Le rêve d’habiter un jour la planète rouge devient peu à peu une hypothèse testable. En octobre, une expérience inédite est lancée dans la région de Monsaraz, au sud du Portugal. À première vue, rien ne semble relier cet écrin de collines à l’environnement martien. Pourtant, pour une équipe internationale de scientifiques, ce territoire a été choisi pour sa capacité à simuler, avec un réalisme étonnant, les conditions extrêmes d’une mission sur Mars. Ce terrain d’expérimentation n’a rien d’un décor fictif : il s’agit d’un site stratégique, pensé pour tester les limites humaines, technologiques et scientifiques d’une future colonie martienne.
Du 13 au 26 octobre, 5 astronautes analogues embarquent dans une aventure scientifique fascinante : vivre et travailler dans un habitat fermé, comme s’ils étaient réellement à des millions de kilomètres de la Terre. Ce type d’expérimentation, appelé mission analogique, permet de préparer avec précision les futures explorations spatiales habitées, tout en menant des recherches rigoureuses sur les technologies de survie en milieu extrême. Un défi logistique autant qu’un pari sur notre avenir interplanétaire.
Un laboratoire martien dans le désert portugais

Installé près de l’Observatoire astronomique du lac Alqueva 1, le campement simule un habitat extraterrestre où tout est calculé au millimètre près. L’objectif ? Reproduire l’isolement, l’autonomie énergétique, les protocoles de sortie extravéhiculaire et les communications différées avec la « Terre ». Le décor naturel, sols arides, faibles précipitations, variations thermiques, offre un terrain d’expérimentation cohérent avec les conditions martiennes, sans quitter l’Europe.
Le projet s’inscrit dans le cadre du programme international World’s Biggest Analog 2, une initiative à grande échelle destinée à tester des configurations de missions spatiales complexes. Portugal, Philippines, Pays-Bas : la mission rassemble des experts venus de plusieurs horizons, unis par la volonté de comprendre comment l’humain peut s’adapter à des environnements aussi hostiles que celui de Mars. Les données collectées pendant ces 13 jours nourriront des simulations plus poussées et orienteront les choix technologiques des futures missions réelles.

En charge de la coordination scientifique et technologique, l’institut portugais INESC TEC 3 joue un rôle de premier plan. Déjà impliqué dans la mission Camões 4 menée en 2023 dans une grotte des Açores, il poursuit ici ses recherches avec une approche multidisciplinaire, mêlant ingénierie, robotique, biologie et intelligence artificielle. C’est une manière de faire converger les savoirs pour répondre aux enjeux très concrets de l’exploration spatiale habitée.
L’observatoire d’Alqueva, pour sa part, gère la logistique et la vie dans le module. Son expérience dans la gestion d’infrastructures scientifiques isolées est précieuse pour organiser le quotidien des astronautes analogues, qui vivent coupés du monde extérieur pendant près de deux semaines. Cette collaboration entre acteurs locaux et instituts de recherche internationaux montre l’efficacité d’un modèle partenarial pour faire avancer la science.
Un équipage international en mission simulée
L’équipe sur le terrain est composée de 5 chercheurs, dont trois Portugais : Pedro Pedroso, Rafael Rebelo et Diogo Paupério. À leurs côtés, 2 jeunes scientifiques internationales : Florence Basubas (Philippines) et Nadine Duursma (Pays-Bas). Chacun apporte une spécialisation pointue, de l’ingénierie aérospatiale à la robotique, en passant par les sciences de la Terre et les systèmes autonomes.
Des rôles bien définis pour une simulation crédible

Le commandant de la mission, Pedro Pedroso, est un ingénieur aéronautique et contrôleur aérien. Son rôle est de coordonner les opérations à l’intérieur de l’habitat et de superviser les expériences scientifiques. Dans un contexte de simulation extrême, chaque action doit être planifiée, chronométrée, documentée. Rien n’est laissé au hasard : même les déplacements hors module (les fameuses EVA, ou sorties extravéhiculaires) sont soumis à des protocoles stricts, comme en orbite ou sur une autre planète.
Diogo Paupério, spécialiste en robotique, est désigné comme ingénieur de vol. Il teste des systèmes d’assistance robotisée, des logiciels embarqués et des drones conçus pour naviguer en autonomie. Ces technologies sont essentielles pour les futures missions martiennes, où les machines devront explorer, cartographier, prélever ou intervenir, parfois sans intervention humaine directe.
Une coordination terrestre assurée par des femmes scientifiques

