonne à l’été 1524. Vasco de Gama débarque à Goa à l’automne, dans un climat de tension. Il trouve une administration déliquescente, des soldats démotivés, des comptoirs menacés. Malgré son âge et la fatigue du voyage, il tente de reprendre les choses en main. Il réforme, juge, punit. Sa rigueur rappelle à tous le prestige du royaume. Mais son énergie s’amenuisera rapidement.

Maladie et mort à Cochin : la fin d’un cycle

À son arrivée à Goa, puis à Cochin, l’état de délabrement administratif et moral le frappe de plein fouet. Vasco de Gama se met immédiatement au travail. Il mène des inspections, remplace les officiers corrompus, ordonne des enquêtes, réforme les procédures commerciales. Sa sévérité rétablit un certain ordre, mais le contexte reste tendu, et les résistances sont nombreuses. L’homme n’est plus le capitaine fougueux d’autrefois. Son corps accuse les fatigues du voyage, la chaleur tropicale, l’effort incessant. Les archives évoquent un déclin rapide, marqué par des douleurs intenses, peut-être liées au paludisme ou à une infection digestive.

tombe de vasco de gamma

Le 24 décembre 1524, Vasco de Gama meurt à Cochin, loin de Lisbonne, dans le port même qu’il avait contribué à sécuriser des décennies plus tôt. Son décès est annoncé dans tout l’empire avec solennité. Il est d’abord enterré localement, dans l’église Saint-François, avant que ses restes ne soient rapatriés au Portugal des années plus tard. Ils reposent aujourd’hui dans le somptueux monastère des Hiéronymites de Belém, à Lisbonne — monument édifié en hommage à sa première expédition, devenu l’un des symboles de l’identité maritime portugaise. La boucle est bouclée. Vasco de Gama meurt là où il avait rêvé, combattu, imposé une nouvelle carte du monde. Son dernier souffle scelle une époque.

Ce dernier voyage, discret mais crucial, ferme la boucle d’une vie consacrée à la mer, à l’expansion de la chrétienté, et à la gloire du Portugal. Vasco de Gama n’a pas seulement tracé la voie : il l’a défendue jusqu’à son dernier souffle.

Un héritage complexe : entre gloire, violence et mémoire

Cinq siècles après sa mort, la figure de Vasco de Gama continue de fasciner, de diviser et d’interroger. Pour certains, il incarne le génie stratégique portugais, le courage des pionniers et la capacité d’un petit royaume à renverser l’ordre géopolitique établi. Pour d’autres, il symbolise aussi les débuts d’un impérialisme brutal, fondé sur la violence, le mépris des civilisations orientales et l’exploitation commerciale à grande échelle.

Vasco de Gama continue de fasciner, de diviser et d’interroger

Son nom reste indissociable de la gloire maritime portugaise. Les fresques du monastère de Belém, le poème épique Os Lusíadas 6 de Luís de Camões, ou encore les places, avenues et écoles qui portent son nom dans le monde lusophone témoignent de cette reconnaissance nationale. Il est l’un des rares navigateurs à avoir été élevé au rang de comte et à figurer parmi les héros civils du panthéon portugais.

monaster belem

Mais les historiens contemporains invitent à une relecture plus nuancée. Les massacres, les intimidations, les destructions de navires civils, comme celui du Miri, ne peuvent être occultés. Vasco de Gama était un homme de son temps, certes, mais son usage assumé de la violence en fait aussi un acteur d’une mondialisation fondée sur l’asymétrie des forces et la domination armée. Sa politique au nom du roi est inséparable du projet d’expansion coloniale qui suivra.

La mémoire de Vasco de Gama est donc plurielle. Elle est faite de légendes, d’honneurs, d’œuvres littéraires et d’analyses critiques. Elle raconte l’audace et la ténacité, mais aussi les ambiguïtés d’une époque où l’exploration allait de pair avec la conquête. En cela, elle nous oblige à penser l’histoire non pas comme une suite d’exploits glorieux, mais comme une trame complexe, tissée de lumières et d’ombres.

Ce que Vasco de Gama a réellement changé

Au-delà des cartes redessinées et des batailles remportées, Vasco de Gama a été le catalyseur d’un basculement mondial. En établissant une route maritime directe entre l’Europe et l’Inde, il a brisé le monopole des marchands arabes et vénitiens sur les épices orientales. Ce faisant, il a réorganisé les flux économiques planétaires, inaugurant un commerce intercontinental à grande échelle. Le Portugal devient alors l’épicentre d’un empire global, et Lisbonne, l’une des premières métropoles mondiales du commerce ultramarin.

