On imagine souvent que le lexique français s’est forgé uniquement au contact du latin, du grec ou des langues germaniques. Pourtant, d’autres influences plus lointaines ont laissé leur empreinte, comme celle du portugais. Fruit de l’histoire coloniale, des échanges commerciaux et des navigations maritimes, l’héritage portugais est bien plus présent dans notre vocabulaire que ce que l’on croit. Certains mots, que nous utilisons tous les jours sans y penser, sont en fait des emprunts directs à la langue lusophone. Une plongée passionnante dans les chemins de traverse de la langue française.
Une origine lointaine et méconnue : les lusitanismes
Le mot « lusitanisme » désigne un terme portugais qui a été adopté dans une autre langue. Ce mot tire son nom de la Lusitanie, ancienne province romaine correspondant au Portugal actuel. L’influence de la langue portugaise sur le français s’est répandue dès le Moyen Âge, avec l’expansion maritime portugaise et la constitution d’un vaste empire colonial. Le portugais, langue de marchands, de navigateurs et de diplomates, a exporté ses mots sur les cinq continents.
Avec l’émergence des pays lusophones comme le Brésil, l’Angola, le Mozambique ou encore Goa, l’empreinte linguistique du portugais s’est multipliée. La période des Grandes Découvertes a été un véritable catalyseur pour la diffusion de termes portugais dans de nombreuses langues, y compris le français. Au fil des siècles, ces mots se sont fondus naturellement dans notre vocabulaire.
Le français et le portugais partageant des racines latines communes, l’intégration de ces mots s’est souvent faite en douceur. Cette parenté linguistique explique pourquoi certains lusitanismes ne nous paraissent pas si étrangers. Ils sonnent familiers, presque français de naissance, alors qu’ils ont traversé les mers avant d’entrer dans nos dictionnaires.
Il existe aujourd’hui une centaine de mots français d’origine portugaise recensés. Certains sont techniques ou archaïques, d’autres sont devenus si usuels qu’on en oublie l’origine. Tous témoignent d’une histoire de rencontres, de circulations et d’héritages.
10 mots du quotidien venus du portugais

Des exemples évocateurs et surprenants
Baroque est l’un des exemples les plus célèbres. Le mot dérive du portugais « barroco« , qui désignait une perle irrégulière. Devenu un adjectif décrivant un style artistique exubérant, il illustre bien la manière dont un mot a pu voyager et évoluer dans son sens.
Cachalot, quant à lui, provient du portugais « cachalote« , signifiant littéralement « grosse tête ». Ce terme décrit parfaitement l’allure imposante de ce cétacé. C’est un bel exemple d’observation animale traduite en image linguistique.
Pintade vient du mot portugais « pintada » signifiant « peinte », en référence à la tête colorée de cet oiseau. D’autres noms d’animaux, comme zèbre (à partir de « zebra« ), suivent ce même chemin.
Le mot cobaye, d’origine sud-américaine, a transité par le portugais « çabuya » avant d’être francisé. Il désigne aujourd’hui un animal de laboratoire, mais son cheminement rappelle l’importance de la médiation linguistique portugaise dans les découvertes scientifiques.
Voyages, douceurs et noms communs
Bambou, plante tropicale, vient du portugais « bambu« , lui-même emprunté aux langues de l’Inde. Le mot est passé par le néerlandais avant de s’intégrer au français. Il illustre la chaîne complexe des influences entre langues, avec le portugais en point de passage.
Caramel, dont l’origine latine est souvent mise en avant, est arrivé jusqu’à nous via le portugais « caramelo« . Sa forme, sa texture et sa couleur ont séduit les palais comme les lexiques d’Europe.
Japon, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est la francisation de « Japão« , terme portugais inspiré du chinois. Le mot a remplacé des formes anciennes comme « Zipangri« , évoquant l’Orient lointain.
Enfin, lascar désignait des marins indiens employés sur les navires portugais. Le mot est resté en français pour désigner une personne rusée ou débrouillarde.
Petit récapitulatif de mots français d’origine portugaise
Mot français | Origine portugaise | Signification ou contexte |
---|---|---|
Baroque | Barroco | Perle irrégulière, style artistique |
Cachalot | Cachalote | Poisson à grosse tête |
Cobaye | Çabuya | Petit rongeur de laboratoire |
Bambou | Bambu | Plante tropicale |
Caramel | Caramelo | Confiserie sucrée |
Japon | Japão | Pays du Soleil-Levant |
Créole | Crioulo | Esclave né dans la maison |
Zèbre | Zebra | Animal à rayures |
Lascar | Lascarim | Marin indien / Personne maligne |
Pintade | Pintada | Poule peinte |
Attention aux faux amis
La proximité entre le français et le portugais, deux langues romanes issues du latin, peut parfois prêter à confusion. Il est tentant, lorsqu’on rencontre un mot portugais inconnu, de le deviner à partir de son équivalent phonétique en français. Dans bien des cas, cela fonctionne : autocarro signifie bien autocar, bicicleta désigne une bicyclette, et bom apetite se traduit naturellement par « bon appétit ».
