Il existe au cœur des montagnes portugaises des lieux qui semblent figés hors du temps, des endroits où le silence raconte des histoires oubliées et où la pierre chuchote à qui sait écouter. L’Aldeia da Pena, perchée dans la Serra de São Macário, fait partie de ces sanctuaires rares. Ce village minuscule, construit en schiste, connu comme étant un des plus isolés du pays, abrite une poignée d’âmes et un monde de merveilles naturelles, de traditions tenaces et de paysages à couper le souffle. Une destination où la lenteur devient un luxe, et la beauté un murmure éternel.
Une arrivée au bout du monde

1Au cœur du Portugal montagneux, à 35 kilomètres de Viseu, dans la région de la Beira Alta, se niche l’Aldeia da Pena, l’un des villages les plus isolés du pays. Pour y parvenir, il faut quitter les axes principaux, traverser São Pedro do Sul , puis grimper les pentes escarpées de la Serra de São Macário. Depuis Porto, comptez près de deux heures de route en direction du sud-est, à travers les monts granitiques et les forêts denses du massif de la Gralheira. Là-haut, à près de 700 mètres d’altitude, une route étroite serpente sur les 5 derniers kilomètres, enchaînant lacets et à-pics, jusqu’à l’entrée de ce hameau hors du temps.
Ici, les voitures sont interdites : on laisse son véhicule à l’écart, et c’est à pied que l’on franchit les derniers mètres. Le silence devient alors un compagnon fidèle. Pas de moteurs, seulement le bruissement de la rivière, les bêlements des chèvres et le vent qui se faufile entre les crêtes. L’arrivée à Pena n’est pas anodine : elle se mérite, elle se vit.
La Pena ne possède qu’une seule rue, bordée de quelques becos (ruelles étroites), de murets de pierre et d’escaliers gravis par les chèvres autant que par les hommes. Les maisons, en schiste et quartzite, se dressent à flanc de colline, chacune semblant avoir poussé avec la roche. Le fontanario central, la petite chapelle dédiée à Santa Rita et les oratoires disséminés marquent la spiritualité discrète mais omniprésente du lieu.
Le royaume du schiste

Ce qui frappe d’abord à l’Aldeia da Pena, c’est la matière dont elle est faite : le schiste. Cette roche sombre, stratifiée, qui affleure naturellement dans la région, compose ici murs, toitures, ruelles et terrasses. Plus qu’un matériau, le schiste est l’âme minérale du lieu. Chaque pierre raconte l’histoire d’un peuple montagnard qui a su tirer de son sol les ressources pour bâtir un abri face aux rigueurs du climat.
Les maisons, bâties à la main, s’élèvent sur un ou deux étages, leurs toits couverts d’ardoise noire. L’assemblage est brut, sans fioritures, mais d’une étonnante harmonie. Le schiste retient la chaleur en hiver, protège de l’humidité, et donne au village cet aspect camouflé, presque secret, lorsqu’on l’aperçoit depuis les hauteurs. À chaque saison, la pierre change de ton : brune et chaude sous le soleil, lustrée et presque bleutée sous la pluie.
Le schiste retient la chaleur en hiver, protège de l’humidité, et donne au village cet aspect camouflé, presque secret
Cette omniprésence du schiste s’inscrit dans une tradition architecturale typique des aldeias serranas portugaises, particulièrement dans les chaînes montagneuses de la Lousã, de l’Arada et du São Macário. Mais à Pena, elle prend une intensité rare, car ici, la pierre n’a pas seulement été utilisée, elle a été honorée.
Ce mariage entre géologie, architecture et esthétique donne au village sa beauté brute, presque primitive. Un décor que la nature encadre avec soin : en contrebas, la rivière forme des vasques cristallines ; au-dessus, les crêtes dessinent des silhouettes dantesques ; et autour, les versants boisés bruissent de vie sauvage.
Une reconnaissance nationale pour un village d’exception
Ce caractère unique n’est pas passé inaperçu. En 2019, l’Aldeia da Pena a été distinguée par le Prix Cinq Étoiles Régions 2 dans la catégorie « Aldeias e Vilas », représentant le district de Viseu. Une reconnaissance nationale, fondée sur une large consultation du public, qui consacre l’authenticité de ce hameau montagnard et l’attachement profond que les Portugais portent à leur patrimoine rural. C’est aussi une manière de rappeler que même les plus petits villages peuvent incarner la grandeur d’un territoire.
Héritages et récits de la montagne

