Le Portugal n’a jamais compté autant de résidents étrangers sur son territoire. Selon un rapport d’étape publié par l’Agence pour l’intégration, les migrations et l’asile (AIMA), le pays a franchi le seuil symbolique des 1,6 million d’habitants étrangers en 2024, soit environ 16 % de la population totale. Ce chiffre, en forte hausse par rapport aux années précédentes, s’explique par un ensemble de facteurs juridiques, politiques et démographiques qui redessinent le paysage migratoire portugais.
À la fin de l’année 2024, l’AIMA recensait officiellement 1 546 521 résidents étrangers. Mais cette donnée est appelée à évoluer : environ 50 000 régularisations supplémentaires devraient être enregistrées une fois finalisé le traitement des demandes déposées dans le cadre du régime transitoire mis en place en juin. Ce qui porte l’estimation globale à 1,6 million de personnes.
Un changement de paradigme migratoire
Le rapport explique que cette progression est en grande partie liée à l’adoption du nouveau régime de régularisation ouvert à toute personne présente sur le territoire national avant le 3 juin 2024. Ce régime a remplacé le dispositif d’ »expression d’intérêt », une voie juridique qui permettait d’obtenir une carte de résident pour les étrangers disposant de preuves d’activité fiscale au Portugal, même s’ils étaient initialement entrés avec un visa touristique.
La suppression de ce système, jugé occasionnel et juridiquement fragile, a donné lieu à la mise en place d’un processus plus structuré, basé sur une plateforme numérique et un dépôt direct des documents. En parallèle, plusieurs réformes législatives ont facilité la possibilité pour un ressortissant étranger de rester sur le territoire même en situation initialement irrégulière, augmentant mécaniquement le nombre de demandes de résidence.
L’AIMA au cœur d’une transformation de fond
Ce changement s’inscrit dans une réorganisation en profondeur des services publics portugais de l’immigration. L’AIMA a succédé au SEF (Service des étrangers et des frontières), dissous dans un objectif de simplification administrative et d’amélioration du respect des droits fondamentaux des migrants. Cette transition a nécessité la création d’une Mission spéciale de traitement des dossiers en attente, qui a démarré son activité en septembre 2024.
Selon le rapport, cette mission a permis de statuer sur 446 921 dossiers d’expression d’intérêt restés sans réponse. Parmi eux, plus de 261 000 cas ont été convoqués pour finaliser leur procédure, tandis que 177 000 ont été notifiés pour abandon ou clôture de dossier. Cette opération de grande ampleur a aussi impliqué la collecte de données biométriques, de casiers judiciaires et d’informations sur la situation professionnelle des demandeurs.
Une hausse spectaculaire par rapport à 2023
En 2023, les chiffres officiels faisaient état de 1 044 606 résidents étrangers. La révision statistique opérée par l’AIMA a permis de réévaluer ce total à 1 293 463 personnes, confirmant une hausse brutale mais attendue : près de 250 000 personnes supplémentaires en un an. Cette correction illustre la difficulté, jusqu’ici, de mesurer avec précision la population étrangère installée durablement au Portugal.
Le nouveau système de comptabilisation prend désormais en compte les ressortissants régularisés dans des conditions transitoires, ainsi que les bénéficiaires d’une protection temporaire accordée à 61 648 Ukrainiens ayant fui la guerre. Ces derniers sont enregistrés séparément, mais inclus dans l’estimation globale de la population étrangère vivant au Portugal.
Un tournant pour la société portugaise
Avec 16 % de résidents étrangers, le Portugal se rapproche des niveaux observés dans des pays européens historiquement marqués par l’immigration, comme la France, la Belgique ou l’Allemagne. Cette évolution pose de nouveaux défis, tant en matière d’accueil et d’intégration que de logement, d’emploi ou d’accès aux services publics.
Mais elle traduit aussi une dynamique démographique positive pour un pays confronté à un vieillissement rapide et à une baisse de la natalité. La contribution des migrants à l’économie, au marché du travail et à la diversité culturelle est désormais reconnue comme un levier d’équilibre pour le Portugal des années à venir.
Le rapport de l’AIMA souligne enfin que ce recensement est encore en cours de consolidation et pourrait évoluer au fil des mois. Mais une chose est sûre : le Portugal entre dans une nouvelle ère migratoire, avec une population de plus en plus cosmopolite et un système d’accueil qui cherche, non sans difficultés, à s’adapter à cette réalité.