Cependant, cette ressemblance peut aussi être source de quiproquos. Certains mots portugais, bien que proches du français dans leur forme, ont une signification tout autre. Ce sont les fameux faux amis, ces pièges linguistiques qui peuvent transformer une conversation anodine en moment embarrassant. Il faut donc redoubler de vigilance lorsqu’on navigue entre ces deux langues si proches.
Voici ci-dessous une sélection non exhaustive de ces faux amis les plus courants entre le portugais et le français. Certains sont cocasses, d’autres peuvent mener à des malentendus sérieux. Dans tous les cas, les connaître permet d’éviter bien des erreurs lors d’une traduction ou d’un voyage au Portugal.
Mot portugais | Faux sens en français | Signification réelle |
---|---|---|
Abonado | Abonné | Aisé, nanti |
Abraçar | Embrasser | Faire l’accolade |
Acordar | Accorder | Se réveiller |
Acreditar | Accréditer | Croire |
Afamado | Affamé | Célèbre, renommé |
Amassar | Amasser | Pétrir, chiffonner |
Assomar | Assommer | Surgir |
Atender | Attendre | Recevoir, servir (un client) |
Atirar | Attirer | Jeter |
Azar | Hasard | Malheur |
Bafo | Baffe | Haleine |
Batom | Bâton | Rouge à lèvres |
Benévolo | Bénévole | Bienveillant |
Bestial / Brutal | Bestial / Brutal | Excellent, super |
Blusa | Blouse | Chemisier |
Brigar | Briguer | Lutter, se battre |
Burro | Bureau | Âne |
Caçar | Casser | Chasser |
Calar | Caler | Taire |
Cão | Chaos | Chien |
Carta | Carte | Lettre |
Cartão | Carton | Carte (de crédit) |
Casar | Caser | Marier |
Casca | Casque | Écorce |
Chá | Chat | Thé |
Champanhe | Champagne | Vin blanc mousseux portugais |
Chato | Chat | Ennuyeux |
Chifre | Chiffre | Corne |
Chuto | Chute | Coup de pied |
Cigarro | Cigare | Cigarette |
Constipado | Constipé | Enrhumé |
Copo | Coupe | Verre |
Cor | Corps | Couleur |
Corante | Courante | Colorant |
Costume | Costume | Tradition, habitude |
Couvert | Couvert | Hors-d’œuvre, entrée |
Crachá | Crachat | Badge, décoration |
Criar | Crier | Élever (un enfant) |
Crime | Crime (Homicide) | Crime ou délit |
Decorrer | Décorer | S’écouler (le temps) |
Defeito | Défait | Défaut |
Degrau | Degré | Marche (d’escalier) |
Depois | Depuis | Après, ensuite |
Desastrado | Désastreux | Maladroit |
Desfiar | Défier | Effilocher, défaire |
Desgaste | Dégât | Usure |
Desgostar | Dégoûter | Mécontenter |
Deslocar | Disloquer | Déplacer |
Despensa | Dépenses | Réserve, cellier |
Encaixar | Encaisser | Emboîter, ajuster |
Enforcar | Forcer | Pendre |
Enjoado | Enjoué | Écoeuré, nauséeux |
Enlevar | Enlever | Charmer, envoûter |
Entender | Entendre | Comprendre |
Enviar | Envier | Envoyer |
Estilo | Stylo | Style |
Estrada | Estrade | Route |
Fagote | Fagot | Basson |
Falta | Faute | Manque |
Fiel | Fiel | Fidèle |
Fixe | Fixe | Cool, super |
Fonte | Fonte | Source |
Fracasso | Fracas | Échec |
Frigideira | Frigidaire | Poêle |
Funcionário | Fonctionnaire | Employé (public ou privé) |
Gastar | Gâter | Dépenser |
Gato | Gâteau | Chat |
Gerar | Gérer | Engendrer |
Gordo | Gros | Gras |
Grade | Grade | Grille, barreau |
Granja | Grange | Ferme |
Hospício | Hospice | Asile (psychiatrique) |
À l’inverse, il est amusant de constater que le portugais emprunte aussi au français, parfois de manière très libre. Des mots comme cachepô, soutien, bricabraque ou encore cassetete sont issus du français mais ont été adaptés au contexte portugais. On parle alors d’« estrangeirismos », et la langue portugaise en comprend plusieurs centaines, dont une grande partie provient directement de notre langue.
Une influence discrète mais durable
Les mots portugais en français sont souvent invisibles aux yeux du grand public. Et pourtant, ils sont bien là, répandus dans notre quotidien, porteurs d’histoires lointaines et de contacts culturels riches. Leur présence rappelle que la langue n’est jamais figée, qu’elle se nourrit d’ailleurs, qu’elle se transforme au fil des voyages, des rencontres et des héritages.
Le portugais, langue de marins, de marchands et de poètes, a laissé une empreinte plus profonde qu’on ne l’imagine. Une empreinte qu’on découvre en observant de près les mots que l’on croit français depuis toujours.