À la Pena, les pierres parlent autant que les anciens. Chaque sentier semble chargé de mémoire, et chaque habitant porte en lui une légende. La plus célèbre – étrange, presque surnaturelle – est celle du « morto que matou o vivo », littéralement « le mort qui tua le vivant ». Dans les temps anciens, les défunts de la Pena étaient enterrés au cimetière du village voisin, Covas do Rio. Le trajet, long de plusieurs kilomètres, traversait des ravins et des pentes abruptes, les cercueils portés à dos d’homme sur des sentiers escarpés. Un jour, alors que deux hommes transportaient une dépouille, celui qui marchait en tête glissa dans la descente. Le poids du cercueil déséquilibra le second. Le bois funéraire bascula en avant, emportant le porteur qui mourut sur le coup. L’histoire, tragique et rocambolesque, est encore racontée ici avec un mélange d’humour noir, de fatalisme montagnard et de profond respect pour ces lieux où l’homme, parfois, se heurte à la rudesse de la terre.

C’est dans l’atelier de Dona Augusta, artisane et gardienne des traditions, que ces histoires prennent chair. Assise à l’ombre d’une façade de schiste, elle évoque la vie d’autrefois, les jours sans électricité, les nuits glacées et le pain fait maison. Sa boutique minuscule – bâtie de bois ancien et de pierre brute – abrite des bocaux de miel ambré, des savons parfumés à la lavande, des sachets d’herbes, et surtout, les sculptures miniatures de son mari, António. Ici, rien n’est mis en scène : tout est vrai, tout est vécu. Les visiteurs ne trouvent pas une carte postale figée, mais une main tendue, un accent chantant, un regard franc.
Dans cette intimité offerte sans artifice, la montagne devient récit. On y parle de naissances sans enregistrement, de vieux sentiers qui faisaient office de routes, de la rigueur de l’hiver, de la lumière trop brève, et des étés qui embaument le thym sauvage. À la Pena, la légende est partout. Elle habite les murs, les gestes et les silences. Et chaque échange, chaque sourire, vous rappelle que ce village, minuscule et reculé, est un monde à lui seul, un monde où l’histoire s’écrit à voix basse, au rythme des pas sur le schiste.
Une vie entre tradition et renouveau
À la fin des années 2000, un reportage montrait Mariana, dernière enfant du village, partant chaque jour pour l’école, à plus de 20 kilomètres. Quinze ans plus tard, elle est toujours là, désormais étudiante en ingénierie agroalimentaire à Viseu, et serveuse les week-ends à l’Adega Típica da Pena. Une jeunesse ancrée, porteuse de futur. Les vieilles maisons se rénovent, quelques familles reviennent, les visiteurs affluent.
Goûter, explorer, rencontrer : vivre la Pena de l’intérieur

À l’Aldeia da Pena, la découverte ne passe pas seulement par les yeux. Elle se poursuit par le goût, par l’odorat, par l’échange avec celles et ceux qui font vivre ce lieu. Le village, bien que minuscule, abrite deux établissements chaleureux où l’on vient autant pour manger que pour partager un moment rare : l’Adega Típica da Pena 3, tenue par la famille de Mariana, et le restaurant O Morto Que Matou o Vivo 4, en hommage à la célèbre légende locale. Tous deux proposent une cuisine de montagne sincère, ancrée dans les saisons, les troupeaux, les jardins et les gestes transmis.

