Portugal : entre quête d’identité et guerres culturelles

guerre culturelle au portugal

Depuis quelques années, le Portugal, souvent perçu comme un havre de tolérance et de modération politique, est rattrapé par des débats houleux qui polarisent la société. Ces affrontements, surnommés « guerres culturelles« , touchent des sujets sensibles tels que le racisme, la colonisation, l’éducation ou encore l’immigration. À l’instar des divisions observées ailleurs en Europe et dans le monde, ces tensions révèlent une lutte pour l’identité culturelle et les valeurs fondamentales du pays.

Chega : un catalyseur des tensions sociales

Le parti d’extrême droite Chega, dirigé par André Ventura, se trouve au cœur de ces débats. Fondé en 2019, ce mouvement a rapidement gagné en influence, devenant la troisième force politique au Portugal en 2022, puis progressant encore en 2024 avec 18,07 % des voix et 50 sièges au parlement. Son discours populiste, centré sur des thèmes tels que l’immigration, la criminalité et l’identité nationale, a profondément transformé le paysage politique portugais.

Un exemple marquant de cette polarisation est l’affaire Odair Moniz, un Capverdien de 43 ans abattu par un policier en octobre 2024. Alors que certains dénoncent un acte motivé par le racisme, André Ventura a salué le policier, le qualifiant de héros, et a appelé à décorer les agents « qui protègent la société« . Ces propos ont provoqué une vague d’indignation, une plainte pénale pour incitation à la violence et de vifs débats dans l’opinion publique.

Des thèmes clivants : racisme, colonialisme et éducation

Les « guerres culturelles » 1 au Portugal se manifestent également dans d’autres domaines. La question du colonialisme divise profondément la société. D’un côté, certains célèbrent l’héritage portugais comme une période de grandeur ayant « donné des mondes au monde » 2. De l’autre, des voix demandent une reconnaissance des injustices infligées aux peuples colonisés, voire des réparations, suscitant des accusations de trahison nationale par les conservateurs.

L’éducation civique est un autre champ de bataille. Luis Montenegro, Premier ministre et président du Parti social-démocrate (PSD), a récemment critiqué une supposée « contamination idéologique » des cours portant sur la sexualité. Ses déclarations ont alimenté des débats sur le rôle de l’école : enseigner des valeurs progressistes ou préserver des traditions conservatrices ?

Enfin, l’immigration reste aussi un sujet sensible. Tandis que certains estiment que l’accueil des étrangers est essentiel pour dynamiser l’économie et enrichir la culture, d’autres dénoncent une prétendue « immigration incontrôlée » et ses effets sur l’identité nationale. Cette dualité alimente un discours populiste qui s’appuie sur les peurs et les frustrations des deux camps.

Un ressentiment croissant : le moteur des conflits

Selon João Ferreira Dias 3, chercheur à l’ISCTE, le ressentiment est au cœur de ces affrontements. Ce sentiment naît, d’un côté, chez des groupes historiquement marginalisés – femmes, personnes racialisées, LGBTQ+, peuples colonisés – qui revendiquent davantage de droits et de reconnaissance. De l’autre, il émerge chez une majorité qui perçoit ces revendications comme une menace à son identité et à ses valeurs.

Cette opposition est exacerbée par l’essor du populisme, qui utilise les frustrations des deux camps pour polariser davantage la société. « Nous ne sommes pas plus racistes qu’il y a dix ans, mais les réactions sont devenues plus vives« , note Filipe Carreira da Silva 4, professeur à l’ICS et à Cambridge. Cette montée des tensions est une caractéristique de nombreuses démocraties occidentales, où les discours identitaires dominent l’espace public.

Des tensions moins violentes, mais bien présentes

Malgré cette polarisation, les chercheurs soulignent que les « guerres culturelles » au Portugal sont d’une intensité moindre comparée à des pays comme les États-Unis, le Brésil ou même la France. « Les divisions au Portugal n’atteignent pas le même degré de violence ou de conflictualité qu’ailleurs« , estime Filipe Carreira da Silva. Cependant, ces tensions ne cessent de s’accentuer, reflétant une transformation lente mais profonde de la société portugaise.

tensions entre les portugais

Cette moindre intensité s’explique en partie par des facteurs structurels, tels que la taille réduite du pays et un système politique qui, bien que polarisé, reste relativement stable. Par ailleurs, la société portugaise, souvent décrite comme moins conflictuelle, privilégie encore le dialogue dans les espaces publics et politiques. Toutefois, les réseaux sociaux jouent un rôle croissant dans la diffusion de discours polarisants, amplifiant les tensions sous-jacentes et rendant les clivages plus visibles. Si cette polarisation reste pour l’instant contenue, elle pourrait s’aggraver si des acteurs populistes continuent d’exploiter ces fractures pour gagner en influence.

Quelles perspectives pour l’avenir ?

Alors que le Portugal s’inscrit dans une dynamique mondiale de polarisation, des questions se posent sur l’avenir de ces débats. Le pays peut-il retrouver une certaine unité en rétablissant un dialogue constructif entre visions progressistes et conservatrices ? Ou glissera-t-il davantage dans une logique d’affrontement où les extrêmes dominent le centre politique ?

Pour João Ferreira Dias, l’éducation et la reconnaissance des identités multiples du Portugal seront essentielles pour apaiser les tensions. Toutefois, cela nécessitera des efforts politiques et sociaux significatifs, dans un contexte où la confiance dans les institutions est déjà mise à rude épreuve.

Le Portugal, malgré ces divisions, reste une démocratie forte et résiliente. Ces « guerres culturelles » pourraient, paradoxalement, être l’occasion pour la société de réexaminer ses valeurs, son histoire et son avenir, à condition que le débat public parvienne à éviter les pièges de la radicalisation et de la démagogie.

  1. A propos des guerres culturelles : https://www.iscte-iul.pt/assets/files/2024/11/04/113924162.pdf ↩︎
  2. L’expression « ayant donné des mondes au monde«  est une référence poétique et patriotique tirée d’un célèbre passage du poème épique « Os Lusíadas » (Les Lusiades) de Luís de Camões, écrit au XVIe siècle. Ce poème célèbre les grandes découvertes portugaises, notamment les voyages maritimes des explorateurs comme Vasco de Gama, qui ont permis au Portugal de « découvrir » de nouvelles terres et d’établir des routes commerciales reliant différents continents. ↩︎
  3. João Ferreira Dias : https://ciencia.iscte-iul.pt/authors/joaoferreiradias/cv ↩︎
  4. Filipe Carreira da Silva : https://www.filipecarreiradasilva.net/ ↩︎


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