Lisbonne a toujours eu un attrait particulier pour les voyageurs et les expatriés, mais l’essor du télétravail a propulsé la capitale portugaise au sommet des destinations prisées par les digital nomads. Un climat ensoleillé, une gastronomie riche, un coût de la vie encore attractif et une culture de l’hospitalité ancrée font de cette ville un havre pour les travailleurs à distance. Sur des plateformes comme NomadList, Lisbonne figure en tête des destinations les plus recherchées, et le gouvernement portugais a bien compris l’opportunité que représente ce phénomène en créant un visa spécifique pour les nomades numériques.
Mais derrière cette attractivité grandissante se cache une réalité plus complexe, où se croisent qualité de vie, tensions économiques et transformations sociales.
Un cadre idyllique pour une nouvelle génération
Helena fait partie de ceux qui ont succombé au charme de Lisbonne. Cette écrivaine britannique a décidé de s’y installer après avoir découvert la ville lors d’un voyage. La pandémie et le Brexit ont accéléré son départ de Londres, et elle s’est installée avec son chien, séduite par le climat et la facilité d’intégration. Elle partage son quotidien sur les réseaux sociaux, évoquant le coût de la vie, ses coups de cœur gastronomiques ou encore son expérience en tant que femme noire à Lisbonne.
« En tant que Britannique au Portugal, je réalise que ma qualité de vie est supérieure à celle du Portugais moyen, donc je suis consciente des difficultés liées aux changements que connaît la communauté à cause de personnes comme moi. Mais dans l’ensemble, d’un point de vue égoïste, ce n’est pas quelque chose qui m’a poussée à retourner à Londres. »
Mais elle est aussi bien consciente de l’impact de sa présence et de celle des milliers d’autres étrangers qui, comme elle, bousculent l’équilibre économique local. « Mon niveau de vie ici est bien plus élevé que celui des Portugais moyens », admet-elle. « Je comprends que l’arrivée massive de Britanniques, d’Américains et de Français contribue à la hausse des prix, en particulier sur le marché immobilier. »
Une nouvelle vague d’expatriés aux revenus élevés
Le Portugal a mis en place un visa pour les nomades numériques, qui permet aux étrangers non européens de s’installer et de travailler à distance pendant un an, sous réserve d’un revenu mensuel supérieur à quatre fois le salaire minimum portugais (soit environ 3280 € en 2024). Officiellement, cette initiative vise à attirer des talents et à stimuler l’économie locale. Mais dans un contexte de crise du logement, où les salaires portugais stagnent et où les loyers explosent, cette nouvelle vague d’expatriés accentue les inégalités.
Des quartiers entiers de Lisbonne et Porto se sont transformés en centres d’hébergement temporaires pour expatriés, avec une explosion des locations Airbnb au détriment des habitants. Certains résidents portugais sont contraints de quitter le centre-ville, remplacés par des travailleurs nomades bénéficiant d’un pouvoir d’achat bien supérieur.
Lisbonne, un miroir des tensions mondiales

Le phénomène des digital nomads à Lisbonne n’est pas isolé. Il fait écho à des situations similaires dans d’autres villes prisées, comme Mexico City, Bali ou Chiang Mai. L’anthropologue Dave Cook, spécialiste de cette migration moderne, observe un schéma récurrent : les villes ouvertes aux nomades numériques connaissent une gentrification accélérée, avec une montée des tensions entre les habitants et les nouveaux arrivants.
Les villes ouvertes aux nomades numériques connaissent une gentrification accélérée, avec une montée des tensions entre les habitants et les nouveaux arrivants
Certains expatriés, comme Natacha, une créatrice de contenu russe, prennent conscience de cet effet pervers. « Nous avons choisi Lisbonne pour son cadre de vie et son coût attractif, mais en réalité, nous contribuons à l’augmentation des loyers », confie-t-elle. Installée dans un appartement d’une chambre à Alvalade pour 1500 € par mois, elle a été surprise par les prix élevés, avant de réaliser que son expérience reflète une évolution plus large du marché immobilier.
Trouver un équilibre entre ouverture et protection locale
Le débat sur l’arrivée massive des nomades numériques à Lisbonne rappelle celui qui a entouré les golden visas, ces permis de résidence accordés aux investisseurs étrangers en échange d’un apport financier conséquent. Sous le gouvernement d’António Costa, le Portugal a misé sur une politique d’ouverture et d’attractivité pour les expatriés et les nomades numériques. Reste à voir si le nouveau Premier ministre, Luís Montenegro, poursuivra cette orientation ou adaptera les mesures face aux préoccupations croissantes des habitants, notamment sur la flambée des prix de l’immobilier.
Certains expatriés suggèrent des mesures fiscales adaptées, comme une taxation spécifique des travailleurs nomades. Simon, un entrepreneur suisse vivant entre Lisbonne et Genève, estime que les nomades numériques devraient payer des impôts au Portugal s’ils y séjournent sur une longue durée.
Quelques plans pour les Digital Nomads
- Cafés accueillants pour les ordinateurs portables :
- Copenhagen Coffee Lab : Un lieu populaire pour les nomades digitaux, avec plusieurs emplacements à Lisbonne. Ils offrent un bon Wi-Fi et un environnement propice au travail.
- Fabrica Coffee Roasters : Connu pour ses espaces intérieurs et extérieurs confortables, idéal pour travailler tout en profitant d’un bon café.
- Espaces de coworking :
- Second Home et Cowork Central : Ces espaces sont parmi les plus populaires à Lisbonne, offrant des environnements de travail collaboratifs et inspirants.
- Lisbon Cowork : Cet espace propose des forfaits flexibles et abordables, avec une terrasse relaxante offrant une vue sur la ville.
- Hébergements avec espaces de travail :
- Selina Secret Garden & Cowork : Un hébergement premium avec un espace de coworking dédié, une piscine sur le toit et un jardin.
- Lookout Lisbon! Hostel : Offre un salon confortable avec vue sur la vieille ville de Lisbonne, parfait pour travailler pendant la journée.
Vers une cohabitation plus harmonieuse ?
Pour éviter un isolement total entre expatriés et locaux, des initiatives émergent. Le One Thousand Club 1, créé par un groupe de Portugais et d’expatriés, tente de favoriser les échanges et les rencontres entre les communautés. Ce club sélectif (500 Portugais et 500 étrangers) propose des événements et des discussions pour tisser des liens et éviter la création de bulles communautaires.
Les réseaux sociaux jouent également un rôle central dans cette intégration. Des groupes Facebook comme Lisbon Digital Nomads & Expats 2 rassemblent des dizaines de milliers de membres, facilitant les échanges et la découverte de la culture locale.
Un phénomène en constante évolution
Le nomadisme numérique, autrefois perçu comme un mode de vie marginal, est devenu une réalité économique et sociale majeure. Pourtant, le terme lui-même semble perdre de son attrait. De plus en plus d’expatriés refusent d’être qualifiés de digital nomads, en raison des critiques croissantes et des tensions sociales que cette étiquette génère.
Si Lisbonne reste une destination de rêve pour de nombreux télétravailleurs, elle est aussi le théâtre d’un débat crucial sur l’avenir des grandes villes mondiales. Entre attractivité internationale et protection des résidents locaux, l’équilibre est encore fragile.
- One Thousand Club : https://onethousandclub.com/ ↩︎
- Lisbon Digital Nomads & Expats : https://www.facebook.com/groups/532696873566509/ ↩︎
Source : Timeout Lisboa 12/2022