Depuis quelques années, avec les vagues migratoires successives et l’essor des plateformes comme Uber et Bolt, certains préjugés ont émergé : des raccourcis sur l’origine des conducteurs, des généralisations parfois teintées de méfiance ou de discrimination. Dans les conversations du quotidien, on entend alors souvent des remarques expéditives comme « il n’y a que des Pakistanais » ou « on ne comprend même plus les chauffeurs ». Derrière ces idées reçues se cache une réalité bien plus nuancée. Les dernières données publiées par l’IMT (Instituto da Mobilidade e dos Transportes), en partenariat avec Uber et Bolt, offrent enfin une radiographie précise du secteur des chauffeurs TVDE 1 au Portugal. Et le portrait réel des chauffeurs est nettement plus portugais qu’on ne l’imagine.
Un secteur encadré, en pleine mutation
En mars 2025, le Portugal comptait 37495 chauffeurs actifs dans le secteur TVDE (Transporte em Veículo Descaracterizado a partir de Plataforma Eletrónica). Il s’agit du cadre réglementé dans lequel opèrent des plateformes comme Uber, Bolt ou Free Now. À ces conducteurs s’ajoutent 11894 opérateurs valides, c’est-à-dire des entités autorisées à exploiter les véhicules sous licence TVDE. Ce volume témoigne de l’importance croissante de ce mode de transport, surtout dans les grandes zones urbaines et touristiques.
Cette transparence nouvelle sur les chiffres découle d’une plateforme créée et partagée entre l’IMT 2, Uber et Bolt, destinée à mieux comprendre le secteur et à adapter la législation en fonction des réalités du terrain. Elle permet non seulement d’identifier les dynamiques socioprofessionnelles des chauffeurs, mais aussi de lutter contre les approximations trop souvent véhiculées dans l’espace public.
Le président de l’IMT, João Jesus Caetano, souligne que cet outil est « essentiel pour un encadrement dynamique et informé du secteur ». Une nécessité dans un contexte où les débats autour des plateformes numériques restent souvent polarisés et chargés d’a priori culturels.
Un chauffeur sur deux est Portugais, et parle portugais
Contrairement aux idées reçues, 52,8 % des chauffeurs Uber ou Bolt sont de nationalité portugaise. Le chiffre est encore plus marquant si l’on considère la langue maternelle : 76,4 % des chauffeurs déclarent le portugais comme langue première. Autrement dit, plus de trois chauffeurs sur quatre sont lusophones de naissance, qu’ils soient nés au Portugal, au Brésil, en Angola ou au Cap-Vert.
L’hégémonie d’un groupe ethnique ou linguistique est clairement absente
La seconde nationalité la plus représentée est brésilienne (20,6 %), suivie des Indiens (10,4 %) et des Pakistanais (4,7 %). Les conducteurs originaires du Bangladesh représentent 4,3 % des effectifs. Enfin, une mosaïque de 90 autres nationalités complète ce tableau, soulignant le caractère cosmopolite mais bien encadré du secteur. Si la diversité est réelle, l’hégémonie d’un groupe ethnique ou linguistique est clairement absente.
Répartition par nationalité | ||
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Nationalité | Total | % du total |
Portugaise | 19 815 | 52,8 % |
Brésilienne | 7 735 | 20,6 % |
Indienne | 3 900 | 10,4 % |
Pakistanaise | 1 761 | 4,7 % |
Bangladaise | 1 613 | 4,3 % |
Angolaise | 526 | 1,4 % |
Cap-verdienne | 424 | 1,1 % |
Italienne | 216 | 0,5 % |
Autres (+90 pays) | 1 505 | 4,0 % |
Source : Plateforme IMT, Bolt et Uber, données de mars 2025
Des profils majoritairement masculins et trentenaires
Le métier reste largement masculin, avec 90,1 % d’hommes pour seulement 9,8 % de femmes. Cette disparité peut s’expliquer par les horaires étendus, la pression physique de la conduite urbaine, mais aussi par les obstacles à l’entrée pour les femmes dans ce type d’activité, encore perçue comme masculine.
En termes d’âge, la majorité des conducteurs se situe dans une tranche active et expérimentée. 59,4 % ont entre 30 et 49 ans, avec une forte concentration dans la tranche 30-39 ans (31,4 %). La présence de chauffeurs jeunes (moins de 30 ans) ou âgés (plus de 60 ans) reste marginale. Le métier attire donc principalement des adultes en reconversion ou en recherche de stabilité professionnelle.
Des véhicules récents et de plus en plus verts
Le parc automobile des chauffeurs TVDE est également en mutation. En mars, 34 .447 véhicules étaient en circulation. Plus des deux tiers (66,9 %) sont encore à combustion, mais la transition est amorcée : 32,9 % utilisent des carburants alternatifs (hybrides ou électriques), une proportion bien supérieure à celle du parc automobile portugais dans son ensemble.
Autre indicateur important : 61,7 % des véhicules ont moins de 5 ans, ce qui garantit un meilleur confort, une sécurité accrue et des émissions plus faibles. Les plateformes exigent en effet des véhicules relativement récents, ce qui contribue à un certain renouvellement écologique, même partiel.
Un métier entre précarité et opportunité
Pour beaucoup, devenir chauffeur Uber est à la fois une nécessité et un choix stratégique. Le secteur attire des profils en reconversion, parfois diplômés, souvent issus de milieux modestes, qui y trouvent une certaine autonomie. Mais la précarité reste présente, notamment à cause de la dépendance aux plateformes, des horaires étendus et du manque de régulation salariale directe.
Le débat sur les droits sociaux des chauffeurs reste vif au Portugal comme ailleurs en Europe. Le statut de travailleur indépendant est remis en cause par les syndicats, qui demandent une requalification en tant que salariés. Une évolution que les nouvelles données pourraient contribuer à accélérer.
Repenser notre regard sur les chauffeurs
En mettant enfin des chiffres précis sur les profils réels des conducteurs Uber au Portugal, l’IMT vient briser une série de mythes qui, trop souvent, alimentent des réflexes xénophobes ou paternalistes. La réalité est que le métier de chauffeur TVDE est un miroir complexe de la société portugaise : en partie locale, en partie internationale, souvent masculine, parfois précaire, mais toujours indispensable.
Plutôt que de colporter des clichés, il est temps de reconnaître la contribution de ces milliers de professionnels à la mobilité urbaine, et de penser des politiques publiques à la hauteur de leur rôle quotidien. Car derrière chaque course se cache une histoire, souvent bien plus proche de nous que l’on croit.
- TDVE est l’équivalent des VTC en France ↩︎
- IMT – Instituto da Mobilidade e dos Transportes – https://www.imt-ip.pt/sites/IMTT/Portugues/Paginas/IMTHome.aspx ↩︎