Chocalhos do Alentejo : un patrimoine vivant inscrit à l’UNESCO

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Dans le cœur battant de l’Alentejo, là où le soleil brûle la terre et où le temps semble suspendu, un son résonne encore à travers les plaines : le tintement des chocalhos. Ces sonnailles de fer et de laiton, accrochées au cou des troupeaux, ne sont pas de simples instruments utilitaires. Elles incarnent une tradition millénaire, un savoir-faire ancestral et une mémoire vivante, inscrite depuis 2015 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Au fil des siècles, le chocalho est devenu bien plus qu’un objet : un témoin sonore de la vie pastorale, un symbole d’identité et de résilience pour les communautés rurales du sud du Portugal.

C’est à Alcáçovas, petit village paisible de la municipalité de Viana do Alentejo, que bat le cœur de cette tradition. Là-bas, dans l’atelier des Chocalhos Pardalinho, la passion du métal et du son se transmet de génération en génération. Une visite dans ce lieu unique, où résonnent encore les coups de marteau sur l’enclume, c’est plonger dans l’âme de l’Alentejo et comprendre comment un simple morceau de fer devient un instrument vivant, sculpté par la main de l’homme et les échos de l’histoire.

Un savoir-faire ancestral forgé par le temps

La fabrication d’un chocalho est une alchimie précise, un rituel qui mêle force brute et délicatesse d’orfèvre. Tout commence par une simple plaque de fer, découpée, martelée sur l’enclume pour lui donner sa forme : le corps du chocalho. À cela s’ajoutent les éléments essentiels — orelhas, asa, céu et batente — qui, une fois assemblés, donnent naissance à un son unique. Chaque chocalho est ensuite enrobé d’un alliage de laiton, composé de cuivre, d’étain et de zinc, qui lui confère sa brillance caractéristique et influence sa tonalité.

Mais plus qu’un objet métallique, le chocalho est un instrument subtil, dont le son doit être ajusté avec précision. « Nous pesons le son », confie Miguel Maia, maître chocalheiro et gardien de ce patrimoine. Selon la quantité de laiton utilisée — 12, 14 ou 20 grammes —, la tonalité varie : plus le chocalho est lourd, plus le son est aigu. Cet art de l’affinage, appris auprès des anciens, est une science intuitive, un savoir transmis par l’oreille et le geste, bien plus qu’un simple calcul mécanique.

Le chocalho, GPS pastoral et mémoire sonore

chocalhos transumance

Bien avant l’ère des satellites, le chocalho était le véritable GPS des éleveurs. À travers le tintement d’un troupeau, le pasteur pouvait lire la situation : un rythme lent et régulier indiquait un troupeau calme ; un son saccadé pouvait alerter d’un danger ou d’une agitation inhabituelle. Le chocalho ne se contente pas de guider le bétail : il communique, informe, alerte. Il raconte des histoires, murmure des inquiétudes, et résonne comme un écho de la vie dans les campagnes.

Cette dimension sonore dépasse le simple outil pastoral. Dans certaines fêtes traditionnelles, comme la procession de Pâques à Castelo de Vide, le chocalho devient un instrument de rituel, marquant le tempo des dévotions et renforçant l’identité collective. C’est un son qui relie passé et présent, ancré dans le quotidien mais porteur de spiritualité.

La famille Pardalinho : gardienne d’un art en péril

Fabrico de Chocalhos Património Imaterial da Humanidade

La Fábrica de Chocalhos Pardalinho 1 est bien plus qu’un atelier : c’est le sanctuaire vivant d’un métier rare, autrefois pratiqué dans 20 ateliers d’Alcáçovas, aujourd’hui réduit à une seule adresse. Là, entre les étincelles des forges et les effluves de métal chauffé, Miguel Maia et son associé Francisco Cardoso perpétuent un héritage familial, transmis par le père de Miguel, Zé Pardalinho — surnom hérité d’une lignée d’artisans passionnés.