Assis sous une treille ou dans une salle de schiste au plafond bas, on se régale de cabri grillé, de viande de veau rôtie au feu de bois, d’arroz de cabidela bien poivré, de feijoada nourrissante. Les fromages de la Serra da Estrela, affinés en cave, fondent sur le pain de seigle encore tiède. Les chouriços et salpicão séchés à l’air libre racontent une histoire aussi ancienne que les murs qui les ont vus fumer. En dessert, les sopas secas ou les filhós dorées au sucre s’invitent sur les tables en bois massif, accompagnées d’un verre de vin vert local ou d’un petit digestif à base d’herbes sauvages.
Rencontres et rythmes de la vie à l’Aldeia da Pena
Mais ici, la table est plus qu’un repas : elle est un rituel d’hospitalité. Mariana, entre deux services, prend le temps de discuter, de raconter comment elle partage sa vie entre les études à Viseu et le service familial. Elle sourit à chaque visiteur comme s’il était attendu. Dans la boutique de Senhora Augusta, un simple « bom dia » devient une porte ouverte vers les secrets du village. Tout est simple, mais rien n’est anodin. Chacun ici incarne la Pena.
Et quand on ne mange pas, on marche. On suit la rivière, on observe les chèvres qui traversent les ruelles, on photographie le linge qui sèche entre deux murets. Les promeneurs, les randonneurs, les rêveurs trouvent ici un écho à leur besoin de lenteur. Les enfants pataugent dans l’eau claire du ruisseau. Les amoureux s’assoient face aux Penedos. Le village est minuscule, mais ses possibilités sont infinies, à la mesure de ce que le visiteur est prêt à accueillir.
Un paradis pour marcheurs

Autour de l’Aldeia da Pena, les sentiers ne sont pas de simples chemins, ce sont des lignes de vie tracées par des siècles d’allées et venues, de foires oubliées, de convois funèbres et de transhumance. Chaque pas vous relie à l’histoire profonde de cette terre granitique et abrupte, où la pierre se mêle à l’eau, au silence et à la lumière. Le plus connu de ces itinéraires est le PR9 GOI, surnommé « Trilho do Baile« , un parcours de 12 kilomètres aux pentes modérées, reliant Pena à d’autres villages emblématiques des Montanhas Mágicas, tels que Aigra Velha, Comareira ou encore Talasnal. Entre forêts denses, crêtes rocheuses et points de vue à couper le souffle, ce sentier circulaire est un condensé d’authenticité et de beauté brute.
Mais pour les plus audacieux, un autre itinéraire, plus secret, plus âpre, attend d’être foulé : l’ancien chemin vers Covas do Rio. Il suit la trace du légendaire cortège du “homem morto que matou o homem vivo”, sur 3 kilomètres de descente raide, non balisée, où chaque pierre semble murmurer les échos du passé. Ce sentier, encore utilisé par les villageois jusqu’à récemment pour les enterrements, est une plongée dans la rudesse d’un quotidien de montagne, mais aussi dans une forme de communion silencieuse avec les éléments.
Plus haut encore, des chemins longent les crêtes jusqu’aux Penedos de Góis, gigantesques falaises granitiques qui offrent une vue spectaculaire sur la Serra da Lousã, le haut Trevim et, par temps clair, les contreforts de la Serra da Estrela. Sur le parcours, les balançoires en bois, installées ici et là au bord du vide, invitent à faire une pause dans le vide, entre vertige et émerveillement.
Ici, la marche n’est jamais anodine. Elle est un acte d’attention, une invitation à ralentir. Elle transforme le promeneur en témoin privilégié d’un monde minéral et végétal, rude et généreux, dans lequel chaque détour peut révéler une source, une ruine, ou le passage furtif d’un chevreuil.
Fragilité et avenir du site
Le tourisme, en croissance, menace parfois l’équilibre de ce lieu fragile. L’épisode d’un autocar bloqué sur une route interdite en est la preuve : la Pena n’est pas un décor, c’est un organisme vivant. Sa survie passe par une régulation intelligente, des visiteurs respectueux, et un soutien au commerce local. Acheter du miel ou un souvenir, c’est faire un geste d’avenir.
Aldeia da Pena est une offrande de la montagne. Une mosaïque de schiste, de légendes, de plats mitonnés et de récits humains. C’est un miroir du Portugal profond, celui des saisons, des gestes anciens, des paysages que l’on contemple en silence. Ceux qui y viennent repartent changés. Oui, vraiment, ça vaut la peine d’aller à la Pena.
- São Pedro do Sul (capitale du thermalisme) : https://www.cm-spsul.pt/index.asp ↩︎
- Prémio Cinco Estrelas : https://r.cinco-estrelas.pt/wp-content/uploads/2022/04/Diario-de-Viseu-07.04.2022.pdf ↩︎
- Adega Típica da Pena : https://www.adegatipicadapenarestaurante.com/ ↩︎
- O Morto Que Matou o Vivo : https://www.instagram.com/ondeomortomatouovivorestaurant/ ↩︎