En 1524, Vasco de Gama, navigateur portugais et pionnier des routes maritimes vers les Indes, entreprenait ce qui sera son ultime voyage. À la tête d’une flotte de 19 navires transportant plus de 3000 hommes, il devait consolider la présence portugaise dans l’océan Indien. Mais au cours de cette expédition, certains navires disparurent, emportés par des tempêtes.
Cinq siècles plus tard, une épave découverte au large du Kenya intrigue les chercheurs. Située sur le récif de Ngomeni, elle pourrait bien être celle du São Jorge, supposément donc le dernier galion de l’explorateur, disparu en 1524. Les artefacts retrouvés, ainsi que les premières analyses scientifiques, laissent penser qu’il pourrait s’agir de l’une des plus anciennes épaves européennes jamais découvertes dans l’océan Indien.
Une découverte archéologique sur le récif de Ngomeni

Le site de Ngomeni, à environ 500 mètres au large des côtes kényanes, est connu pour abriter plusieurs épaves de différentes époques. En 2007, des pêcheurs locaux signalent la présence de restes de bois immergés, et alertent l’archéologue maritime Caesar Bita 1, des Musées nationaux du Kenya.
Des fouilles débutent alors, mais faute de financements, elles restent limitées. Ce n’est qu’en 2013, grâce au soutien du gouvernement chinois, que les chercheurs commencent à extraire des artefacts :
- Planches en bois issues de la coque du navire, encore partiellement conservées.
- Fragments de céramiques chinoises du début du XVIe siècle.
- Lingots de cuivre et ivoire, typiques du commerce portugais de l’époque.
Ces indices laissent alors à penser qu’il pourrait s’agir du São Jorge 2, l’un des navires de la dernière expédition de Vasco de Gama, coulé lors d’une violente tempête près de Malindi.
Le São Jorge, un galion perdu en 1524
Le São Jorge faisait partie de la flotte qui accompagna Vasco de Gama 3 lors de son dernier voyage vers les Indes. Ce navire de guerre et de commerce, conçu pour résister aux longues traversées, naviguait dans une région où les tempêtes tropicales étaient fréquentes.
Selon des archives portugaises, le São Jorge aurait disparu en mer en 1524, alors qu’il tentait d’atteindre l’Inde. Son équipage, confronté à une tempête imprévisible, n’aurait pas survécu. Si l’épave retrouvée sur le récif de Ngomeni est bien celle du São Jorge, elle pourrait fournir des éléments clés sur la construction et les performances des premiers galions portugais.
Toutefois, certains chercheurs évoquent une hypothèse alternative : il pourrait s’agir du Nossa Senhora da Graça, un autre navire portugais coulé en 1544 dans la même région.
Des artefacts révélateurs

Pour différencier ces hypothèses, les scientifiques analysent en profondeur les objets retrouvés sur l’épave :
- Les céramiques chinoises et perses datées du début du XVIe siècle suggèrent que l’épave date d’avant 1540.
- Les restes de la structure en bois, partiellement protégés par les sédiments, montrent des techniques de construction typiques des galions portugais du début du siècle.
- L’ivoire et les lingots de cuivre confirment que le navire transportait des marchandises du commerce portugais avec l’Asie et l’Afrique.
Il est plus probable que les céramiques chinoises de 1510 proviennent d’un navire de 1524 plutôt que de 1544
Selon Filipe Castro 4, archéologue spécialiste des navires portugais, il est plus probable que les céramiques chinoises de 1510 proviennent d’un navire de 1524 plutôt que de 1544. Cette découverte pourrait donc bien être celle du São Jorge.
Un trésor d’informations sur la construction navale

Si l’identification du São Jorge se confirme, l’épave pourrait révolutionner notre compréhension des galions portugais. Ces navires étaient des symboles de puissance maritime, conçus pour le combat et les expéditions au long cours.
Les premières analyses de la structure révèlent plusieurs éléments intéressants :
- Une coque renforcée, adaptée aux voyages de plusieurs mois en haute mer.
- Un système de gréement avancé, permettant une meilleure manœuvrabilité.
- Un assemblage de bois et de fer, assurant la solidité face aux tempêtes.
Ces caractéristiques expliquent pourquoi la flotte de Vasco de Gama a pu traverser plus de 30.000 km en quelques mois, reliant directement l’Europe à l’Inde.
L’impact des explorations de Vasco de Gama
Vasco de Gama fut le premier navigateur à ouvrir une route maritime directe entre l’Europe et l’Inde, en 1498. Cette route permit au Portugal de contrôler le commerce des épices, du coton et de l’or, transformant Lisbonne en l’un des plus grands centres commerciaux d’Europe.
À son apogée, le Portugal était une puissance mondiale, dominant les routes maritimes entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. L’expédition de 1524 visait à renforcer cette hégémonie, mais marqua aussi la fin de la carrière de Vasco de Gama, qui mourut de la malaria en 1525 à Cochin, en Inde.
Cependant, son héritage est plus complexe :
- Les Portugais établirent un réseau commercial, mais aussi un système colonial, imposant leur autorité sur des territoires africains et asiatiques.
- Les navires portugais transportaient non seulement des épices, mais aussi des esclaves, renforçant le commerce transcontinental.
L’épave de Ngomeni pourrait donc aussi servir de témoignage archéologique sur les débuts de l’expansion coloniale portugaise.
Entre passé et futur : préserver le patrimoine maritime

La découverte du São Jorge ne marque que le début des recherches. Les scientifiques travaillent désormais à :
- Préserver les vestiges, en évitant leur détérioration sous l’eau.
- Numériser l’épave, pour mieux comprendre sa structure.
- Former une nouvelle génération d’archéologues africains, afin d’explorer d’autres sites similaires.
L’archéologue Filipe Castro insiste sur cette approche : « Nous voulons raconter une histoire globale, qui ne soit ni seulement portugaise, ni seulement africaine, mais qui reflète l’incroyable diversité de l’océan Indien au XVIe siècle. »
La confirmation que l’épave est bien celle du São Jorge en ferait l’une des plus anciennes découvertes européennes dans l’océan Indien, témoignant de l’essor du commerce maritime mondial.
Pour conclure
L’épave de Ngomeni est bien plus qu’un simple navire perdu : elle est une fenêtre sur un tournant majeur de l’histoire. Si les analyses confirment qu’il s’agit du São Jorge, cette découverte permettra d’en apprendre davantage sur la navigation portugaise, le commerce maritime et les débuts de la mondialisation.
Elle soulève aussi des questions essentielles sur l’héritage de ces expéditions, entre exploration et colonisation. Les prochaines années de fouilles seront cruciales pour lever le voile sur ce mystérieux galion disparu il y a 500 ans.
- Caesar Bita : https://www.researchgate.net/profile/Caesar-Bita ↩︎
- https://www.dn.pt/cultura/provas-indicam-que-naufragio-no-quenia-e-de-galeao-de-vasco-da-gama ↩︎
- Vasco de Gama (1469-1524), navigateur portugais, est le premier Européen à atteindre les Indes par la mer en 1498, ouvrant la route des épices pour le Portugal. Il établit les premiers comptoirs portugais en Asie et consolide la présence du royaume dans l’océan Indien. Nommé vice-roi des Indes en 1524, il meurt peu après à Cochin. ↩︎
- Filipe Castro : https://coimbra.academia.edu/FilipeCastro ↩︎