Nous ne cherchons pas une note précise, mais le meilleur son que chaque pièce peut produire

Chaque étape du processus est réalisée sur place : découpage, forge, affinage, polissage, pose des badalos en bois d’azinho (bois de chêne vert), et enfin, ajustement minutieux du son. La particularité des chocalheiros d’Alcáçovas ? Tous sont musiciens. Cette sensibilité à la vibration, à la résonance des métaux, donne aux chocalhos de cette région une qualité sonore inimitable. « Nous ne cherchons pas une note précise, mais le meilleur son que chaque pièce peut produire », explique Miguel Maia, révélant ainsi le secret d’un art à la frontière de la science et de l’émotion.

Un patrimoine vivant, entre tradition et modernité

unesco

L’inscription des chocalhos de l’Alentejo au patrimoine de l’UNESCO a été un tournant majeur. Ce label a permis de protéger et de valoriser ce savoir-faire unique, tout en attirant l’attention d’un public plus large, bien au-delà des frontières du Portugal. Aujourd’hui, le chocalho n’est plus seulement un outil pour le bétail : il est devenu un objet décoratif prisé, un souvenir authentique, et parfois même une œuvre d’art sur commande, pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros.

La Fábrica de Chocalhos Pardalinho ouvre ses portes aux visiteurs curieux, offrant des visites guidées qui dévoilent chaque étape de la fabrication, du fer brut à la sonnaille finie. Ces démonstrations permettent de comprendre la complexité du processus et l’importance d’un savoir-faire menacé, tout en sensibilisant à la fragilité des métiers traditionnels dans un monde de plus en plus mécanisé.

Découvrir le musée du chocalho et le Paço dos Henriques à Alcáçovas

museu chocalho

Pour prolonger l’expérience et mieux comprendre l’histoire de ces objets fascinants, une visite au musée du chocalho 2 s’impose. Situé à Alcáçovas, ce musée privé fondé par le maître chocalheiro João Chibeles Penetra abrite une impressionnante collection de plus de 3000 chocalhos, soigneusement rassemblés au fil des années. Chaque pièce raconte une époque, un usage, un savoir-faire transmis de génération en génération. Le musée permet d’explorer l’évolution de cet artisanat, des formes anciennes aux modèles les plus récents, et met en lumière l’importance de ces sonnailles dans la vie rurale de l’Alentejo. Les visiteurs y découvrent également des pièces rares, parfois uniques, qui témoignent de la richesse sonore et symbolique des chocalhos dans la culture portugaise.

À quelques pas de là, le Paço dos Henriques 3, un ancien palais magnifiquement restauré, accueille une exposition permanente consacrée à l’art du chocalho. Ce lieu offre un cadre historique exceptionnel pour comprendre l’influence de ces objets dans l’économie locale et le patrimoine immatériel de l’UNESCO 4. Des panneaux explicatifs, des vidéos et des démonstrations permettent aux visiteurs de plonger dans l’univers sonore des chocalhos et de mieux appréhender leur rôle au fil des siècles. Ensemble, le musée du chocalho et le Paço dos Henriques forment un duo incontournable pour quiconque souhaite saisir toute la portée culturelle, technique et symbolique de cet art unique du sud du Portugal.

Le chocalho : un son qui traverse les siècles

Plus qu’un simple objet, le chocalho est le battement de cœur d’un territoire. Dans chaque tintement, on entend l’écho des troupeaux traversant les plaines dorées de l’Alentejo, le souvenir des générations d’artisans qui ont façonné ces cloches, et la promesse d’un savoir-faire qui, contre vents et marées, continue de résonner. Le chocalho est un symbole de persévérance, de communauté et de lien profond entre l’homme et la nature. Il rappelle que dans le silence des campagnes, c’est parfois un simple son métallique qui guide le chemin et raconte l’histoire d’un peuple.

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Chocalhos do Alentejo : l’art des sonnailles du Portugal, un patrimoine inscrit à l’UNESCO


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