Les traditions du vin de Porto

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Peu de vins dans le monde s’accompagnent d’autant de rituels codifiés que le vin de Porto. Si ses origines sont profondément enracinées dans la vallée du Douro, au nord du Portugal, c’est pourtant outre-Manche, dans les salons feutrés de la noblesse britannique, que se sont forgées certaines de ses coutumes les plus emblématiques. Décanter, faire circuler, évoquer un évêque au détour d’un toast… autant de gestes qui, s’ils peuvent paraître folkloriques, contribuent à transformer une simple dégustation en un véritable art de vivre. Explorons les traditions, tant pratiques qu’anecdotiques, qui font du service du Porto un moment à part.

Le rituel du passage : un décanteur pour tous

Parmi les traditions les plus anciennes, celle du passage du décanteur de Porto occupe une place centrale. Une fois le Porto — souvent un millésime — décanté, il est déposé à la droite de l’hôte ou de l’hôtesse, puis transmis à gauche. Le décanteur suit ainsi un mouvement circulaire dans le sens des aiguilles d’une montre, passant de main en main jusqu’à revenir à son point d’origine.

decanteur vin de Porto

Ce geste, aujourd’hui souvent observé dans les dîners raffinés ou les dégustations officielles, n’est pas dicté par une nécessité gustative. Il répond plutôt à un souci d’élégance collective : veiller à ce que chaque invité ait la possibilité de goûter au vin, sans heurt ni oubli. Le sens horaire du mouvement n’est pas anodin : la majorité des convives étant droitiers, il facilite la prise en main fluide du décanteur.

Si cette coutume a gagné en popularité au XIXe siècle dans les cercles anglais, son origine précise demeure sujette à interprétation. Certains y voient un héritage militaire de la Royal Navy, d’autres un simple code de bienséance. Quoi qu’il en soit, elle participe à la mise en scène d’un moment de partage solennel et convivial, propre à renforcer le plaisir du vin.

Et si le décanteur cesse de circuler ? C’est là qu’entre en jeu une tradition aussi savoureuse qu’insolite : l’invocation du Bishop of Norwich.

Connaissez-vous l’évêque de Norwich ?

Imaginez une table longue, des verres vides, et un décanteur immobilisé. La conversation ralentit. Le silence s’installe. Dans cette situation, demander brutalement à son voisin de transmettre le vin serait contraire à l’étiquette. Alors, une question jaillit, à la fois mystérieuse et courtoise : « Do you know the Bishop of Norwich? »

Bishop of Norwich

Derrière cette formule énigmatique se cache un code social élégant : il s’agit d’une manière polie de rappeler au convive fautif qu’il est temps de faire circuler le Porto. Pour ceux qui tarderaient à comprendre l’allusion, une autre pique — « Is your passport in order? » — pourra être lancée avec humour.

Origines d’une tradition britannique

La genèse de cette expression nous ramène au XIXe siècle et à la figure haute en couleur de Henry Bathurst 1, évêque de Norwich entre 1805 et 1837. Homme réputé pour son appétit de vie (et de vin), il était aussi connu pour son grand âge et sa propension à s’assoupir en fin de repas. Résultat : plusieurs décanteurs de Porto finissaient leur course bloqués à son coude droit, au grand dam des invités placés plus loin.

Certains affirmaient même que son oubli était stratégique — une manière habile de prolonger le plaisir. Quoi qu’il en soit, c’est à son comportement que l’on attribue l’apparition de cette célèbre question, devenue au fil du temps un clin d’œil codé dans les cercles œnophiles. Plus tard, un autre évêque de Norwich, John Sheepshanks 2 (1893–1910), aurait contribué à maintenir vivante cette tradition. Son portrait trône aujourd’hui à la Quinta de Vargellas, propriété de la maison Taylor’s, comme une malicieuse incitation à respecter les rites.

Un rituel toujours vivant

Ces usages peuvent sembler désuets, voire théâtraux. Pourtant, ils ajoutent une couche de profondeur et de convivialité codifiée à l’expérience du Porto. Ils rappellent aussi que ce vin, né de la terre du Douro mais élevé dans l’imaginaire britannique, a toujours été plus qu’une boisson : un lien social, un prétexte à conversation, un marqueur culturel.

Les producteurs eux-mêmes, notamment les grandes maisons comme Graham’s, Taylor’s ou Sandeman, entretiennent ces traditions dans leurs lodges ou lors de dégustations organisées. Les amateurs avertis les perpétuent également, qu’il s’agisse de dîners privés ou de cérémonies officielles. Et même dans les restaurants ou clubs les plus contemporains, le rituel du Porto peut encore surprendre et ravir.

Le Porto, un vin à part entière

Qu’il soit Ruby, Tawny, White ou Vintage, le Porto mérite un traitement à la hauteur de son histoire et de sa richesse aromatique. Loin d’être un simple vin de dessert, il peut accompagner un fromage bleu, sublimer un chocolat noir, ou même se déguster seul, pour lui-même, dans un grand verre ballon.

Respecter ses traditions n’est pas une obligation — mais c’est un moyen de se connecter à une culture du temps long, du soin et de la transmission. Et s’il vous arrive de bloquer le décanteur par distraction ou enthousiasme, rappelez-vous : connaissez-vous l’évêque de Norwich ?

Petite typologie des gestes traditionnels autour du Porto

RituelSignificationOrigine
Passer le décanteur à gaucheGarantir que chaque convive reçoive du vinUsages britanniques, facilité pour les droitiers
Commencer par l’hôteMarquer le début du serviceRègle de préséance classique
« Do you know the Bishop of Norwich? »Rappel subtil de faire circuler le décanteurHenry Bathurst, évêque de Norwich (1805–1837)
Utilisation du Porto pour le Loyal ToastRituel naval britanniqueRoyal Navy — les officiers restent assis

Entre folklore et finesse

Les traditions autour du vin de Porto sont le reflet d’une culture partagée entre deux mondes : celui du terroir portugais, chaleureux et rustique, et celui des salons britanniques, codifiés et élégants. Ces gestes anciens, parfois anecdotiques, enrichissent l’expérience sensorielle en y ajoutant une dimension sociale et culturelle forte.

En les perpétuant, on ne fait pas qu’honorer le passé. On recrée, à chaque fois, un instant d’attention partagée, de civilité œnologique, où le vin devient lien. Et dans un monde qui va de plus en plus vite, cela n’a sans doute jamais été aussi précieux.


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