À Lisbonne, l’émotion suscitée par l’accident du funiculaire da Glória, survenu début septembre, se double désormais d’un choc politique. Le rapport préliminaire du Bureau de prévention et d’enquête sur les accidents d’aéronefs et ferroviaires (GPIAAF) révèle que le câble du célèbre ascenseur, non conforme aux normes de sécurité, était en usage depuis décembre 2022. Ce détail, passé sous silence dans la première communication officielle, vient remettre en cause la version initiale de la société municipale Carris et relancer le débat sur la gestion publique du patrimoine lisboète.
Une confusion sur la date qui change tout
Dans sa première note d’information, publiée trois jours après l’accident, le GPIAAF indiquait que le type de câble utilisé sur le funiculaire avait été mis en place « depuis environ 6 ans ». Une donnée qui renvoyait à 2019 et orientait la responsabilité vers l’ancienne direction de Carris et l’ancien maire de Lisbonne, Fernando Medina (Parti socialiste). Mais le rapport préliminaire publié 45 plus tard rectifie cette version : le câble en question n’a été installé qu’en décembre 2022, soit sous la direction actuelle de l’entreprise publique.
Le document ajoute que ce modèle de câble ne répondait pas aux spécifications techniques exigées par Carris et qu’il n’était pas certifié pour le transport de personnes. En d’autres termes, le funiculaire da Glória, l’un des symboles du vieux Lisbonne, fonctionnait depuis près de deux ans avec un équipement inadéquat, sans validation de conformité.
Un désaccord ouvert entre Carris et les enquêteurs
La révélation, publiée par le journal Expresso, a provoqué une onde de choc dans la capitale. Selon l’hebdomadaire, la société municipale aurait transmis à l’enquête des informations erronées. Carris, de son côté, dément catégoriquement avoir fourni de telles données : « Cette information ne figure dans aucun des documents transmis au GPIAAF dans le cadre de l’enquête », affirme la direction dans un communiqué. L’entreprise ajoute qu’elle menait encore ses propres investigations internes sur l’origine et les conditions d’achat du câble au moment des faits.
Le rapport indique en outre que le conseil d’administration de Carris n’a pas encore été entendu par les enquêteurs, laissant planer un doute sur la communication entre la société et les autorités de contrôle. Cette opacité alimente les critiques d’élus municipaux, qui exigent désormais la transparence totale sur les conditions d’entretien des funiculaires historiques de la ville.
Une démission et un silence politique pesant
La publication du rapport a entraîné une réaction en chaîne : Pedro de Brito Bogas, président de Carris, a présenté sa démission mercredi, rapidement acceptée par le maire de Lisbonne, Carlos Moedas (Parti social-démocrate). Ce dernier, interrogé par l’agence Lusa, a renvoyé toute question à la société municipale, refusant de commenter la gestion interne de l’affaire. Un silence que d’aucuns interprètent comme une volonté d’éviter un scandale politique à la mairie de la capitale.
La conseillère socialiste Alexandra Leitão, récemment élue au conseil municipal, a dénoncé une situation « très grave » : « Fournir des informations incorrectes à une autorité d’enquête, que ce soit intentionnel ou non, compromet la confiance dans les institutions », a-t-elle déclaré. Ses propos reflètent le malaise croissant au sein du conseil, partagé entre le souci de préserver l’image de Lisbonne et la nécessité de tirer les leçons d’un drame évitable.
Un symbole de Lisbonne fragilisé
Inauguré en 1885, le funiculaire da Glória est bien plus qu’un simple moyen de transport. Il relie les quartiers de la Baixa et du Bairro Alto, deux des zones les plus visitées de Lisbonne, et incarne l’identité urbaine du pays. Sa mise à l’arrêt, après l’accident qui a fait plusieurs blessés légers, prive la ville d’un de ses emblèmes touristiques majeurs. Mais la dimension symbolique n’efface pas la gravité des faits : le dysfonctionnement d’un équipement aussi emblématique met en lumière les failles structurelles de la gestion municipale du patrimoine technique.
Pour les ingénieurs du GPIAAF, la priorité est désormais de déterminer comment un câble non certifié a pu être installé et maintenu en service pendant près de deux ans. Le rapport final, attendu d’ici la fin de l’année, devrait préciser la chaîne de décision et les manquements techniques qui ont conduit à cette situation. D’ici là, le funiculaire da Glória restera immobilisé, image saisissante d’un Lisbonne partagé entre modernité et négligence, entre mémoire et responsabilité.
Ce nouvel épisode illustre, une fois encore, les tensions qui traversent le Portugal : celles d’un pays attaché à son patrimoine mais confronté à la nécessité de le gérer avec rigueur et transparence. Le cas du funiculaire da Glória, au-delà du câble défectueux, interroge la fiabilité d’un modèle de gouvernance municipale à l’épreuve de la modernisation et du contrôle public.







