Le coq de Barcelos

coq de Barcelos

En parcourant les routes du nord du Portugal, difficile d’échapper à sa silhouette fière, ses couleurs vives et son port altier : le coq de Barcelos est partout. Dans les vitrines des boutiques de souvenirs, les foires traditionnelles, les affiches touristiques ou les intérieurs familiaux, ce gallinacé polychrome ne se contente pas d’être un objet décoratif. Il incarne un récit ancestral, une identité populaire et une stratégie culturelle. Derriere ses plumes colorées se cache une légende poignante, un destin de céramique et une métaphore nationale. Voici l’histoire du Galo de Barcelos, symbole portugais aux mille vies.

Une légende médiévale enracinée dans la foi

legende coq de barcelos

L’origine du coq de Barcelos puise dans une vieille légende populaire, transmise depuis le Moyen Âge. Elle raconte l’histoire d’un pèlerin galicien injustement accusé d’un vol alors qu’il se rendait à Saint-Jacques-de-Compostelle. Condamné à la pendaison, il aurait réclamé une audience au juge. Introduit dans sa demeure, au moment même d’un banquet, le pèlerin clama son innocence et désigna un coq rôti sur la table, jurant qu’il chanterait au moment de son exécution pour prouver qu’il disait vrai.

Moqué mais exaucé, il fut conduit au gibet. Et c’est alors que l’improbable se produisit : au moment fatidique, le coq mort se dressa et chanta à plein gosier. Alerté, le juge accourut et découvrit que le nœud mal fait avait retardé l’étranglement. Le pèlerin fut gracié. Des années plus tard, il fit ériger un cruzeiro 1 en l’honneur de Saint Jacques et de la Vierge, toujours visible aujourd’hui au musée archéologique de Barcelos 2.

Naissance d’un symbole populaire

Si la légende était connue localement, c’est au XIXe siècle que les artisans de Barcelos, célèbre ville du Minho, commencèrent à la figurer en céramique. Le coq devient alors un motif fétiche, d’abord modeste, au marché hebdomadaire du jeudi. Chaque pièce, peinte à la main, raconte l’histoire d’un peuple lié à la terre, au mythe et à une identité populaire forgée dans la foi et la justice.

Coloré, stylisé, parfois exubérant, le coq de Barcelos est avant tout un artefact du quotidien. Il décore, amuse, fascine. Mais sa portée va rapidement dépasser les foires rurales.

Un héros de la propagande culturelle

estado novo galo de barcelos

ans les années 1930, le Secretariado de Propaganda Nacional (SPN) du régime de Salazar, dirigé par l’écrivain et stratège culturel António Ferro, cherche à façonner une esthétique du Portugal éternel. Le coq, avec ses origines morales, religieuses et paysannes, devient une icône idéale. Il est mis en avant lors de l’Exposição de Arte Popular Portuguesa de Genève en 1935, puis à Lisbonne en 1936, au cœur de l’appareil de promotion touristique.

Le coq devient ainsi un emblème du folklore national, répété, multiplié, décliné à l’infini. C’est la victoire d’une esthétique populaire instrumentalisée au service d’une nation homogène et figée. La figure du coq se mue en métaphore visuelle d’un Portugal moral, catholique et rural.

Objet touristique universel

toursime coq de barcelos

À partir des années 1950, le coq de Barcelos s’émancipe de son ancrage local pour devenir l’un des objets-souvenirs les plus vendus du pays. Il incarne alors la Portugalidade 3, cette essence romantique du Portugal, à la fois pittoresque et accueillante. Il est présent sur les affiches, les guides, les expositions internationales, et il s’exporte dans les valises des touristes du monde entier.

Au-delà du kitsch qu’on pourrait lui reprocher, le coq conserve une charge symbolique forte : celle d’une justice divine, d’une foi profonde et d’une nation unie dans sa diversité. Son design, devenu standardisé, ne fait pas oublier ses origines : un conte de miracle, de destin et de rédemption.

Un patrimoine réinventé

affiche galo de barcelos

Le coq de Barcelos est aujourd’hui un symbole d’unité et de chance. On dit que l’avoir chez soi apporte protection et prospérité. Il orne les enseignes de restaurants, les logos d’associations, les cuisines et les salons. Il existe en bois, en verre, en textile, en magnet ou en gigantesques sculptures urbaines.

Mais sa force ne réside pas seulement dans sa popularité. Il est la preuve qu’un simple motif folklorique peut, à travers les époques, devenir le vecteur d’une mémoire partagée et d’un imaginaire collectif. Il raconte le Portugal sans discours. Il chante, comme autrefois, une vérité simple : la beauté peut naître de la justice, du hasard et de l’espoir.

Le Galo de Barcelos et les artistes

Joana Vasconcelos et la relecture monumentale

Joana Vasconcelos

Parmi les artistes portugais contemporains qui ont réinterprété le Galo de Barcelos, Joana Vasconcelos 4 occupe une place à part. Connue pour ses œuvres monumentales mêlant artisanat traditionnel et art conceptuel, elle a revisité le célèbre coq à plusieurs reprises. Ses sculptures, recouvertes de crochet ou d’azulejos, transforment le symbole populaire en une icône monumentale, à la fois ironique et profondément portugaise.

En installant ses coqs géants sur des places publiques, comme à Barcelos ou à Lisbonne, elle rend hommage à l’imaginaire collectif tout en interrogeant les rapports entre tradition, culture de masse et identité nationale. Le Galo devient ici un outil critique, à la frontière de l’art populaire et de l’installation contemporaine.