En parallèle, la mission est pilotée depuis un centre de contrôle où les communications, les protocoles scientifiques et les urgences éventuelles sont gérés. Ce centre, situé au Portugal, est dirigé par Ana Pires, chercheuse à l’INESC TEC et première femme scientifique portugaise à avoir commandé une mission analogique. Son expérience de terrain lors de la mission Camões est un atout majeur pour cette nouvelle opération.
Elle est accompagnée de Slavka Carvalho Andrejkovičová, de l’Université d’Aveiro 5, également collaboratrice de la NASA. Sa présence renforce la dimension internationale et la crédibilité scientifique du projet. Le centre de contrôle est bien plus qu’un support logistique : c’est un véritable cerveau extérieur qui permet de tester les réactions à distance, les processus de décision différés et la coordination d’une équipe dans un contexte de stress prolongé.
Cette collaboration entre femmes scientifiques renforce aussi un message clé : l’exploration spatiale ne saurait se faire sans diversité de genre et de compétences. Elle incarne l’avenir des sciences de l’espace, plus inclusif, plus global, plus tourné vers l’interdisciplinarité.
Objectifs scientifiques, technologiques et humains

Au cœur de la mission, des dizaines d’expériences sont menées sur des sujets variés : autonomie énergétique, gestion de l’eau, agriculture en environnement confiné, ou encore résilience psychologique. L’idée n’est pas seulement de tester des objets ou des algorithmes, mais d’observer comment l’humain interagit avec la technologie dans un cadre de vie restreint, isolé et exigeant.
Parmi les innovations testées :
- Des drones semi-autonomes capables de cartographier un périmètre inconnu sans GPS.
- Un logiciel de planification d’activités intelligent, adaptant les tâches selon les données biologiques des astronautes.
- Des capteurs embarqués analysant l’humidité, la température, les niveaux de CO₂ et les mouvements dans l’habitat.
- Un protocole de communication différée, reproduisant les délais temporels entre Mars et la Terre.
Cette accumulation de données permettra de mieux anticiper les défis techniques et humains des futures missions interplanétaires. En combinant psychologie, ingénierie et écologie, les chercheurs dressent un portrait complet des conditions de vie possibles sur une autre planète. Une manière d’allier exploration spatiale et recherche appliquée en conditions réelles.
Un nouveau pas pour le Portugal spatial

La participation active du Portugal à cette mission analogique consolide sa place croissante dans le paysage spatial européen. L’expérience de Monsaraz succède à celle des Açores en 2023, montrant une volonté affirmée d’inscrire le pays dans les grandes dynamiques de recherche aérospatiale.
Un territoire au service de la science
L’Alentejo, avec ses paysages arides et son ciel pur, devient un acteur discret mais stratégique de cette ambition. Son potentiel pour accueillir des expérimentations de terrain attire de plus en plus de projets internationaux. Les institutions locales, tout comme les scientifiques nationaux, y voient une chance de développer une économie fondée sur la connaissance, l’innovation et la durabilité.
Le soutien des partenaires, comme l’Observatoire d’Alqueva ou l’association Os Montanheiros 6, montre que cette dynamique repose sur des alliances solides entre acteurs scientifiques, éducatifs et citoyens. La science devient un projet collectif, ancré dans les territoires, mais ouvert vers les étoiles.
Une impulsion pour l’exploration humaine
Au-delà des tests et des rapports scientifiques, cette mission marque une étape de plus vers une réalité longtemps confinée à la science-fiction. Préparer des humains à vivre ailleurs qu’ici implique de redéfinir les notions de maison, d’équipe, de survie, voire d’humanité. Et si ces expérimentations au Portugal n’étaient que les premières pages d’un nouveau chapitre pour notre espèce ?
- Observatoire astronomique du lac Alqueva : https://www.olagoalqueva.com/ – Dark Sky Alqueva remporte le prix de la meilleure attraction d’Europe 2024 ↩︎
- World’s Biggest Analog : https://www.worldsbiggestanalog.com/ ↩︎
- INESC TEC : https://www.inesctec.pt/ ↩︎
- Mission Camões : https://www.montanheiros.com/camoesproject/ ↩︎
- https://www.cienciavitae.pt/BA19-E40E-A989 ↩︎
- Association Os Montanheiros : https://www.montanheiros.com/ ↩︎