La mondialisation, dans sa forme moderne, prend racine dans cette époque des Grandes Découvertes

Mais les conséquences dépassent le seul domaine économique. Sa traversée marque aussi un tournant culturel. Des biens, des idées, des langues, des technologies circulent désormais plus librement entre l’Orient et l’Occident. La mondialisation, dans sa forme moderne, prend racine dans cette époque des Grandes Découvertes. Les cartes s’enrichissent, les sciences progressent, les rapports entre les peuples changent, parfois au prix du sang et de la domination, mais toujours dans une logique d’interconnexion croissante.

En somme, Vasco de Gama n’a pas seulement découvert une route : il a déclenché une ère. Celle où le monde, pour la première fois, devient un réseau. C’est là que réside son influence profonde : avoir forcé l’Histoire à changer d’échelle.

La mer pour destin

Vasco de Gama incarne, à lui seul, le tournant décisif d’une époque. Celle où les océans sont devenus des autoroutes du pouvoir, des richesses et de l’ambition impériale. En l’espace de quelques décennies, ses expéditions ont bouleversé les équilibres commerciaux, les cartes mentales et les destins de continents entiers. Sa route vers les Indes fut bien plus qu’un exploit maritime : elle fut le point de départ d’une nouvelle ère géopolitique, celle de l’Europe tournée vers le large, conquérante, curieuse, mais aussi conquérante et brutale.

Personnage complexe, à la fois héros et instrument d’un système colonial en gestation, Vasco de Gama laisse derrière lui une empreinte durable, que les célébrations actuelles remettent à la fois en lumière et en débat. Il est salutaire de le replacer dans son temps, sans chercher à l’idéaliser ni à le juger à l’aune de notre présent. Car comprendre Vasco de Gama, c’est aussi comprendre les racines du monde contemporain, fait de connexions globales, d’inégalités héritées, et d’interdépendances nées sur les flots.

À l’heure où l’on commémore les 500 ans de sa disparition, l’occasion est précieuse pour interroger la mémoire, revisiter l’histoire et donner toute leur place aux nuances. Vasco de Gama fut un navigateur d’exception, mais aussi le produit d’un projet politique, religieux et économique qui a façonné la modernité. Lui rendre hommage, c’est aussi prendre le risque de se confronter aux ombres de son héritage.

  1. Infant Henri le Navigateur : https://www.herodote.net/Le_conquerant_immobile-synthese-3170.php ↩︎
  2. Reconquista : https://fr.wikipedia.org/wiki/Portugal_%C3%A0_la_Reconquista ↩︎
  3. Almirante dos Mares da Índia : Amiral des mers indiennes ↩︎
  4. L’épisode du navire Miri (1502)
    Le Miri (parfois orthographié Mirri), était un gros bâtiment marchand en provenance de Jeddah, transportant plus de 300 pèlerins musulmans, dont des femmes et des enfants, en route pour La Mecque. Après avoir capturé le navire au large de la côte de Cananor, Gama fait confisquer les marchandises précieuses à bord, puis exige une rançon exorbitante que les passagers ne peuvent payer. Malgré les négociations, il ordonne l’incendie du bateau avec les passagers enfermés à l’intérieur. Seuls quelques survivants sont sauvés – selon certains récits, pour témoigner de la « punition portugaise ». Cet acte, décrit en détail dans les chroniques de l’époque comme Lendas da Índia de Gaspar Correia ou les Décadas da Ásia de João de Barros, est perçu par Vasco de Gama comme une réponse aux humiliations subies lors du premier voyage à Calicut. Il s’agit aussi d’un avertissement brutal adressé aux alliés du Samorim et aux marchands arabes : désormais, le Portugal usera de la violence pour garantir sa place dans le commerce des épices. L’épisode du Miri, souvent cité comme un exemple de la cruauté de Gama, a marqué durablement les esprits. Il illustre les tensions religieuses, commerciales et culturelles de l’époque, mais aussi la volonté du Portugal d’imposer par la force une domination sur les routes orientales. ↩︎
  5. Afonso de Albuquerque : https://www.kronobase.org/chronologie-categorie-Afonso+de+Albuquerque.html ↩︎
  6. Os Lusíadas : https://oslusiadas.org/i/ ↩︎

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