Portugal : Vers une interdiction de la burqa dans l’espace public

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Le Parlement portugais a approuvé en première lecture une proposition de loi visant à interdire le port de la burqa et du niqab dans les espaces publics. Cette initiative, portée par le parti d’extrême droite Chega, divise profondément la classe politique et soulève des questions complexes mêlant droits des femmes, liberté religieuse et gestion de la diversité culturelle dans un pays où l’islam reste minoritaire.

Alors que les défenseurs de la mesure invoquent la protection de la dignité féminine et les impératifs de sécurité, ses opposants dénoncent une manœuvre populiste visant une communauté vulnérable. Le débat, vif et idéologique, s’inscrit dans un contexte de montée des tensions autour des politiques migratoires, sur fond d’augmentation rapide du nombre d’étrangers au Portugal.

  • Le Parlement portugais a voté en première lecture une proposition de loi visant à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public, ce qui inclut la burqa et le niqab.
  • Cette proposition provient du parti Chega. Elle a été adoptée avec le soutien du PSD (centre-droit), de l’Initiative Libérale et du CDS-PP.
  • Cette proposition suscite la polémique chez les partis de gauche et associations.
  • Le texte va maintenant être examiné en commission parlementaire (Affaires constitutionnelles, droits, libertés et garanties) où il pourra être modifié.

Une majorité fragmentée autour d’un texte controversé

Adopté à l’issue d’un vote serré, le texte proposé par Chega a recueilli le soutien du Parti social-démocrate (PSD), du CDS-PP et de l’Initiative libérale (IL). Les partis de gauche, du Parti socialiste (PS) au Bloco de Esquerda en passant par le PCP et le parti Livre, s’y sont opposés, tandis que le PAN et le JPP ont choisi l’abstention. Ce clivage traduit des lignes de fracture de plus en plus marquées sur les questions identitaires au sein de la politique portugaise.

Le texte interdit le port de tout vêtement « destiné à dissimuler le visage » dans les lieux publics, avec des exceptions prévues pour des raisons de santé, professionnelles, artistiques ou religieuses dans des lieux de culte. Les sanctions administratives pourront atteindre 4000 euros, avec une gradation en cas de récidive ou de contrainte exercée sur des tiers.

La loi doit encore être examinée en commission parlementaire des Affaires constitutionnelles, des droits, libertés et garanties, où elle pourrait être amendée. Elle ne deviendra applicable qu’après promulgation par le Président de la République et publication au Journal officiel, suivie d’un délai de 30 jours.

Une rhétorique axée sur les droits des femmes… et les valeurs nationales

Le parti Chega justifie sa proposition au nom de la défense de la condition féminine. « La burqa et le niqab ne sont pas des expressions de foi, ce sont des instruments d’oppression », a affirmé André Ventura, leader du parti, devant les députés. Le texte vise explicitement « les vêtements dégradants imposés aux femmes au nom d’une vision radicale de l’islam », établissant un parallèle avec d’autres pratiques jugées incompatibles avec les principes d’égalité, comme les mutilations génitales.

« La burqa et le niqab ne sont pas des expressions de foi, ce sont des instruments d’oppression », a affirmé André Ventura

Cette approche, soutenue par certains élus de la droite traditionnelle, s’inscrit dans un discours plus large sur l’assimilation culturelle. « Ceux qui viennent vivre ici doivent respecter les valeurs de la République portugaise », a affirmé Ventura, évoquant la nécessité d’« éviter à l’avance les dérives communautaristes constatées ailleurs en Europe ».

Le PSD, qui gouverne actuellement, a apporté un soutien conditionnel, appelant à « améliorer la rédaction en commission » tout en exprimant sa volonté de « préserver les équilibres entre sécurité, intégration et liberté religieuse ».

Une opposition qui dénonce une stigmatisation ciblée

Les partis de gauche se sont vivement opposés à la proposition, dénonçant une initiative qui, selon eux, « instrumentalise la condition féminine à des fins xénophobes ». Le député socialiste Pedro Delgado Alves a ainsi pointé du doigt « une loi qui ne répond à aucun besoin réel, mais construit un ennemi imaginaire pour attiser la peur et l’exclusion ».

Une loi sans nécessité apparente

Du côté des représentants de la communauté musulmane, le ton est plus préoccupé que combatif. L’imam David Munir, de la Mosquée centrale de Lisbonne, a rappelé que « seules quelques femmes portent la burqa ou le niqab au Portugal, la plupart optant simplement pour le hijab (voile couvrant les cheveux) ». Il souligne l’absence de tout incident lié à cette pratique, et accuse les auteurs du texte de « détourner l’attention des véritables problèmes du pays ».

« La sécurité est une vraie question », concède-t-il, « mais il est absurde de faire croire qu’une poignée de femmes voilées représentent une menace ». Selon lui, cette loi risque surtout de pousser certaines familles à « l’isolement, voire à l’exil », et pourrait envoyer un signal hostile aux populations musulmanes établies ou récemment immigrées.

Liberté religieuse et principes constitutionnels en débat

Plusieurs juristes et associations de défense des droits humains s’interrogent sur la constitutionnalité d’une telle interdiction. La liberté religieuse est un droit fondamental protégé par la Constitution portugaise, et la nouvelle législation pourrait faire l’objet de recours devant le Tribunal constitutionnel.

Plusieurs juristes et associations de défense des droits humains s’interrogent sur la constitutionnalité d’une telle interdiction

La référence explicite aux vêtements religieux dans l’exposé des motifs, bien que le texte utilise un langage neutre sur la « dissimulation du visage », pourrait être interprétée comme une atteinte discriminatoire à la liberté de culte. En France et dans d’autres pays, des lois similaires ont été validées au nom de la sécurité ou de la neutralité dans l’espace public, mais elles continuent à faire l’objet de controverses.

Une question symbolique dans un pays en mutation

Le débat intervient alors que le Portugal connaît une mutation démographique rapide. En 3 ans, le nombre d’étrangers dans le pays a presque doublé, dépassant les 1,6 million de personnes. Si la plupart de ces nouveaux arrivants sont originaires du Brésil, de pays africains lusophones ou d’Europe de l’Est, la présence musulmane s’accroît également, notamment dans les grandes agglomérations.

Ce contexte alimente des tensions sur la manière dont la société portugaise entend préserver son modèle d’intégration. Faut-il poser des limites précoces à certaines pratiques minoritaires ou au contraire privilégier l’ouverture et le dialogue ? La réponse du Parlement, en approuvant cette mesure sans véritable urgence sécuritaire ou pression sociale documentée, semble indiquer une inflexion vers une approche plus normative de l’identité nationale.

Reste à savoir si cette loi passera l’épreuve des tribunaux et si elle sera effectivement appliquée, ou si elle demeurera un signal politique plus qu’un changement de société. Dans tous les cas, elle révèle les lignes de tension d’un pays confronté, comme tant d’autres en Europe, aux défis d’une diversité croissante et des valeurs en recomposition.

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