Sur les hauteurs paisibles de Covas do Barroso, au nord-est du Portugal, un silence rural enveloppe les collines verdoyantes, les troupeaux de vaches barrosã et les hameaux de pierres centenaires. Mais sous cette tranquillité apparente, un conflit gronde. À la croisière entre enjeux industriels, crise climatique et résistance locale, le petit village de 180 âmes est devenu le point focal d’un projet d’extraction minier sans précédent : la plus grande mine de lithium à ciel ouvert d’Europe occidentale. Bienvenue à Covas, épicentre d’une tension qui oppose un avenir électrique à la mémoire vivante d’un territoire.
Une ressource stratégique dans un terroir classé

Le Barroso, classé patrimoine agricole mondial par la FAO 1, abrite une nature préservée, des pratiques paysannes ancestrales et une biodiversité fragile. C’est dans cette région de montagne, à 150 kilomètres de Porto, que la société britannique Savannah Resources ambitionnait d’ouvrir une mine à ciel ouvert de 542 hectares. Identifiés depuis 2017, les gisements de spodumène 2 contiendraient jusqu’à 287.000 tonnes de lithium, soit de quoi alimenter les batteries de 500.000 véhicules électriques par an pendant une décennie. Bien que la justice portugaise ait suspendu le projet en 2024, les ambitions minières restent intactes à Covas do Barroso, et pour cause !
Lisbonne entend se positionner comme un acteur clé de la chaîne de valeur des batteries, en y associant extraction, transformation et production industrielle
Pour le Portugal, qui possède les plus grandes réserves connues de lithium en Europe (60 millions de tonnes), l’enjeu est de taille. Lisbonne entend se positionner comme un acteur clé de la chaîne de valeur des batteries, en y associant extraction, transformation et production industrielle. Le projet Savannah prévoyait à terme un investissement de 110 millions d’euros, la création de 200 emplois directs, et des compensations annuelles pour les communautés locales. Mais à quel prix ?
Un village debout face à la mine

À Covas do Barroso, l’opposition a été et reste féroce. « Nous n’avons rien d’autre que cette terre, mais nous avons tout », explique Aida Fernandes, agricultrice de 43 ans dans Le Monde. « Ce paysage, cette eau pure, ces produits de la ferme : c’est notre vie, notre dignité. » Ici, la mémoire paysanne prime sur les promesses industrielles. La mine, avec ses quatre cratères prévus, ses terrils et ses routes de contournement, menace l’équilibre d’un écosystème rural déjà fragile.
Le projet d’extraction minière suscite des divisions entre les communes voisines. À Montalegre, à 25 km, le maire socialiste est favorable, misant sur la mine pour enrayer le dépeuplement. Mais à Boticas, la prudence domine. Les critiques pointent le risque de dégradation des paysages, de pollution des rivières, et la faible durée de vie du projet. Douze ans d’extraction contre des siècles de culture agraire ?
Un gisement convoitié, un modèle contesté

En plus de Savannah, d’autres acteurs comme Lusorecursos ou Galp s’intéressent à la filière lithium. Des raffineries sont prévues à Estarreja ou Sines, et une joint-venture avec Northvolt vise à produire 50 GWh de batteries d’ici 2026. L’Union européenne soutient le mouvement dans le cadre du Pacte vert. Pourtant, la population locale n’est pas toujours convaincue par les promesses de « mine verte ».
Le professeur Antonio Fiuza 3, de l’université de Porto, rappelle que les pegmatites 4 de Barroso ne contiennent pas de sulfures, ce qui limite le risque de pollution acide. Mais pour les habitants, le problème est ailleurs : « On nous arrache un bras pour nous mettre une prothèse », résume Nelson Gomes, militant de l’association Unidos Em Defesa de Covas do Barroso 5.
Un film manifeste : « Covas do Barroso. Chronique d’une lutte collective »
À Covas do Barroso, la résistance ne s’exprime pas seulement par les pancartes ou les manifestations : elle prend aussi la forme d’un film, œuvre cinématographique engagée signée Paulo Carneiro. Présenté en 2024 à la Quinzaine des cinéastes du festival de Cannes 6, Covas do Barroso. Chronique d’une lutte collective (ou Savanna and the Mountain) donne la parole aux habitants du hameau portugais décidés à dire non à l’exploitation minière.
Dans une mise en scène qui emprunte à l’esthétique du western (chevaux, carabines, tension dramatique), le réalisateur reconstitue avec les villageois les moments clés de leur mobilisation. Le décor naturel de la région renforce le contraste entre la beauté d’un mode de vie ancestral et l’irruption menaçante de la modernité extractive.
Plutôt que d’adopter un ton didactique, Carneiro joue la carte de l’ironie et de l’humanité, en filmant des figures locales bien réelles : Carlos Libo, apiculteur et éleveur ; Aida Fernandes et Nelson Gomes, agriculteurs et figures du mouvement ; ou encore Maria et Daniel Loureiro, viticulteurs. Ensemble, ils rejouent leur combat, entre scènes collectives, chansons militantes à la guitare et tableaux presque burlesques d’un village en état de veille permanente.
La lutte, toujours en cours, prend ici une dimension patrimoniale, émotionnelle et politique. Suspendu par la justice début 2024, le projet de Savannah Resources reste source d’inquiétude. Le film, lui, donne à voir un Portugal rural uni dans la défense de son territoire, et pose une question essentielle : à qui profite la transition énergétique ?
Entre urgence climatique et justice territoriale
La controverse du lithium au Portugal révèle les tensions profondes de la transition énergétique. Accélérer l’abandon des énergies fossiles suppose de nouveaux minerais, mais à quel prix pour les territoires ruraux ? La bataille de Covas do Barroso n’est pas seulement une querelle locale. Elle interroge les mécanismes de consultation, de partage de la richesse, et la capacité à concilier développement durable et équilibre social. Si le lithium est appelé à devenir l’or blanc de l’Europe, alors Covas en est déjà la première frontière morale.
Aller plus loin (17/06/2025) : https://www.portugal.fr/Mine-de-lithium-au-Portugal-a-Covas-do-Barroso-le-combat-continue.html
- Patrimoine agricole mondial : https://www.fao.org/giahs/around-the-world/detail/portugal-barroso/fr ↩︎
- Le spodumène est un minéral appartenant au groupe des pyroxènes, de formule chimique LiAl(SiO₃)₂, qui constitue l’une des principales sources naturelles de lithium. ↩︎
- Antonio Fiuza : https://scholar.google.com/citations?user=GZcyXrcAAAAJ&hl=fr ↩︎
- Les pegmatites sont des roches magmatiques très riches en cristaux de grande taille, formées lors des dernières phases de refroidissement du magma. Elles contiennent souvent des minéraux rares, comme le lithium, le béryllium ou des pierres précieuses, et sont une source majeure de spodumène. ↩︎
- Unidos Em Defesa de Covas do Barroso : https://www.facebook.com/udcovasdobarroso/ ↩︎
- https://www.quinzaine-cineastes.fr/fr/film/savanna-and-the-mountain ↩︎