Julia Côta et la tradition élevée au rang d’art

Julia Côta

Artiste reconnue de la région de Barcelos, Júlia Côta 5 est l’une des grandes figures de la céramique populaire portugaise. Héritière d’une tradition familiale, elle incarne cette génération d’artisans devenus artistes par la singularité de leur style. Ses coqs, pleins de caractère, sont souvent plus expressifs, plus denses et porteurs d’une narration plus forte que les modèles standardisés.

Dans l’œuvre de Júlia Côta, le Galo est un support d’expression à part entière, souvent accompagné de scènes rurales, de motifs floraux ou de figures religieuses. Son travail contribue à faire entrer la céramique traditionnelle dans les collections d’art contemporain, sans jamais trahir son enracinement populaire.

Un emblème adopté par les jeunes artistes

Robert Bradford
Robert Bradford

Au-delà des figures reconnues, une nouvelle génération de céramistes, de graphistes ou de plasticiens portugais s’approprie aujourd’hui le Galo de Barcelos pour l’interroger, le détourner ou le célébrer. On le retrouve dans des projets de street art, dans des installations engagées, ou encore dans des créations numériques destinées aux réseaux sociaux ou à l’exportation culturelle.

Cette appropriation témoigne de la force du symbole : à la fois familier, iconique et chargé d’émotions collectives. Le Galo continue de porter la voix d’un Portugal multiple, entre mémoire artisanale et créativité contemporaine.

barcelos

Perchée sur les rives du Cávado, dans la région du Minho au nord du Portugal, la ville de Barcelos est bien plus qu’un simple point sur la carte. Elle incarne l’essence même de l’art populaire portugais, mêlant traditions séculaires, foi populaire et créativité artisanale. C’est ici que s’est forgé le destin d’un symbole aujourd’hui connu dans le monde entier : le Galo de Barcelos. Mais la ville, riche d’un passé médiéval et d’un présent tourné vers la culture, a bien d’autres récits à offrir.

Barcelos est réputée pour sa foire hebdomadaire, qui se tient chaque jeudi sur la place centrale, et qui demeure l’une des plus grandes foires traditionnelles du Portugal. Entre étals de céramique colorée, broderies, objets en fer forgé et spécialités régionales, cette foire perpétue un art de vivre où l’échange est aussi important que le produit. Depuis des générations, les artisans locaux y présentent leurs créations, dans une continuité vivante et renouvelée de l’esprit du Minho.

Barcelos

Historiquement, Barcelos fut un bastion stratégique et religieux. Elle conserve de nombreux vestiges de cette époque, comme le Pont médiéval, l’ancien Paço dos Condes de Barcelos – qui abrite aujourd’hui un musée archéologique à ciel ouvert – ou encore les ruelles pavées du centre historique, ponctuées de maisons blasonnées et d’églises baroques. Chaque pierre, chaque façade, semble porter la mémoire d’une ville qui a toujours su conjuguer identité locale et ouverture au monde.

Plus récemment, Barcelos s’est affirmée comme capitale créative de l’artisanat, intégrée au réseau UNESCO des villes créatives 6. Ce label consacre le dynamisme de ses artistes, son savoir-faire céramique et sa capacité à innover sans renier ses racines. Dans les ateliers, le Galo continue de renaître sous des formes multiples, mais toujours avec cette même ferveur, ce même respect du geste traditionnel, allié à une inspiration contemporaine. Une façon de dire que l’histoire de Barcelos est en perpétuelle réinvention.

Un coq devenu conscience nationale

Dans le monde globalisé du XXIe siècle, le coq de Barcelos pourrait être une relique folklorique dépassée. Il n’en est rien. Il survit, non pas comme un simple produit commercial, mais comme un symbole fluide et adapté, capable de parler au passé comme au présent. Il incarne ce que le Portugal veut encore raconter de lui-même : une terre de traditions vivantes, d’artisanat sincère, d’histoire populaire et de valeurs intemporelles.

Du juge banquetant au coq rôti qui chante, du pèlerin innocent au touriste curieux, l’épopée du Galo de Barcelos continue de faire rêver. Elle appartient autant à la culture que à l’âme. Et tant que les marchés de Barcelos fleuriront chaque jeudi, tant que ses artisans façonneront l’argile à la main, le coq coloré du Minho poursuivra sa longue parade à travers les générations.

  1. Cruzeiro : calvaire médiéval ↩︎
  2. Musée archéologique de Barcelos : https://www.visitportugal.com/fr/content/paco-dos-duques-museu-arqueologico-de-barcelos ↩︎
  3. La Portugalidade désigne le sentiment d’identité nationale propre au Portugal, façonné par son histoire, sa culture, sa langue, ses traditions et son passé maritime. Ce concept, souvent mobilisé au XXe siècle (notamment sous l’État Nouveau), exalte des valeurs comme la foi, la nostalgie (saudade), le catholicisme, la ruralité et la mission civilisatrice du pays. Il incarne une vision romantique, parfois idéalisée, de l’âme portugaise dans sa continuité historique et culturelle. ↩︎
  4. Joana Vasconcelos : https://www.joanavasconcelos.com/en/artwork/pop-galo-2016 ↩︎
  5. Júlia Côta : https://www.instagram.com/juliacota_artesanato/ ↩︎
  6. Réseau UNESCO des villes créatives : https://www.unesco.org/fr/creative-cities/barcelos ↩︎


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