Et si le fish and chips était né au Portugal !

fish and chip inventé par les portugais

À première vue, le fish & chips est l’emblème incontesté de la culture britannique, ce plat populaire dégusté sur le pouce ou au bord de mer, assis sur un banc, est ancré dans l’imaginaire collectif du Royaume-Uni. Mais si l’on remonte le fil de l’histoire culinaire, une hypothèse inattendue se dessine : et si cette spécialité si typiquement britannique trouvait en réalité ses racines au Portugal ? Loin d’un simple débat de paternité culinaire, cette exploration nous plonge dans un voyage entre traditions sépharades, migrations et transmissions culturelles.

Les origines portugaises : un héritage méconnu

Bien avant que le fish & chips ne conquière les ruelles brumeuses de Londres ou les ports d’Écosse, c’est dans le Portugal du XVe siècle que l’on trouve les premières traces d’une tradition culinaire étonnamment proche. Sous la domination des royaumes chrétiens, après des siècles de coexistence entre juifs, musulmans et chrétiens au sein de l’Al-Andalus, la péninsule ibérique vit émerger une diaspora juive sépharade porteuse de savoir-faire culinaires spécifiques.

Parmi ces pratiques : la préparation d’un poisson blanc, souvent de la morue ou du merlu, frit dans un enrobage fin de farine ou de chapelure. Cette méthode de cuisson, née d’un impératif religieux, permettait de consommer des plats froids le samedi, jour du shabbat, durant lequel la cuisson était interdite. Ainsi, le poisson frit devenait un aliment pratique, à la fois savoureux et conforme aux prescriptions religieuses.

Même après les persécutions religieuses et l’exil de nombreuses familles, certaines pratiques culinaires ont continué à s’ancrer dans le quotidien portugais. Le poisson frit, notamment la morue panée, est resté un plat populaire, transmis au fil des générations et adapté aux goûts locaux. Dans les régions côtières comme le Minho ou le littoral sud de l’Alentejo, on retrouve encore aujourd’hui des recettes qui perpétuent cet héritage sépharade, souvent sans même en connaître l’origine. Mais alors, comment ce modeste poisson frit portugais a-t-il conquis les côtes anglaises pour devenir une icône nationale ?

Le voyage du poisson frit : du Portugal à l’Angleterre

fich and chip port porto

On l’ignore souvent, mais le parcours du poisson frit jusqu’au cœur de la culture britannique commence bien loin de l’Angleterre. À la fin du XVe siècle, les juifs sépharades furent persécutés, expulsés ou convertis de force, notamment au Portugal où l’Inquisition allait s’installer durablement. Pendant plusieurs décennies, ces communautés ont connu l’exil, dispersées dans les grandes cités portuaires européennes, dont Londres, Amsterdam ou Salonique, entre le XVIe et la fin du XVIIe siècle. Ces familles ont emporté avec elles des traditions culinaires précieuses, parmi lesquelles une recette emblématique : celle d’un poisson blanc frit.

Dès le XVIe siècle, des traces d’une cuisine inspirée de cette tradition apparaissent dans certaines communautés londoniennes. Mais c’est au cours du XVIIIe siècle que la recette connaît une véritable diffusion : des marchands ambulants exilés juifs portugais proposent du poisson frit dans les rues de la capitale, en particulier dans les quartiers populaires de l’Est londonien. Suspendus à leur cou, leurs plateaux de poisson croustillant séduisent les ouvriers, séduits par ce plat nourrissant et peu coûteux.

En 1781, des documents mentionnent déjà la « méthode juive de préparation du poisson« , et quelques décennies plus tard, Charles Dickens évoque dans Oliver Twist (1837) les fameuses « fried fish warehouses« . Le terme « fish and chips« , lui, n’apparaît qu’au milieu du XIXe siècle, lorsque la révolution industrielle et l’expansion du réseau ferroviaire permettent l’acheminement de poissons frais jusque dans les terres.

Ainsi, loin d’être une invention strictement britannique, le fish & chips est le fruit d’un lent métissage culinaire, né des rives portugaises et enrichi par les exils, les échanges et les traditions. Derrière chaque filet croustillant, se cache une histoire de migrations, de transmission et de mémoire.

Et donc les frites dans tout ça ?

frite a bruxelle

Le mariage du poisson frit et des pommes de terre n’a pas de source unique. Les historiens s’accordent à dire que les frites, ou « chips« , sont probablement nées en Belgique à la fin du XVIIe siècle. Là encore, il est fascinant de constater que ces traditions alimentaires circulaient à travers l’Europe bien avant de se stabiliser en une seule recette nationale.

Au Royaume-Uni, le premier établissement combinant fish et chips ouvre vers 1860, avec Joseph Malin à Londres et John Lees près de Manchester, chacun revendiquant la paternité du premier « chippy« . Mais il est important de souligner que la base du plat – le poisson frit – existait déjà depuis des siècles, héritée des traditions culinaires méditerranéennes et notamment de la diaspora juive sépharade du Portugal.

Un mythe britannique à revisiter

Le fish & chips reste sans conteste un symbole fort de l’identité britannique, mais en creusant son histoire, on découvre un récit plus nuancé, plus complexe, qui tisse des liens inattendus entre cultures. Derrière ce plat réconfortant, il y a l’ombre des exils, des échanges culturels, et de la créativité des cuisiniers contraints de s’adapter. Le Portugal, à travers ses communautés juives sépharades, a bien joué un rôle essentiel dans la genèse du fish & chips, un fait trop souvent éclipsé par la légende populaire.

Le fish & chips est bien plus qu’une simple association de poisson et de pommes de terre frites. C’est le reflet d’une histoire migratoire, d’un brassage culturel qui relie le Portugal du XVe siècle à l’Angleterre industrielle du XIXe. En rendant hommage aux savoir-faire oubliés et en valorisant l’héritage des cuisines sépharades, on redonne au fish & chips sa juste place dans le grand récit de la gastronomie mondiale.

Alors, la prochaine fois que vous dégusterez un fish & chips croustillant, pensez à ce voyage incroyable : du bacalhau panado des rues de Lisbonne à l’odeur alléchante des « chippies » d’outre-Manche, il y a toute une histoire à savourer.


Article écrit par
Retour en haut